Le 4 juillet 1982, Mumia Abu-Jamal est condamné à mort par la justice états-unienne. Sa peine commuée en perpétuité, il se bat depuis quarante ans pour faire entendre sa voix et continue d’écrire l’acte d’accusation de l’Amérique raciste.
— Par Jacky Hortaut, coanimateur du collectif Libérons Mumia ! —
La vie de Mumia Abu-Jamal, né Wesley Cook, Afro-Américain alors âgé de 28 ans, a basculé au petit matin du 9 décembre 1981, en plein centre de Philadelphie (Pennsylvanie). Chauffeur de taxi la nuit afin d’améliorer ses maigres revenus de journaliste radio pour nourrir sa famille, il vient de déposer un client. Voyant que son jeune frère fait l’objet d’une interpellation policière musclée, il traverse la rue pour en savoir plus au moment même où une fusillade éclate. Un policier est tué, lui-même est grièvement blessé. La police annonce qu’elle a arrêté le tueur qui aurait reconnu les faits, désignant Mumia Abu-Jamal, le journaliste qui dénonce régulièrement ses méthodes violentes, notamment à l’encontre des Afro-Américains.
Six mois plus tard, l’appareil judiciaire prend le relais en confiant le procès au juge Sabo, recordman des condamnations à mort aux États-Unis, ancien shérif et membre du puissant syndicat de la police proche de l’extrême droite Fraternal Order of Police (FOP). Le jury est composé quasi exclusivement de citoyens blancs, alors que les Afro-Américains représentent presque 50 % de la population de Philadelphie. Et avant même l’ouverture du procès, selon la greffière Teri Maurer, Sabo déclara en coulisses : « Je vais les aider à faire frire le Nègre. » Tout est ainsi bouclé, le procès commence mi-juin.
Comme l’écrit Claude Guillaumaud-Pujol, universitaire spécialiste des États-Unis, dans son livre biographique « Mumia Abu-Jamal, combattant de la liberté », dont elle est un soutien de longue date (voir « En savoir plus »), ce n’est pas un procès mais un lynchage. « En une semaine, l’accusation déroule son scénario : il y a trois hommes sur le lieu du crime, un vivant, Billy Cook (frère de Mumia), un blessé, Wesley Cook (alias Mumia Abu-Jamal), et un mort, le policier Daniel Faulkner. Les faits présentés sont limpides : Mumia tire une première fois sur le policier qui maltraite son frère et l’atteint dans le dos ; ce dernier se retourne et tire sur Mumia ; le policier tombe et Mumia l’exécute d’une balle dans la tête. » Aucune étude balistique n’est présentée et les témoins qui contredisent cette version de la police sont séquestrés jusqu’à ce qu’ils changent leur déposition. Mumia est exclu de la salle d’audience au motif qu’il s’est entêté à vouloir assurer sa propre défense.
Trois semaines plus tard, au terme de cette parodie de procès, les jurés déclarent l’accusé coupable de meurtre. Ils n’ont plus qu’à choisir la sentence : la prison à perpétuité ou la peine de mort, encore constitutionnelle dans l’État de Pennsylvanie. Au mépris de toute déontologie, le procureur exerce une dernière pression sur les jurés en évoquant le passé politique de l’accusé, notamment son engagement auprès des Black Panthers. Sur ce jury presque exclusivement blanc, l’effet est assuré. Mumia est condamné à mort le 4 juillet 1982, jour de la fête nationale des États-Unis.
Amnesty International USA, la Commission des droits de l’homme de l’ONU, le Parlement européen et de nombreuses personnalités du monde entier dénoncent un procès raciste et expéditif bafouant les normes internationales de justice les plus élémentaires.
Treize ans plus tard, en 1995, après le rejet de multiples recours en appel, l’exécution est ordonnée par le gouverneur de Pennsylvanie. Grâce à la mobilisation aux États-Unis et dans le monde – à l’exemple de l’interpellation des autorités américaines par le président Jacques Chirac sur sollicitation de Georges Marchais, ancien secrétaire général du Parti communiste français, alors président du comité du PCF pour la défense des libertés et des droits de l’homme –, elle n’aura pas lieu. Mais l’acharnement du syndicat policier FOP et de ses amis politiques aboutit, en 1998, à une nouvelle ordonnance d’exécution. Elle sera finalement levée face à l’ampleur de la protestation mondiale.
