— Par Siegfried Forster —
La réalisatrice sino-américaine Chloé Zhao, 38 ans, a remporté samedi 12 septembre le Lion d’or pour le meilleur film de la Mostra de Venise 2020. Nomadland raconte l’histoire des nouveaux nomades, les délaissés de la société américaine. Un signal fort pour le cinéma et les femmes réalisatrices du monde entier.
Des larmes de joie partagées dans la sala grande du Palais du cinéma à Venise. La Mostra a montré au monde entier qu’il est possible de faire un grand festival de cinéma au temps du coronavirus tout en accueillant du public et des œuvres magnifiques. « Nous pouvons dire que nous l’avons fait. Nous ne sommes pas fiers d’avoir été les premiers, mais satisfaits d’avoir montré qu’il était possible », a ainsi résumé Roberto Cicutto, le président de la Biennale de Venise, l’aventure du festival.
Un Lion d’or dans un van
Avec Chloé Zhao, c’est la première fois dans l’histoire du plus ancien festival international de cinéma qu’un lauréat du Lion d’or a remercié la Mostra tout en étant assise dans un van. Bloquée aux Etats-Unis, son message vidéo depuis un van à Pasadena, en Californie, était un clin d’œil à l’histoire de son film.
Nomadland est un road movie sur une catégorie spéciale des délaissés de la société américaine : les nouveaux nomades – qui font partie intégrante du casting.
L’actrice oscarisée Frances McDormand incarne Fern, d’abord veuve, ensuite licenciée. Elle fait partie de ces sans domicile fixe vivant dans un van bricolé et survivant avec des « bullshit jobs » ou quelques dollars de retraite. Des récits tragiques résonnent, des paysages époustouflants défilent. Une nouvelle communauté se construit, aux bords de route ou sur les réseaux sociaux (#vanlife). Sans note larmoyante, avec beaucoup d’humilité et d’introspection. Un portrait poétique et inattendu sur et avec les nouveaux pionniers de la pauvreté.
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Depuis la création de la Mostra de Venise en 1932, Chloé Zhao est la cinquième femme et la première d’origine chinoise qui a remporté le Lion d’or, après l’Allemande Margarethe von Trotta (Les Années de plomb, 1981), la Française Agnès Varda (Sans toit ni loi,1985), l’Indienne Mira Nair (Le Mariage des moussons, 2001) et l’Américaine Sofia Coppola (Somewhere, 2010).
La cinéaste sino-américaine née en 1982 a passé toute son enfance à Pékin avant de partir aux États-Unis pour y étudier d’abord les sciences politiques dans le Massachusetts pour se tourner ensuite vers une formation cinématographique à New York. Dès son deuxième long métrage, The Rider, elle fait sensation au Festival Cannes où elle remporte en 2015 le Prix Art Cinéma du meilleur film à la Quinzaine des réalisateurs.
Vanessa Kirby, l’étoile du Lido
Le Festival de Venise s’annonçait dès le début comme une édition singulière, avec deux Lions d’or décernés à deux femmes pour leur carrière cinématographique, la réalisatrice hong-kongaise Ann Hui et l’actrice britannique Tilda Swinton, avec huit films de femmes sur 18 en lice pour le Lion d’or, et tout cela avec une femme présidente du jury, l’actrice australo-américaine Cate Blanchett.
Avec huit films de femmes sur 18 en lice pour le Lion d’or, le Festival de Venise s’annonçait dès le début comme une édition singulière. Parmi les nombreuses actrices extraordinaires, c’est la Britannique Vanessa Kirby, 32 ans, qui a été distinguée avec la Coupe Volpi pour la meilleure interprétation féminine pour son jeu émouvant dans Pieces of a Woman. Dans ce film hors du commun, elle donne corps à un plan-séquence d’une demi-heure d’un accouchement à domicile pour affronter ensuite la plus grande tragédie de sa vie…
L’histoire a été réalisée et écrite par le réalisateur hongrois Kornel Mundruczo et sa femme Kata Wéber qui ont personnellement vécu cette tragédie de perdre un enfant lors de l’accouchement. Vanessa Kirby, pour se préparer à ce rôle pas comme les autres, a assisté à Londres à un vrai accouchement. Elle a dédié son prix « à toutes les mères ayant perdu leur bébé » et à Venise qui a « permis de partager cette histoire qui est rarement racontée. »
Les années de plomb en Italie
L’acteur italien Pierfrancesco Favino a reçu la Coupe Volpi pour la meilleure interprétation masculine. Dans Padrenostro, il incarne Alfonso, un père de famille victime d’un commando terroriste. Il représente avec beaucoup de subtilité la vulnérabilité qui est entrée pour toujours dans sa vie et la vie de sa femme et son fils. Une figure forte, magnétique et héroïque, réalisée par le cinéaste italien Claudio Noce qui y raconte sa propre histoire vécue avec son père en 1976, lors des années de plomb en Italie.
Le Grand prix du jury pour Michel Franco
Avec son film choc Nueve Orden, le Mexicain Michel Franco a remporté le Lion d’argent, le Grand prix du jury. Il nous fait plonger dans une lutte de classe ultra-violente. Le début rappelle un peu Parasite, mais le réalisateur mexicain ne se limite pas à une histoire dystopique au niveau familial. Il élargit le désastre, la violence et le désespoir à tout un pays. Le nouvel ordre provoqué par une révolte populaire sera aussi injuste et violent, mais en plus totalitaire.
« J’ai commencé l’histoire il y a six ans, et j’n’avais aucune idée à quel point la réalité s’est approchée de mon histoire : les gilets jaunes en France, les mouvements en Chili, à Hong Kong, Black Lives Matter. Je ne suis pas un visionnaire. Il faut être aveugle pour ne pas voir qu’on va dans une impasse, avec de plus en plus d’inégalité. Si on continue à ignorer les pauvres, on arrivera à cette situation. »
Dans la section Orizzonti, la chanteuse marocaine Khansa Batma a reçu le prix de la Meilleure interprétation féminine pour Zanka Contact, du réalisateur marocain Ismaël El Iraki : « Elle est forte et belle, elle est mon héros ». Yahya Mahayni a remporté le prix de la Meilleure interprétation masculine pour L’homme qui a vendu sa peau, de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania (Tunisie).
Le palmarès de la Mostra de Venise
La Mostra de Venise a dévoilé samedi soir le palmarès de sa 77e édition, dont voici les principaux prix :
– Lion d’Or du meilleur film : « Nomadland » de Chloé Zhao (Etats-Unis)
– Grand Prix du jury : « Nuevo Orden » de Michel Franco (Mexique)
– Lion d’Argent du meilleur réalisateur : le Japonais Kiyoshi Kurosawa pour « Les amants sacrifiés »
– Prix du meilleur scénario : l’Indien Chaitanya Tamhane, scénariste et réalisateur de « The disciple »
– Prix spécial du jury : « Chers camarades » d’Andreï Kontchalovski (Russie)
– Prix de la meilleure actrice : la Britannique Vanessa Kirby pour son rôle dans « Pieces of a woman » de Kornel Mundruczo
– Prix du meilleur acteur : l’Italien Pierfrancesco Favino pour son rôle dans « Padrenostro » de Claudio Noce (Italie)
– Prix « Marcello Mastroianni » du meilleur jeune interprète : l’Iranien Rouhollah Zamani, un enfant des rues de Téhéran protagoniste pour son premier rôle dans « Khorshid » de Majid Majidi