— Par Jean Samblé —
À peine la nouvelle de la mort du pape François annoncée, ce lundi 21 avril, que les hommages officiels ont afflué des quatre coins du globe. Chefs d’État, responsables politiques, dignitaires religieux… tous saluent aujourd’hui une « figure spirituelle », un « artisan de paix » ou un « ami fidèle des plus fragiles ». Mais derrière ces formules policées, une réalité saute aux yeux : une partie de ces condoléances résonne d’autant plus creux qu’elles émanent de personnalités qui, tout au long de son pontificat, n’ont cessé de l’attaquer, parfois avec une rare virulence.
Pendant plus de dix ans, Jorge Mario Bergoglio, premier pape venu du Sud global, n’a cessé de bousculer les conservatismes. De son plaidoyer en faveur de l’accueil des migrants à ses appels à la justice sociale, en passant par ses critiques des logiques néolibérales et de l’armement mondial, François n’a eu de cesse de placer l’Évangile du côté des pauvres, des réfugiés, des opprimés. Un positionnement que beaucoup, notamment dans les rangs de l’extrême droite, n’ont jamais digéré.
Des adversaires devenus endeuillés officiels
À Rome, Giorgia Meloni, cheffe d’un gouvernement qui mène une politique migratoire dure, a salué sur X un pape qui a su « cultiver, réparer, protéger ». Mais elle omet de rappeler que François avait durement critiqué l’Italie pour ses pratiques d’expulsions massives et son abandon des migrants en Méditerranée. En 2023 encore, lors d’un discours vibrant à Marseille, le souverain pontife avait lancé un appel aux dirigeants européens pour qu’ils mettent fin à l’indifférence meurtrière. Une prise de parole que Meloni avait poliment écartée d’un revers.
Aux États-Unis, J.D. Vance, vice-président fraîchement converti au catholicisme, a lui aussi rendu un hommage minimaliste sur les réseaux sociaux, au nom des « millions de chrétiens qui l’aimaient ». L’ancien critique du « pape des migrants », proche de l’aile trumpiste du Parti républicain, avait pourtant récemment accusé François d’outrepasser ses fonctions en dénonçant les politiques migratoires restrictives et les dérives du capitalisme américain.
En Argentine, même l’extravagant président d’extrême droite Javier Milei a salué, du bout des lèvres, un homme avec lequel il entretenait une inimitié affichée. Lui qui avait publiquement qualifié François de « gauchiste imbécile » évoque désormais « des différences qui paraissent mineures ». L’opportunisme des vivants a visiblement le dernier mot.
Une tradition d’hypocrisie bien rodée
En France, le spectacle est tout aussi révélateur. La dirigeante du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui fustigeait le pape en 2017 pour son ingérence supposée dans la politique migratoire, a publié un message de condoléances discret, évoquant un héritage de « foi, paix et dialogue ». Son successeur à la tête du parti, Jordan Bardella, n’a pas manqué de souligner « l’attention portée aux plus fragiles », tout en passant sous silence ses attaques répétées contre François, notamment après sa visite à Marseille. Il lui reprochait alors de ne pas s’être recueilli à la mémoire de deux jeunes filles assassinées par un migrant, préférant « ignorer les sociétés européennes qui subissent les conséquences de l’immigration ».
Plus directe, Marion Maréchal, alliée de l’extrême droite identitaire, s’est contentée d’un « paix à son âme ». Cette sobriété tranche avec les déclarations passées où elle accusait le pape de trahir l’Europe chrétienne au profit d’une vision humaniste qu’elle jugeait « naïve » et « dangereuse ».
Eric Zemmour, fidèle à lui-même, n’a pas attendu pour souligner que « pour certains catholiques, son pontificat fut une épreuve », s’étonnant même que le pape ait pu vouloir que « l’Europe chrétienne devienne une terre islamique ». Quant à Philippe de Villiers, il a dénoncé sur Europe 1 un « pape woke » qui aurait « persécuté les chrétiens traditionnels ».
Un pape dérangeant jusqu’au bout
Jusqu’à sa dernière bénédiction urbi et orbi, François n’a cessé d’interpeller les puissants. En s’adressant directement aux fournisseurs d’armes à Israël – États-Unis et Union européenne en tête – il les plaçait face à leur complicité dans les violences à Gaza. Un message qui dérangeait profondément les dirigeants occidentaux, peu enclins à entendre une telle dénonciation dans le contexte du conflit israélo-palestinien.
Il faut rappeler que sous son pontificat, le Vatican avait officiellement reconnu l’État de Palestine dès 2015, un geste politique fort et sans équivoque. Ce n’est donc pas un hasard si Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, a salué non seulement un chef spirituel, mais « un ami fidèle du peuple palestinien ».
À l’inverse, les hommages du président israélien Isaac Herzog se sont prudemment cantonnés au terrain religieux, mettant en avant le dialogue interconfessionnel. L’écho politique du pontificat de François, pourtant central, a ainsi été soigneusement évité par ceux qui l’ont toujours combattu sur ce terrain.
Espoirs dissimulés d’un tournant conservateur
Derrière ces hommages feutrés, une attente se profile déjà : que son successeur, à l’issue du prochain conclave, rompe avec cette ligne trop sociale, trop inclusive, trop politique. Le courant réactionnaire, qui n’a jamais cessé d’instrumentaliser Jean-Paul II et de diaboliser François, espère un pape plus conservateur, plus « aligné », moins critique. Un pape du repli plutôt que de l’ouverture.
Mais l’histoire jugera. Et peut-être retiendra-t-elle qu’au milieu d’un monde fragmenté, le pape François aura tenté, avec ses mots, ses gestes, ses contradictions parfois, d’ouvrir des chemins de paix et de justice. Ce qui, à l’évidence, n’est pas du goût de tout le monde.