— Par Docteur Josiane Jos-Pelage, présidente de l‘Association Médicale pour la Sauvegarde de l’Environnement et de la Santé (AMSES) —
Aux Antilles françaises, l’on meurt par dérogation. Le plus grave est que l’Etat y apporte sa caution puisqu’après les Ministres, ce sont les Préfets qui dérogent.
A votre niveau de responsabilité, en charge de la santé du peuple français, vous ne pouvez méconnaître le chlordécone, insecticide utilisé contre le charançon des bananiers, dont la toxicité a été reconnue par de nombreux scientifiques et dont les conséquences sur la santé des Antillais ne font plus aucun doute. On lui attribue à juste titre la croissance exponentielle des cancers de la prostate en Guadeloupe et en Martinique. Ces deux îles largement polluées par cet organo-chloré, détiennent depuis 2008 le triste record du monde d’incidence standardisée de ce cancer. Les USA en ont interdit la fabrication et l’usage depuis 1976. La France a imprudemment continué de l’utiliser jusqu’en 1990, date de sa prohibition officielle. Mais les Ministres de l’Agriculture ont pris des arrêtés dérogeant à cette interdiction jusqu’en 1993, transformant nos pays en « monstres chimiques » cf Le Monde du 17/04/2013.
Le préjudice écologique imputable à l’Etat, est indéniable : sols imprégnés, nappes phréatiques polluées, rivières, zones côtières et chaîne alimentaire contaminée, ceci pour 600 à 700 ans. Aujourd’hui les préfets interdisent la pêche côtière, et comble de l’absurde pour des îles, elles doivent importer massivement les produits de la mer, aggravant d’autant leur déficit commercial, tandis que les marins pêcheurs espèrent l’aumône compensatoire d’un Etat surendetté.
Eludant la leçon de cette catastrophe, l’on recommence à empoisonner la Guadeloupe et la Martinique. Deux cercosporioses sont apparues dans les îles voisines anglophones de Dominique et de Sainte Lucie, puis en Martinique et enfin en Guadeloupe. La filière banane décide pour y remédier d’utiliser trois produits fongicides dangereux, dilués dans un adjuvant tout aussi dangereux, le BANOLE et surtout non agréé pour l’épandage aérien. Tous ces produits sont connus comme toxiques puisqu’en cas d’ingestion accidentelle, d’inhalation ou de contact massif, le fabriquant lui-même conseille de consulter d’urgence un médecin ou le centre antipoison le plus proche.
Le « TILT » et le « SICO » sont des perturbateurs endocriniens, le « GARDIAN » est nuisible pour la reproduction et dangereux pour le foetus. Les deux premiers provoquent des « malaises potentiellement mortels » comme l’indique cyniquement le fabriquant, ce qui n’empêche pas l’Anses de considérer ces risques aigus comme « Acceptables » et de délivrer l’autorisation de mise sur le marché. Au surplus tous ces produits sont reconnus nocifs pour la faune aquatique, ce qui fait peser une réelle menace sur l’humanité, un habitant sur sept vivant des produits de la mer a fortiori en milieu insulaire.
Une affligeante première place
L’épandage aérien, mode d’application utilisé de ces fongicides, fait courir aux ouvriers agricoles et à l’ensemble de la population, surtout les riverains, un risque incommensurable. En effet les alizés, balayant constamment nos îles, rendent illusoire la règle des 50 mètres prévue par les règlements encadrant l’épandage. Le nuage polluant s’introduit aisément dans les habitations, ce que confirment non seulement les occupants mais les dosages réalisés par la société Madininair mandatée pour la surveillance de la qualité de l’air après épandage. Un des produits, le GARDIAN, est retrouvé à l’analyse de l’air d’une habitation du Nord de la Martinique située à 50 mètres des bananeraies, quelques jours après l’épandage.
Or en vertu de la directive européenne 2009/128/CE prise en application des Conférences de Grenelle sur l’environnement, l’interdiction de l’épandage est la règle et la dérogation l’exception. A la Guadeloupe et à la Martinique, la dérogation devient la règle. Et dans l’échelle d’utilisation de cette technique, la Martinique occupe l’affligeante première place.
Ecartant ces graves réserves et à la demande du Lobby bananier, les préfets de la Martinique et de la Guadeloupe prennent à quelques semaines d’intervalle, un arrêté autorisant l’épandage aérien de ces fongicides dangereux pendant au moins un an .Ce faisant, ils feignent d’ignorer la toxicité chronique des petites doses répétitives de ces molécules chimiques appelées « xénobiotiques » (étrangères à l’organisme humain). Ils se retranchent derrière l’autorisation délivrée par les Agences agrées (Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui statuent selon des critères totalement dépassés en 2013, critères selon lesquels un poison qui subit une forte dilution perd sa toxicité. Les chercheurs, les scientifiques modernes rappellent mais sans être entendus des décideurs que « Ce n’est pas la dose qui fait le poison mais la répétition des petites doses » . Même quand l’autorité administrative AFSSA ou ANSES permet la mise sur le marché du produit, elle commet une grave erreur préjudiciable pour la Santé, dont elle aura aussi à rendre compte.
L’AFSSA comme l’ANSES ne tiennent aucun compte dans leurs avis non seulement de cette nouvelle donne toxicologique mais également de cette seconde notion en matière de toxicologie qui est la sensibilité particulière de certaines personnes comme les femmes enceintes, (les ouvrières agricoles) ou les enfants des riverains, et de la sensibilité à certaines périodes de la vie. Elles ne prennent nullement en considération les pollutions préexistantes, à l’heure où se précisent de mieux en mieux les risques liés aux « cocktails » de pesticides.
Responsabilité d’Etat
Curieusement quand l’ANSES en 2011 autorise quatre nouveaux produits fongicides dans l’épandage aérien aux Antilles, elle n’émet aucune mise en garde contre les risques potentialisateurs liés au mélange de ces produits entre eux d’une part, et avec les autres polluants connus comme le chlordécone présents dans les terres bananières, d’autre part. Pourtant il est clairement indiqué sur la fiche technique de ces produits TILT et SICO qu’ils sont des polluants persistants dont la demi-vie dans la terre dépasse 120 jours.
Les signataires de ces dérogations promulguées en février et avril 2013, ne peuvent pas non plus ignorer les deux études épidémiologiques réalisées en Guadeloupe en 2010 et 2012, confirmant la toxicité non plus aiguë mais chronique du chlordécone sur la prostate des hommes de la Guadeloupe et sur le cerveau des enfants guadeloupéens. Cette intoxication gravissime relève de la responsabilité de l’Etat qui contrevient ainsi à son devoir de protection des individus. Aucune mesure protectrice n’a été prise à l’égard de ceux qui pâtissent aujourd’hui des conséquences de cette pollution par le chlordécone. Aucune évaluation sanitaire de cette pollution n’a été réalisée avant de signer une nouvelle autorisation d’empoisonner les Martiniquais et les Guadeloupéens. Entre la vie du bananier et la vie humaine, l’Etat a choisi clairement le bananier, traduisant sa cynique légèreté face à l’exigence de santé publique des populations et singulièrement de celles d’outre-mer. Faut-il y voir comme certains, une survivance du vieil esprit colonial, qui reposant sur le honteux postulat de l’infériorité de l’autochtone, considère la vie de celui-ci comme une valeur négligeable ?
Docteur Josiane Jos-Pelage, présidente de l’AMSES