— par Térèz Léotin —
Marguerite Donnadieu, Aurore Dupin, Françoise Gourdji, François Marie Arouet, Henri Beyle, Louis-Ferdinand Destouches, Isidore Ducasse, André Pétricien, André Pierre-Louis, Jean-Baptiste Poquelin, Frédéric Louis Sauser, sont les noms d’état civil d’auteurs français connus. Cependant pour leurs activités d’écriture, ces noms ne figurent que dans leur biographie, et beaucoup parmi nous les ignorent parce que Marguerite Duras, George Sand, Françoise Giroud, Voltaire, Stendhal, Céline, Lautréamont, Tony Delsham, Monchoachi, Molière, Blaise Cendrars, sont respectivement leur nom de plume.
Vous viendrait-il à l’idée de débaptiser Françoise Giroud en la renvoyant à son nom d’état civil Gourdji ? En feriez-vous de même pour Marguerite Duras (Marguerite Donnadieu), George Sand (Aurore Dupin), Stendhal (Henri Beyle), Voltaire (François Marie Arouet), Tony Delsham (André Pétricien), Monchoachi (André Pierre-Louis), Molière (Jean-Baptiste Poquelin), Céline (Louis-Ferdinand Destouches), Lautréamont (Isidore Ducasse), Blaise Cendrars (Frédéric Louis Sauser) ? Ou même Johnny Hallyday l’appelleriez-vous Jean-Philippe Smet ? Refuseriez-vous à Jacques Delmas son nom de résistant Chaban, comme vous vous êtes entêtez à le faire pour Boukman ?
Le droit français admet l’usage d’un pseudonyme. Il est même possible que celui-ci figure sur la carte d’identité à côté du vrai nom. L’usage du pseudonyme est autorisé, en droit d’auteur. Un grand nombre préfère les noms de plume, et ce n’est pas d’aujourd’hui. L’écrivain Romain Gary né Roman Kacew, obtint à deux reprises le prix Goncourt d’abord en 1956, puis en 1975, sous le pseudonyme d’Émile Ajar. Le nom de plume est un pseudonyme qui identifie un auteur qui ne veut pas utiliser son vrai nom. Il peut, entre autres raisons, avoir été choisi pour camoufler son sexe, préserver sa vie privée, garder son anonymat, ou encore éviter toute confusion avec un autre auteur connu qui porterait le même nom. Il peut être le « nom de guerre » d’un écrivain qui veut montrer sa prise de position, sa résistance, se faire un nom, se construire une identité.
Pour les activités d’écriture, on parle de nom de plume, celles qui se rapportent à l’image sont dites nom de scène ou nom d’artiste. On parle aussi de noms de guerre pour ceux qui pendant la Seconde Guerre, prirent des noms de résistance. Par la suite ils ont pu être rattachés à leur nom d’état-civil. On l’a vu plus haut, Jacques Delmas, avec son nom de résistance Chaban, devint Jacques Chaban-Delmas.
…POUR UNE RÉSILIENCE
Sur Martinique Première, lors d’une émission télévisée le jeudi 15 novembre 2012, en refusant de dire le nom de plume de Daniel Boukman qu’il n’a cessé de revendiquer, en le nommant à plusieurs reprises par son nom d’état-civil, dans votre insistance à l’appeler « mon interlocuteur » , je n’ai pas senti en vous le rassembleur que vous prétendez être. Il est vrai qu’il ne suffit pas seulement de le déclarer. « La hauteur de l’orgueil se mesure à la profondeur du mépris » , disait André Gide. C’est le béké qui nomme : voilà, hélas, la triste impression que vous m’avez laissée, moi qui vous croyais plein de bonne volonté pour une saine approche, une bienfaisante rencontre, pour une résilience comme vous le dites si bien. C’est que j’étais naïve. En refusant de reconnaître à Daniel Boukman, cette identité permise par le droit français, n’est-ce pas, pour vous, une façon de montrer que, pour nous les colonisés, seule l’identité se rapportant au nom imposé serait valable ? Cela m’effraie de le croire. Selon moi, il y a eu là, manière de déconstruire cet écrivain, manière d’étaler votre « puissance » . Il n’y a que Dieu qui puisse être tout puissant. Il reste encore la possibilité pour l’homme de se donner ou de recevoir un nom, en lien avec ce qu’il a accompli ou ce qu’il compte faire, ou de l’image qu’il renvoie : « Aussi, désormais, quant à nous, nous t’appellerons Reine sans nom » , in Pluie et vent sur Télumée Miracle de Simone Schwarz-Bart. Ainsi, la fille de Minerve reçut deux noms l’un de sa mère Toussine, l’autre de sa communauté.
Dans son chapitre XXIII du Traité sur la tolérance intitulé : « Prière à Dieu » , Voltaire demande « … Que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse… » .
Térèz Léotin, un auteur qui a choisi d’écrire Térèz en créole et Léotin en français pour montrer, avec ce nom de plume, sa double appartenance créole et française.
« Mon interlocuteur » est une lettre ouverte à Monsieur Roger de Jaham
Lettre parue initialement dans France-Antille Martinique 20.11.2012