— Par Christian Boutant, délégué Sacem Président de la commission culture CCEE —
Ce qui se passe aujourd’hui est tout simplement hallucinant. En effet, en peu d’années, le secteur discographique, principal outil de découverte et de promotion, hier extraordinairement actif et productif, s’éteint progressivement mais sûrement dans l’indifférence généralisée.
Les conséquences sont palpables pour les professionnels du secteur mais surtout de façon plus culturelle pour la création musicale qui s’épuise, impactant toute la chaîne allant de la création aux consommateurs.
On a pu se réjouir des nouvelles technologies, des facultés nouvelles offertes au consommateur, des perspectives d’un marché mondial à nos portes.
La réalité est cruelle : la production musicale martiniquaise comme dans l’ensemble des régions outre mer s’est effondrée de façon dramatique, entraînant disparition de métiers, chute de la création, fermeture d’établissements, affaissement d’un marché avec des conséquences culturelle et économique non négligeables.
PREMIER CONSTAT
Comprendre et admettre que cette tendance est mondiale.
Dans la plupart des pays la situation est semblable. Les chiffres ne laissent aucune équivoque…
La chute de la production de disque en Martinique est de -85% en 8 ans. (de 600.000 exemplaires pressés en 2003 à 88.000 en 2012).
Sur la même période, la production discographique nationale a chuté de 70%.
Les chiffres du SNEP* sont éloquents : marché national de 3,314 millions d’euros en 2003 et 975 millions d’euros en 2012.
Par ailleurs et à titre d’indicateur, les chiffres nationaux en 2010 font ressortir les variations suivantes : ventes physiques -3.4%, singles – 33%, albums -4.1%, vidéo +15.9%, numérique -1.39%, téléchargements +56%
De façon évidente, les incidences dans notre département sont de 15 points supérieures au national.
SECOND CONSTAT
Prendre conscience de l’impact de cette situation sur la création culturelle et singulièrement musicale dans nos régions.
Moins d’oeuvres produites, c’est moins d’oeuvres créées, c’est donc moins d’activités pour les créateurs, les interprètes, les ingénieurs du son, les distributeurs, les artistes et toute la chaîne.
L’offre musicale régionale s’est réduite de façon significative ces dernières années et comme la diffusion est toujours aussi importante en regard des medias, la part de l’importation grandit sans discontinuer.
TROISIÈME CONSTAT
Sur le plan hexagonal, 93% des jeunes consomment la musique par internet.
Pour ce qui concerne les services en ligne, ce sont les plateformes suivantes qui remportent la mise : Youtube 34% du marché suivi de iTunes – 7%, et Deeezer 5%.
Les fournisseurs d’accès Apple, Google, Microsoft, Amazon, Face-book constituent le quintet qui domine auprès des internautes pour la consommation de musique. Enfin, la progression des albums en téléchargement est visible dans quasiment tous les pays.
En 2012 : Allemagne 20%, France +18%, Grande Bretagne +15%, USA +14%.
Le marché du numérique en France correspond en 2012 à 25% du marché de la musique enregistrée pour une valeur de 125 millions d’euros.
Le streaming progresse de 32% en un an.
Le téléchargement de + 12%.
En 2012, la progression des ventes d’albums en téléchargement est continue : + 20% en Allemagne, + 18% en France, + 15% en Grande-Bretagne, + 14% aux Usa.
QUELLES SOLUTIONS ?
De telles statistiques ne sont hélas, pas disponibles dans nos régions. Pourtant de tels indicateurs sont d’autant plus nécessaires que les conséquences des nouvelles technologies dans les petits marchés des Antilles-Guyane sont encore plus marquées en regard des limitations des marchés internes et de la faiblesse des politiques d’exportations. Cela nous engage à une réflexion avec des perspectives sur le long terme si l’on veut sauvegarder nos industries culturelles et avoir encore des groupes à l’exportation comme Kassav, Malavoi et les autres
Y a-t-il vraiment des solutions pour nos départements d’outre mer ? Faudrait-il considérer que les jeux sont faits car rien ne sera plus comme avant ?
Il faut en tout cas impérativement changer de modèle, faire preuve de capacité de s’adapter au nouveau contexte et trouver des nouveaux financements pour la création musicale et des audiovisuels musicaux notamment.
Partout, les nouvelles initiatives prises par les maisons de production se sont traduites au travers d’efforts de commercialisations nouveaux et par la croissance des investissements marketing dans la musique. Ainsi ces derniers ont été orientés vers les nouveaux procédés de vente et de commercialisation.
En France les investissements marketing progressent ainsi en 11% en trois ans passant de 64 à 71 millions d’euros.
LA MISSION LESCURE. ET LES DOM ?
Rappelons les objectifs de cette mission fixés par le président de la république et confiée à Pierre Lescure.
– Protéger l’exception culturelle
– Concertation sur la politique culturelle à l’ère du numérique
– Formuler des propositions destinée à favoriser le développement des oeuvres et des pratiques culturelles
– Prendre en considération les diversités des situations territoriales et faire vivre concertations et débats en régions
Les outre-mer semblent avoir été oubliées dans le cadre de ces réflexions.
Quelles traductions en effet dans les DOM de cette mission confiée par la ministre de la culture à Pierre Lescure ?
Certes la musique relève en général de l’économie, privée – comme le cinéma – mais quand un pareil secteur qui relève également d’enjeux culturels, touristique, professionnels et de valorisation de destination est en péril, peut-on le tenir écarté des préoccupations de développement devant animer les politiques publiques ?
Christian Boutant, délégué Sacem Président de la commission culture CCEE