La Martinique est aujourd’hui confrontée à une crise sans précédent, conséquence directe du narcotrafic qui menace non seulement la sécurité publique mais aussi l’ensemble du tissu socio-économique de l’île. En raison de sa position géographique stratégique dans les Caraïbes, la Martinique est devenue une plaque tournante du trafic international de stupéfiants, servant de porte d’entrée pour les drogues destinées à l’Europe. Cette situation engendre une montée en puissance des réseaux criminels, qui profitent des faiblesses locales pour s’implanter solidement et étendre leur influence, ce qui place l’île dans une situation de vulnérabilité extrême.
Les chiffres de la lutte contre le narcotrafic sont frappants et révèlent l’ampleur du phénomène. En 2024, la Martinique a enregistré 60 % des saisies nationales de cocaïne, soit 32 des 54 tonnes de drogue interceptées sur l’ensemble du territoire, un chiffre alarmant qui illustre la gravité de la situation. En parallèle, la violence liée à ce trafic connaît une explosion, avec 24 homicides commis en 2024, dont 17 par arme à feu, et déjà 4 meurtres en 2025. Ce chiffre situe la Martinique parmi les régions les plus touchées par les crimes violents, à l’instar de la Guyane et de la Guadeloupe. Les autorités locales et nationales doivent ainsi faire face à un taux d’homicides supérieur à celui de la France hexagonale, une réalité qui pèse lourdement sur la population.
L’impact du narcotrafic ne se limite pas à la violence physique. Il engendre également une économie parallèle criminelle, qui gangrène les fondements sociaux et économiques de la Martinique. En plus des crimes violents, ces réseaux alimentent un blanchiment d’argent massif, estimé à 3,5 milliards d’euros par an à l’échelle nationale, dont plus de 400 à 450 millions d’euros échappent aux autorités et alimentent directement les organisations criminelles présentes aux Antilles, notamment en Martinique. Cette situation met en péril l’équilibre économique de l’île, car ces activités illicites détournent des ressources financières qui devraient soutenir les secteurs légaux de l’économie.
En dépit des efforts entrepris par les autorités ces dernières années, le retard pris par l’État dans sa réponse à cette crise a permis aux trafiquants de renforcer leur présence et de rendre plus complexe l’éradication du phénomène. Les réseaux criminels se sont profondément ancrés dans les territoires, jusqu’aux campagnes, et ont internationalisé leurs activités. Face à cette situation, l’État peine à fournir une réponse pénale adéquate, démunie des moyens nécessaires pour traiter efficacement cette question. Comme le souligne Serge Letchimy, président du Conseil exécutif de la Martinique, l’État semble agir avec des moyens insuffisants, comparant cette réponse à celle d’un homme qui tenterait de vider un océan avec une cuillère à soupe. Une critique acerbe qui reflète le sentiment d’abandon ressenti par les Martiniquais, notamment en raison d’une stratégie de sécurité jugée trop axée sur l’Hexagone au détriment des territoires ultramarins.
Face à cette menace qui pèse sur l’avenir de la Martinique, Serge Letchimy appelle à une action ferme et rapide de l’État. Il exige la mise en place de mesures concrètes, à commencer par une coopération renforcée entre les différentes autorités nationales et locales. Parmi les actions proposées, il y a le renforcement des effectifs de la police, de la gendarmerie, des douanes, de la justice et de l’administration pénitentiaire, ainsi que l’installation tant attendue des radars côtiers pour intercepter les cargaisons illégales en mer. L’introduction de scanners pour le contrôle des passagers et des conteneurs au port de Fort-de-France et à l’aéroport serait également un pas important pour limiter l’arrivée de drogue sur l’île. L’organisation d’une réunion interministérielle sur la question du trafic de stupéfiants et des armes aux Antilles-Guyane, associant les élus locaux et nationaux, est également une priorité pour coordonner les efforts de manière efficace.
Toutefois, ces mesures de sécurité doivent impérativement s’accompagner d’une stratégie globale de prévention, afin de lutter contre les causes profondes de cette criminalité. La Martinique, comme beaucoup de territoires ultramarins, fait face à un chômage élevé et à un manque d’opportunités pour les jeunes, ce qui crée un terreau fertile pour les organisations criminelles. En ce sens, Serge Letchimy plaide pour un « plan jeunesse » qui pourrait offrir à plus de 2 500 jeunes des alternatives à la criminalité par l’insertion professionnelle et la formation. Cette approche intégrée, alliant répression et prévention, est selon lui indispensable pour briser le cycle du narcotrafic et assurer un avenir plus serein pour la population martiniquaise.
En conclusion, la situation en Martinique est critique et nécessite une réponse urgente et coordonnée de la part de l’État. Les Martiniquais attendent des actions concrètes, impitoyables et sévères pour contrer l’emprise croissante des réseaux criminels, rétablir la sécurité, mais aussi garantir le développement économique et social de l’île. L’État doit prendre ses responsabilités et agir avant qu’il ne soit trop tard.
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