Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique, le nouvel essai de Naomi Klein
Notre modèle économique est en guerre contre la vie sur Terre. Nous ne pouvons infléchir les lois de la nature, mais nos comportements, en revanche, peuvent et doivent radicalement changer sous peine d’entraîner un cataclysme. Pour Naomi Klein, la lutte contre les changements climatiques requiert non seulement une réorientation de nos sociétés vers un modèle durable pour l’environnement, mais elle ouvre aussi la voie à une transformation sociale radicale, transformation qui pourrait nous mener à un monde meilleur, plus juste et équitable. Tant par l’urgence du sujet traité que par l’ampleur de la recherche effectuée, Naomi Klein signe ici son livre sans doute le plus important à ce jour.
Entretien réalisé par Marie-Noëlle Bertrand :
Dans « Tout peut changer, capitalisme et changement climatique »,la journaliste et essayiste Naomi Klein remonte à la source du réchauffement et démonte un capitalisme toujours plus avide de ressources. L’altermondialiste canadienne exhorte aussi la gauche à articuler lutte climatique et lutte contre l’austérité.
Votre livre décrit un conflit économique, idéologique, écologique. Est-on en guerre, et qui se bat contre qui ?
Naomi Klein Il existe à coup sûr un conflit entre ce que notre système économique définit comme progrès et ce qu’il nous faudrait engager face aux bouleversements climatiques. Quant à savoir qui est en train de gagner, nous devons admettre que les forces économiques dominent. Après la crise économique mondiale, en Europe, les politiques sur le climat ont été clairement sacrifiées au nom du retour à la croissance. En Espagne, au Portugal, en Grèce, en Italie, les soutiens aux énergies renouvelables ont été coupés, le coût des transports publics a augmenté. Ces pays se sont remis à courir après les énergies fossiles non conventionnelles, comme le gaz obtenu par fracturation hydraulique ou les forages offshore… Bref, dès lors que la croissance économique s’est trouvée menacée, il n’a plus été question de mettre des limites à l’exploitation des ressources fossiles. Or, c’est précisément ce que la lutte contre le changement climatique nous impose.
Qui sont les acteurs de cette bataille ?
Naomi Klein Les compagnies pétrolières et gazières sont bien évidemment des acteurs de cette guerre, mais au-delà, c’est tout un système qui met la pression. Le secteur extractiviste répond à une logique établie : les compagnies doivent prouver qu’elles disposent, en sous-sol, dans leurs réserves, d’un volume d’hydrocarbures équivalant à ce qu’elles produisent déjà. Sans quoi, le marché les pénalise. C’est donc bien un problème structurel. Nous savons que ce secteur dispose de cinq fois plus de carbone dans ses réserves prouvées qu’il ne devrait être autorisé à en émettre pour ne pas dépasser les 2 °C de réchauffement à la fin du siècle. Ces forces-là ont la main sur le système politique. Et elles se battent salement, et utilisent tous les outils dont elles peuvent disposer, incluant la désinformation fondée sur le déni du changement climatique. Elles s’appuient aussi sur des politiciens qui endossent le rôle de VRP des multinationales de leur pays. En février, François Hollande s’est rendu aux Philippines pour y lancer un appel pour le climat. Mais, derrière les caméras, il concluait des affaires pour les compagnies privées françaises de l’eau ou du BTP. C’est hypocrite, mais, pire, cette contradiction est au cœur même de notre système économique.
Vous expliquez que la droite a longtemps qualifié le réchauffement d’alibi pour imposer les valeurs de gauche. Le changement climatique donne-t-il raison à la gauche ?
Naomi Klein Le chef du Heartland Institute, le principal think tank climatosceptique aux États-Unis, m’a expliqué que, lorsqu’il a entendu parler du changement climatique, il a réalisé que ce serait un motif pour imposer toutes formes de régulation gouvernementale. En d’autres mots, il a compris que si la science disait la vérité, alors ce serait la fin de sa vision du monde. De ce point de vue, le changement climatique est bon pour la gauche. Avec lui, la nécessité d’investir dans la sphère publique devient une évidence. Pour changer notre trajectoire commune, nous avons besoin de transports publics, de villes réaménagées… des gros mots pour la droite, mais les peuples de gauche, eux, croient déjà à ces formes de régulation et de redistribution des richesses. La crise climatique renforce ces idées. Cela dit, elle défie aussi cette large part de la gauche traditionnelle qui continue de se plier au cadre du productivisme, d’envisager la nature comme si elle était sans limites et de considérer la croissance comme quelque chose de bon. Le débat qu’elle mène avec la droite ne porte que sur la redistribution de cette croissance.
Le capitalisme s’est saisi du discours écologique, il revendique son rôle dans le sauvetage de la planète…
Naomi Klein Un discours sur la croissance verte a effectivement émergé, mais avec en toile de fond l’idée que l’on peut tout avoir, la réponse au défit climatique et les profits. Bien sûr, une part de l’économie va devoir se développer : les nouveaux systèmes énergétiques ou de transport… Le paradoxe, c’est que, notre système étant basé sur les carburants fossiles, nous allons pour cela devoir brûler plus de carbone. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas engager ces investissements, au contraire. Mais nous devons compenser par autre chose, pour finalement réduire nos émissions. Comment ? En agissant sur la demande : nous devons consommer moins. Certains appellent cela la décroissance. Quoi qu’il en soit, c’est précisément ce dont la croissance verte ne veut pas entendre parler. Elle n’admet pas que les mieux dotés de la planète aient à changer de conception. Or il va falloir établir des règles, construire une stratégie pour permettre aux plus pauvres de consommer plus. Il va falloir de l’équité, ce qui requiert une planification de cette transition. Une partie de notre économie est déjà bas carbone et peut croître. Ironiquement, c’est à elle que l’austérité s’attaque : la santé, l’éducation, l’art, la culture, toutes ces choses qui favorisent le bien-être. C’est précisément ce dont il est question : avancer vers une autre mesure du progrès. Aujourd’hui, nous le définissons à l’aune de la croissance. Je ne crois pas qu’il faille le définir à l’aune de la décroissance. En revanche, à l’aune du bien-être, oui. Il ne s’agit pas uniquement de parler de transition. Il s’agit de trouver les moyens de construire une transition juste…
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Vendredi, 10 Avril, 2015