Treize ans plus tard encore, en 2011, au prix d’une longue bataille judiciaire portée par l’équipe de défense de Mumia devant la Cour suprême des États-Unis et d’une mobilisation internationale toujours plus large, il obtient enfin la commutation de sa peine en prison à perpétuité. Mais sans aucune possibilité de libération conditionnelle : il est condamné à mourir en prison.
Après trente années d’isolement total, Mumia sort du couloir de la mort de la State Correctional Institution (SCI) Greene, prison de sécurité maximale, pour rejoindre une unité carcérale de moyenne sécurité, la SCI Mahanoy, où il retrouve enfin un peu de vie sociale au contact d’autres prisonniers. Leur accueil le surprend, tant sa popularité et son exemplarité ont franchi les murs de la prison. Il découvre que ses livres écrits dans sa cellule figurent dans la bibliothèque, notamment son best-seller « En direct du couloir de la mort » (« Live from Death Row », 1994).
Car l’écriture et la parole, comme lorsqu’il était journaliste radio, restent ses armes de combat pour défendre sa liberté et celle de tant d’autres détenus broyés par un système politique, judiciaire et carcéral inique et raciste, pour dénoncer la situation sociale des Afro-Américains ou encore analyser l’actualité américaine et internationale. Avec à son actif une dizaine d’ouvrages et 2 000 éditoriaux dans la presse écrite et à la radio – produits dans des conditions difficilement imaginables, malgré la censure, grâce à ses seuls droits téléphoniques –, il est l’auteur carcéral le plus connu au monde.
En 2015, s’emparant d’une nouvelle jurisprudence de la Cour suprême, la défense de Mumia réintroduit une demande de révision de sa condamnation. Au cours de l’instruction, des boîtes d’archives du procès d’origine sont découvertes, apportant de nouvelles preuves qui mettent en cause les pratiques illégales des magistrats. En 2018, après trois années de procédure et de multiples audiences, le juge Tucker accorde un droit d’appel. Cette décision provoque les foudres du FOP, mais les recours en vue de son annulation sont rejetés. Le droit d’appel est ainsi confirmé. La première audience aura lieu le 19 octobre 2022, à Philadelphie.
Lorsque vous rendez visite en prison à Mumia, comme l’auteur de ces lignes l’a fait régulièrement depuis 2001, la soif d’échanges et de rencontres caractérise ses premiers mots. S’il reste discret sur sa santé comme sur les souffrances dues aux conditions inhumaines de son incarcération depuis quarante ans, sa modestie peut se mesurer à ses propos : « Je lis beaucoup et continue de faire mon travail de journaliste avec l’avantage de disposer de temps et de calme, ce qui est plus difficile pour vous avec vos obligations professionnelles et familiales, sans oublier les activités militantes à me soutenir. »
Qui est Mumia ? « Un homme libre dans le couloir de la mort », avait répondu, en sortant de SCI Greene en décembre 2000, Bernard Birsinger, député maire communiste de Bobigny, premier responsable politique français à lui avoir rendu visite. Né en 1954 à Philadelphie, ce journaliste radio, lauréat de plusieurs prix, était surnommé par ses confrères « la Voix des sans-voix », avec pour credo professionnel la défense des plus démunis, des opprimés – au premier rang desquels la minorité afro-américaine. Sa détermination à combattre le racisme institutionnel et la peine de mort est indissociable de ses engagements sociaux et politiques, pris dès l’adolescence. En 1969, il devient le porte-parole des Black Panthers à Philadelphie ; le FBI le cible comme « à surveiller et à interner en cas d’alerte nationale ». Tous ces engagements sont au cœur de ce que lui reprochent ses adversaires politiques, au point de chercher par tous les moyens à l’éliminer.
Sans la solidarité internationale, Mumia n’aurait pas pu échapper à la mort. Saluons d’abord la mobilisation de ses soutiens américains, celle de la communauté Move – Mumia avait été l’un des rares journalistes à dénoncer les actes criminels de la police de Philadelphie à l’encontre de ses membres ; ils ont été ses premiers soutiens dès son arrestation, ils sont encore à ses côtés.
