Intégrité, sens du mot et du silence… les mises en scène de Claude Régy, mort le 26 décembre à 96 ans, en imposaient par leur rigueur parfois austère. Mais, longtemps après que le rideau était tombé, la force de sa vision du théâtre vous habitait profondément.
“Il est décédé dans la nuit de mercredi à jeudi, tranquillement, dans une maison de retraite médicalisée”, ont indiqué son compagnon Alexandre Barry et son attachée de presse Nathalie Gasser. Claude Régy était un homme de théâtre respecté qui jusqu’au bout de ses forces a continué à monter des spectacles. Le dernier, “Rêve et Folie” de Georg Trakl avait été programmé au Festival d’Automne 2018 à Nanterre. Claude Régy avait alors annoncé que c’était sa dernière mise en scène.
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Longtemps assistant d’André Barsacq au théâtre de l’Atelier, travaillant la plupart du temps en collaboration avec des dramaturges contemporains, il a amené sur scène des écritures aussi diverses que celles de Peter Handke, Marguerite Duras, Jon Fosse, Arne Lygre, Botho Strauss ou Leslie Kaplan ainsi que les traductions de la Bible par Henri Meschonnic. Il a travaillé avec plusieurs scénographes, notamment Jacques Le Marquet, Daniel Jeanneteau et Sallahdyn Khatir. Il continua à travailler avec de jeunes acteurs, notamment au sein de l’école du TNB.
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Biographie
Fils de Marcel Régy, officier de cavalerie, Claude Régy naît dans une famille protestante et bourgeoise, et grandit entre Montauban et Nîmes. Tout en reniant le puritanisme, il reste très attaché à la spiritualité de la Bible.
Il s’oriente d’abord vers des études de droit et de sciences politiques mais, très vite, décide d’abandonner l’université afin de monter à Paris se former à l’art dramatique. Il suit les cours de Charles Dullin, Tania Balachova et Michel Vitold. Il devient assistant d’André Barsacq au Théâtre de l’Atelier, avant d’entamer ses propres mises en scène.
Intéressé par la littérature contemporaine, il se lance dans l’adaptation des œuvres de grands auteurs modernes (Marguerite Duras, Nathalie Sarraute…). Il montre un réel intérêt pour le dialogue et l’échange avec les auteurs de son temps, qu’ils soient français, ou anglo-saxons. Ses spectacles, joués au Théâtre Antoine à Paris avec des comédiens prestigieux (Delphine Seyrig, Jean Rochefort, Michel Bouquet, Jean-Pierre Marielle ou Pierre Brasseur), connaissent un grand succès.
Claude Régy se tourne, dans les années 1970, vers des auteurs non francophones tels que Peter Handke, Luigi Pirandello ou Anton Tchekhov. Il découvre aussi de nouveaux auteurs, qu’il met en scène, tel Gregory Motton (en).
Il s’est par ailleurs essayé à l’interprétation, notamment dans deux pièces de Jean-Paul Sartre, La Putain respectueuse, dans une mise en scène de Julien Bertheau, et Morts sans sépulture, dans une mise en scène de Michel Vitold en 1946.
Sa conception du théâtre tranche avec tout ce qui se faisait avant lui. Il développe une esthétique minimaliste qui deviendra la marque de fabrique de ses spectacles.
Vie privée
À sa mort, Claude Régy est le compagnon d’Alexandre Barry.
Esthétique théâtrale
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Claude Régy accorde plus d’importance au jeu de l’acteur qu’à l’intrigue ; il se place contre l’incarnation des personnages, et penche davantage vers l’appropriation du texte par le comédien. Visuellement, la présence ou l’absence de lumière prend le dessus sur le décor, les mots s’écoutent, les gestes s’observent, et tout cela se dilue dans des séquences volontairement longues et étirées.
