— Par Eric Marliere, maître de conférences HDR en sociologie à l’université de Lille —
Eric Marliere analyse la sociologie électorale des quartiers populaires avant les municipales de mars.
Les mobilisations politiques dans les quartiers populaires peuvent prendre plusieurs formes, de l’engagement associatif ou sportif à l’adhésion à un parti politique, en passant par la participation à des révoltes urbaines. Les frontières entre la politique institutionnelle et informelle restent floues, mais les difficultés à s’investir dans un projet associatif ou en politique sont réelles. On recense environ moins d’un électeur sur deux dans les deux quartiers étudiés pour l’élection municipale de 2014. Au-delà de l’abstention importante, le rôle des politiques en général et des politiques publiques plus précisément semble décourager l’engagement des habitants des quartiers populaires.
Mon enquête actuellement en cours dans deux communes de la banlieue nord de Paris révèle ainsi plusieurs tendances, inscrites dans quarante ans de désillusions politiques dans les quartiers populaires. En esquissant un début de typologie d’habitants des quartiers populaires, mon projet s’attache à analyser les conséquences des rapports de domination sociale sur leurs engagements politiques, et la façon dont ces rapports de domination se traduisent au quotidien, notamment dans leurs perceptions de la question politique.
La difficulté de s’engager dans les quartiers
S’engager dans les quartiers populaires peut devenir coûteux économiquement (licenciement si la personne travaille pour la commune, etc.) et socialement (pressions administratives sur le logement ou les activités associatives, etc.) à partir d’un certain stade d’engagement dans la politique.
En effet, la présence des habitants des « quartiers » – surtout celles et ceux qui sont considérés comme d’origine étrangère – est perçue comme une intrusion dans le champ politique local, le plus souvent occupé par les notables et les militants des classes moyennes. On note ainsi que la présence des classes populaires et, en particulier, des personnes « issues de l’immigration » n’est pas toujours la bienvenue dans un espace hautement concurrentiel.
Cet engagement peut se payer de façon radicale pour la personne issue d’un quartier populaire qui souhaite s’investir en politique et proposer des perspectives nouvelles. Ainsi, les conséquences en termes de démobilisation peuvent être importantes : découragement, désillusions…
C’est pourquoi bon nombre de personnes évoluant dans les « quartiers » portent un regard critique sur leur condition sociale, mais aussi à l’égard des institutions, ce qui s’exprime à travers les révoltes urbaines, les différentes formes d’ »incivilité », les « fuites » comme l’ultra-individualisme ou la dépression. D’autres, au contraire, choisissent de poursuivre en politique en se radicalisant parfois dans l’idéologie, mais aussi dans les méthodes….
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