— Par Gary Klang —
Mon ami allemand s’appelait Fritz Kahl et vécut si longtemps en Haïti qu’il parlait le créole aussi bien que sa langue maternelle. Je veux ici raconter son histoire pour montrer que dans les armées d’Hitler tout le monde n’était pas nazi. Qui plus est, Fritz était communiste. Mais il dut faire la guerre tout simplement parce qu’il était allemand. Son frère Herbie périt sur le front russe, aviateur comme lui. Fritz m’a souvent raconté ses propres exploits guerriers et la méthode des SS qui, pour l’endurcir, le mettait nu dans la neige en plein hiver.
Il fit la guerre à contre-cœur dans la Luftwaffe et descendit plusieurs pilotes la mort dans l’âme, vu qu’il ne les considérait pas comme des ennemis. Mais il devait tuer pour ne pas être tué. Telle est l’horreur de la guerre.
Un jour, mon ami Fritz, n’en pouvant plus de cette absurdité, atterrit dans un désert et attendit que les troupes britanniques viennent l’arrêter. Elles le trouvèrent assis dans le sable. Il leur dit alors que pour lui la guerre était terminée et qu’ils pouvaient, s’ils le voulaient, le fusiller sur place. Mais les Anglais se contentèrent de le faire prisonnier puis le transférèrent aux Américains dont le général, sans doute un descendant de cowboy, commença par l’insulter, puis le gifla en le traitant de Schwein, cochon en allemand. Fritz décida qu’une fois sorti il montrerait à ce rustre de quel bois se chauffait un ancien résident de Pétion-Ville. Ce qui fut dit fut fait. Il retrouva la demeure du général et une nuit, armé de pierres, il en brisa toutes les vitres. La vengeance est un plat qui se mange froid.
Lorsque j’allai le voir à Francfort, il travaillait pour Air France, car il adorait les avions, et sa maison était pleine d’appareils miniatures accrochés au plafond. Une obsession. Il était en outre instructeur de vol et me fit faire un tour dans un avion de chasse pour me montrer comment faire une descente en piqué. Jusque-là tout allait bien mais quand il me proposa un looping, je refusai poliment.
Ajoutons que chaque fois qu’il apercevait un Noir dans la rue, il l’abordait pour lui demander s’il était haïtien. Mon ami Fritz était resté pétionvillois dans l’âme.
Je tenais à raconter son histoire pour qu’on se souvienne de mon ami Fritz, nazi malgré lui, et qui aima tellement Haïti.
GARY KLANG