L’esthétique du jeu d’acteur selon lui se caractérise par une diction hachée et monocorde, où les syllabes sont entre-coupées de silence, pour laisser place à notre imagination. La respiration est considérée comme l’essence du théâtre ; chaque geste, chaque mot doit être nécessaire. Le metteur en scène mise sur la force du silence et la sensibilité des acteurs à ce qui les entoure.
Il défend une création où l’on admet le doute, l’incertitude, l’incompréhension. Il s’exprime ainsi : « le désespoir est force de vie ». Il invite le spectateur à se nourrir du vide, en proposant des spectacles à l’esthétique minimaliste, où gestes et voix sont mis en valeur par une épuration maximale. Il mise sur la lenteur, la solitude, et ce climat de vide crée une vibration qui entraine le spectateur dans un état d’hypnose.
Il dit que parler de son travail est une tricherie, qu’il faut que les choses restent mystérieuses et secrètes, il refuse de donner un mode d’emploi à la compréhension de ses spectacles. D’ailleurs les spectacles sont plus à s’approprier qu’à comprendre: « il faudrait toujours que le public se sente en état de création », affirme-t-il. Il donne à voir et à entendre un spectacle sans finitude, où le public a aussi son travail de création à faire.
Les spectacles se passent souvent dans l’obscurité pour exacerber la perception. Le décor n’est ni réaliste, ni symbolique ; il laisse un maximum d’espace à l’imaginaire du spectateur et privilégie avant tout l’acoustique. On voit peu l’acteur pour laisser place à l’imagination. Ces mises en scène explorent les limites de la perception ; on ne sait pas si on voit, ni si on entend. Ils demandent une grande concentration dont on n’a pas l’habitude au quotidien.
Ses spectacles ont vocation à atteindre un public au-delà des spectateurs, par la circulation des impressions qui suit le spectacle. Il propose un réel rituel avec une démarche d’engagement pour les spectateurs en leur demandant, par exemple, de ne plus parler dès l’entrée dans la salle ou en conservant les téléphones portables en dehors du lieu de la représentation…
Commentaires
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Claude Régy explique que le silence est un moyen de communication avant la parole :
« Habituellement le spectateur considère que le spectacle commence quand le bruit arrive, or », rappelle Régy, « le silence fait partie du spectacle. Le silence dans la parole est une ouverture sur l’infini ; c’est le moment où l’imaginaire trouve sa place et où le spectateur peut ressentir la profondeur de l’esprit, du questionnement. La respiration fait partie de la traduction du texte, elle met en valeur la ponctuation. » […] « C’est la jouissance du texte. »
« L’écriture est l’impuissance à écrire, et c’est avec cette impossibilité que commence la poésie. »
Claude Régy traite les textes qu’il met en scène avec beaucoup de précision et de rigueur, il explique qu’il faut « prendre le temps ». Cet esthétique du jeu de l’acteur est très déstabilisante pour les comédiens, habitués à ce qu’on leur demande de l’efficacité. Aujourd’hui, les technologies meublent le vide (publicités, musique…), on a besoin de boucher les trous, on fuit le vide et la solitude et la quantité remplace la qualité. Selon Régy, le silence nous met en relation avec l’inconnaissable, l’irréel, l’irrationnel. Or « le doute est plus juste que le savoir qui est illusion », c’est pourquoi il est nécessaire de rester au plus proche du vide.
Claude Régy dit qu’il est à la « recherche d’un terrain inconnu par le rien » : il faut avoir le courage d’attendre, de laisser planer le silence, il arrive alors des choses qui n’arriveraient pas si on ne faisait que ce qu’on sait faire.
