— Par Annick Justin Joseph —
À l’appui d’une esthétique toute en sobriété, dénuée de la moindre scorie, le danseur chorégraphe Salia Sanou, déjà présent à Limoges en 2016 avec sa création « Du désir d’horizon », nous est revenu cette fois entouré de Germaine Acogny, elle aussi danseuse chorégraphe, fondatrice notoire du Centre International des Danses Traditionnelles et Contemporaines en Afrique, également de Nancy Huston, auteur entre autres écrits du « Cantique des Plaines »
Nancy HUSTON et SALIA SANOU, « De vous à moi » Photo Christophe Péan
« DE VOUS A MOI » : une respiration juste des corps, de mots écrits, parlés, lâchés à l’aveugle au sol … autant de traces induites de nos errements, de nos silences, de nos besoins tus, dans un monde où toute posture d’inertie s’avère coupable. Des panneaux lumineux sont mis en mouvement dans l’espace, petit miracle d’une provocation à être en pleine clairvoyance, tantôt loin, tantôt proche, toujours à l´orée d’un chemin où la lumière de l’autre n’est pas à vivre comme une « dead line ». Une fois reconnue, actionnée, elle ouvre des voies où l’on se frôle, où les regards se touchent… et le corps est visité du geste premier, quelquefois jusqu’à un jeu percussif des pieds ou une transe salutaire. Corps-passeurs, ils bougent aussi avec des effets miroirs, dans un espace animé d’un mouvement circulaire et où il convient de tenir ensemble, en duo, debout, traversés l’un l’autre d’une même énergie…
Résister, encore et encore, vibrer de sa propre histoire sous l’effet d’une musique partagée, ainsi tenir ensemble… liés au-delà du toucher, même lorsque la langue est différente, que ceux-ci fassent des pointes, que ceux-là bougent autrement leur bassin, leurs jambes, leurs bras…
Le spectacle de Salia Sanou, non exempt par endroits d’humour, convoque la rencontre, nous dit un surgissement possible en chacun de son propre éveil, dans la reconnaissance en l’autre de sa part de lumière à vivre, non pour aveugler, séparer, mais pour ouvrir plutôt des passages « DE VOUS A MOI, DE VOUS BEAUCOUP DE VOUS »… Les épaules bougent, les bras étirent l’instant, le corps chez Germaine Acogny se fait statuaire en la beauté d’une posture somptueusement immobile, mais active, infinisant les bonnes tensions… intérieur, extérieur, promus de concert à une expression belle.
En bref, une création d’un dépouillement extrême, fécond, qui use et abuse de notre plaisir d’écoute, en la vibration libre, solidaire de qui nous sommes chacun.
Limoges – 35ème Festival des Francophonies Septembre 2018
Annick Justin Joseph