Saluons sa famille, en souffrance depuis quarante ans : sa femme Wadiya, sa sœur Lydia, décédée, ses frères Keith et Billy, son fils Jamal et son petit-fils Jamal Jr, aujourd’hui l’un des leaders de la campagne pour sa libération.
Saluons toutes celles et ceux qui, par centaines de milliers dans le monde, ont pétitionné et interpellé les autorités politiques de Pennsylvanie et des États-Unis pour qu’il ne soit pas exécuté, et qui aujourd’hui agissent pour sa libération.
Saluons les organisations et les personnalités politiques, syndicales, sportives et, plus généralement, les défenseurs des droits humains qui se sont mobilisés pour le sauver. Citons quelques-uns d’entre eux : Angela Davis (militante antiraciste charismatique), Pam Africa (leader de Move), Johanna Fernandez (porte-parole de Mumia), Judith Ritter et Bob Boyle (ses avocats), Mike Africa (leader des soutiens à Mumia sous la bannière Love Not Phear), Robert Meeropol (fils des époux Rosenberg exécutés en 1953), Linn Washington (professeur en journalisme à Philadelphie), Noelle Hanrahan (directrice de Prison Radio), Danielle Mitterrand (présidente décédée de France Libertés), Marie-George Buffet (ancienne ministre et députée) et Bernard Birsinger (député maire de Bobigny, décédé) qui sont allés rendre visite à Mumia dans le couloir de la mort. Patrick Le Hyaric l’a rencontré en 2015, lorsqu’il était directeur de « l’Humanité » et député européen.
Pour la part qui lui revient, le collectif français Libérons Mumia !, créé en 1995, regroupant une centaine d’organisations et de collectivités territoriales, est à l’origine de très nombreuses actions de solidarité, dont les rassemblements devant l’ambassade à Paris et les consulats des États-Unis en régions, l’engagement de 25 villes, dont Paris, qui ont fait de Mumia leur citoyen d’honneur, les délégations aux États-Unis et les visites en prison d’élus locaux et nationaux, la collecte de fonds pour sa défense. Le collectif a par ailleurs contribué à internationaliser le combat abolitionniste en participant activement à la création de la Coalition mondiale contre la peine de mort .
Cet homme de 68 ans est privé de liberté depuis quatre décennies pour un crime qu’il n’a pas commis. Outre les très graves infractions à ses droits – eu égard à la Constitution américaine – qui auraient dû conduire à la révision de son procès, sa condamnation est inique et indigne d’une grande démocratie. Son droit d’appel en cours doit lui permettre de défendre son innocence, à la condition que la justice ne fasse plus obstacle à la manifestation de la vérité.
Mais l’urgence est ailleurs : l’état de santé de Mumia nécessite un suivi médical permanent, incompatible avec son maintien en milieu carcéral. Après les lourdes conséquences de son hépatite C, il a été contaminé en 2021 par le Covid 19, puis a subi une opération cardiaque.
Comme ses soutiens l’ont exigé, le 4 juillet 2022, lors d’une journée internationale de mobilisation à l’occasion du 40e anniversaire de sa condamnation à mort, tout comme la Fédération internationale des journalistes réunie récemment en congrès, sa libération immédiate est la seule voie humanitaire qui ferait honneur à la Pennsylvanie pour qu’il puisse enfin rejoindre sa famille après 14 600 jours d’incarcération et être soigné avant qu’il ne soit trop tard. Free Mumia now !
Jacky Hortaut, coanimateur du collectif Libérons Mumia !
EN SAVOIR PLUS
Sur le site du collectif français de soutien à Mumia Abu-Jamal, Libérons Mumia ! :toutes les informations notamment sur les actions de solidarité, les éléments du dossier, la situation et le combat judiciaires ; ainsi qu’une sélection de livres de Mumia Abu-Jamal, dont ceux traduits en français.
« Mumia Abu-Jamal, combattant de la liberté », biographie, de Claude Guillaumaud- Pujol, le Temps des cerises (2007), nouvelle édition augmentée, 2017.
Écouter Mumia Abu-Jamal sur le site Prison Radio, qui diffuse ses chroniques, enregistrées par téléphone : www.prisonradio.org, via le menu « Correspondents », Mumia Abu-Jamal (en anglais).
Source : L’Humanité.fr