Œuvre théâtrale
Principales mises en scène
1952 : Doña Rosita de Federico Garcia Lorca, Théâtre des Noctambules
1953 : La vie que je t’ai donnée de Luigi Pirandello, Théâtre de l’Atelier, Théâtre des Noctambules, Théâtre des Mathurins
1953 : La Tragédie de la nuit de Thomas Otway, Festival de Châteaudun
1954 : Penthésilée d’Heinrich von Kleist, Théâtre Hébertot
1954 : Portrait de famille de Nino Frank et Paul Gilson, Théâtre des Mathurins
1955 : Gaspar Diaz de Dominique Vincent, Théâtre Hébertot
1957 : L’Autre Alexandre de Marguerite Liberaki, Théâtre de l’Alliance française
1962 : Frank V de Friedrich Dürrenmatt, mise en scène avec André Barsacq, Théâtre de l’Atelier
1963 : Les Viaducs de la Seine-et-Oise de Marguerite Duras, Poche Montparnasse
1964 : Bonheur, impair et passe de Françoise Sagan, Théâtre Édouard VII
1964 : Cet animal étrange de Gabriel Arout d’après Anton Tchekhov, Théâtre Hébertot
1965 : L’Accusateur public de Fritz Hochwälder, Théâtre des Mathurins
1965 : La Collection et L’Amant d’Harold Pinter, Théâtre Hébertot
1966 : La prochaine fois je vous le chanterai de James Saunders, Théâtre Antoine
1966 : Témoignage irrecevable de John Osborne, Théâtre des Mathurins
1966 : Le Retour d’Harold Pinter, Théâtre de Paris
1966 : Se trouver de Luigi Pirandello, Théâtre Antoine
1967 : L’Anniversaire d’Harold Pinter, Théâtre Antoine
1967 : Rosencrantz et Guildenstern sont morts de Tom Stoppard, Théâtre Antoine
1968 : Les Quatre Saisons d’Arnold Wesker, Théâtre Montparnasse
1968 : L’Amante anglaise de Marguerite Duras, TNP Théâtre de Chaillot
1969 : Le Jardin des délices de Fernando Arrabal, Théâtre Antoine
1969 : La Danse de mort d’August Strindberg, TNP Théâtre de Chaillot
1970 : La Mère de Stanisław Ignacy Witkiewicz, Théâtre Récamier
1971 : Les Prodiges de Jean Vauthier, TNP Théâtre de Chaillot
1971 : L’Amante anglaise de Marguerite Duras, Théâtre Récamier
1972 : Sauvés d’Edward Bond, TNP Théâtre de Chaillot
1972 : Home de David Storey, Espace Pierre Cardin
1973 : Isma de Nathalie Sarraute, Espace Pierre Cardin
1973 : Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner, Théâtre musical d’Angers
1974 : La Chevauchée sur le lac de Constance de Peter Handke, Espace Pierre Cardin
1974 : Vermeil comme le sang de Claude Régy, Théâtre de Chaillot
1975 : C’est beau de Nathalie Sarraute, Théâtre d’Orsay
1976 : Lulu de Frank Wedekind, Théâtre de l’Athénée-Louis-Jouvet
1976 : L’Amante anglaise de Marguerite Duras, Théâtre d’Orsay
1976 : Emma Santos, Nouveau Carré Silvia Monfort
1977 : L’Éden Cinéma de Marguerite Duras, Théâtre d’Orsay
1977 : Le malade imaginaire de Moliere, Théâtre Habima, Tel-Aviv
1978 : Les gens déraisonnables sont en voie de disparition de Peter Handke, Théâtre des Amandiers, TNP Villeurbanne
1978 : Le Nom d’Œdipe d’après Le Chant du corps interdit d’Hélène Cixous, Cour d’Honneur du Palais des Papes Festival d’Avignon
1979 : Navire Night de Marguerite Duras, Théâtre Édouard VII
1979 : Le Mort de Georges Bataille, Théâtre Édouard VII
1979 : Wings d’Arthur Kopit, Théâtre d’Orsay
1980 : Elle est là de Nathalie Sarraute, Théâtre d’Orsay
1980 : Trilogie du revoir de Botho Strauss, Théâtre des Amandiers
1981 : Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner, Grand Théâtre de Nancy
1981 : L’Amante anglaise de Marguerite Duras, Théâtre du Rond-Point : nouvelle version
1982 : Grand et petit de Botho Strauss, TNP Villeurbanne, Théâtre national de l’Odéon
1983-1984 : Par les villages de Peter Handke, Théâtre national de Chaillot, TNP Villeurbanne
1984 : Ivanov d’Anton Tchekhov, Comédie-Française
1985 : Passaggio opéra de Luciano Berio, Théâtre du Châtelet
1985 : Les Soldats de Jakob Lenz, avec les élèves du Conservatoire national d’art dramatique, Théâtre de la Bastille
1985 : Intérieur de Maurice Maeterlinck, Théâtre Gérard Philipe Saint-Denis
1986 : Le Parc de Botho Strauss, Théâtre national de Chaillot
1988 : Trois voyageurs regardent un lever de soleil de Wallace Stevens, Théâtre de la Bastille
1988 : Le Criminel de Leslie Kaplan, Théâtre de la Bastille
1989 : L’Amante anglaise de Marguerite Duras, Théâtre Renaud-Barrault
1990 : Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner, Théâtre du Châtelet
1990 : Huis clos de Jean-Paul Sartre, Comédie-Française
1990 : Le Cerceau de Viktor Slavkine, Théâtre Nanterre-Amandiers
1991 : Chutes de Gregory Motton, Théâtre Gérard Philipe
1992 : Jeanne d’Arc au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger, Opéra Bastille
1994 : La Terrible Voix de Satan de Gregory Motton, Théâtre Gérard Philipe
1995 : Paroles du sage d’Henri Meschonnic, Théâtre national de Bretagne
1996 : La Mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck, Théâtre Gérard Philipe
1998 : Holocauste de Charles Reznikoff, Théâtre national de la Colline
1999 : Quelqu’un va venir de Jon Fosse, Théâtre Nanterre-Amandiers
2000 : Des couteaux dans les poules de David Harrower, Théâtre Nanterre-Amandiers
2001 : Melancholia de Jon Fosse, Théâtre national de la Colline, Théâtre national de Bretagne
2001 : Carnet d’un disparu de Leoš Janáček, Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence
2002 : 4.48 Psychose de Sarah Kane, avec Isabelle Huppert, Théâtre des Bouffes du Nord
2003 : Variations sur la mort de Jon Fosse, Théâtre national de la Colline
2005 : Comme un chant de David d’après les Psaumes traduits par Henri Meschonnic, Théâtre national de la Colline
2007 : Homme sans but d’Arne Lygre, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier
2009 : Ode maritime de Fernando Pessoa, avec Jean-Quentin Châtelain, Théâtre Vidy-Lausanne, Festival d’Avignon
2010 : Brume de Dieu d’après Tarjei Vesaas, avec Laurent Cazanave, Comédie de Valence, Ménagerie de verre
2012-2013 : La Barque Le Soir d’après Tarjei Vesaas, avec Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian, Yann Boudaud, CDN Orléans, Le Centquatre, Paris
2013-2014 : Intérieur de Maurice Maeterlinck, au SPAC-Shizuoka Performing Arts Center, Shizuoka, Japon, Maison de la culture du Japon à Paris
2016 : Rêve et folie de Georg Trakl, avec Yann Boudaud, Théâtre Nanterre-Amandiers6
Comédien
1946 : La Putain respectueuse de Jean-Paul Sartre, mise en scène Julien Bertheau, Théâtre Antoine
1946 : Morts sans sépulture de Jean-Paul Sartre, mise en scène Michel Vitold, Théâtre Antoine
Prix et nominations
1991 : Grand Prix national du théâtre
1994 : Grand prix des arts de la scène de la ville de Paris
Molières 2010 : nomination au Molière du metteur en scène pour Ode maritime
2010 : Grand prix du théâtre du Syndicat de la critique pour Ode maritime