— Par Selim Lander —
On connaît et apprécie Ricardo Miranda pour sa fantaisie et sa créativité en tant que metteur en scène. Le voici de retour sur la scène du Théâtre municipal avec une pièce de « danse-théâtre» dont il est l’auteur et qu’il interprète avec deux comédiennes-danseuses. Le propos – donner la parole aux femmes dans un monde d’hommes – tombe à pic au moment où l’affaire Weinstein et quelques autres rappellent que, effectivement, les femmes ne sont trop souvent pour les hommes que des ménagères ou des objets de plaisir.
Passons sur la note d’intention qui peut laisser perplexe : « Quand on cherche des informations sur la femme en tant que groupe social, on constate l’absence d’historicité, d’études sur elles » (sic). N’y a-t-il pas plutôt pléthore dans ce domaine depuis – pour ne citer que deux noms français – Simone de Beauvoir et Françoise L’Héritier et le développement exponentiel des « études de genres ».
Peu importe, après tout, que R. Miranda se présente comme pionnier en matière de féminisme. Nous sommes au théâtre : ce qui compte, c’est moins le propos que la manière dont il est porté à la scène. Ce qui frappe d’abord, c’est la réduction à la portion congrue du dialogue au profit de la chorégraphie. Danse-théâtre : c’est bien de cela en effet qu’il s’agit. Et là, il faut tout de suite constater que les trois interprètes, s’ils ne déméritent pas, ne sont pas de ces danseurs qui « brûlent les planches ». A quoi s’ajoute une chorégraphie qui prolonge chaque séquence au-delà du nécessaire. Si bien que cette pièce si peu bavarde parvient néanmoins à être trop démonstrative.
On n’est pas accablé pour autant. Le propos est sympathique et la manière dont il est traité l’est aussi. Les parties dialoguées sont pertinentes et n’ont que le tort d’être trop courtes. On a goûté, entre autres, comme une curiosité la défense du poil[i], et admiré le traitement contrasté de l’apparition des règles chez les adolescentes.
Côté visuel, on aime en particulier le prologue muet, dans une baignoire, avec une femme aux jambes démesurément longues : elles sont deux, évidemment, visibles chacune à moitié mais leur ballet est bien réglé et plein d’humour… simplement trop long. Le morceau de bravoure, très réussi, grand classique des cours de théâtre, toujours muet et pour cause, est sans doute celui au cours duquel R. Miranda manipule ses deux camarades comme deux mannequins en celluloïd qu’il faut apprêter avant de les mettre en vitrine.
On aime moins les sortes de « collants » couleur chair qui couvrent intégralement les trois personnages quand ils ne sont pas autrement habillés. On voit bien deux raisons qui ont conduit à refuser la nudité : le souci de ne pas choquer un public qui, contrairement à d’autres, n’a pas été habitué à voir des comédiens nus en scène[ii] ; la possibilité de faire de ces secondes peaux des boites aux accessoires d’où sortent à la demande des rubans rouges pour représenter les règles ou que l’on peut bourrer aux « bons endroits » lorsqu’on entend dénoncer l’érotisation à outrance du corps féminin siliconé. Dont acte. Mais fallait-il choisir quelque chose d’aussi disgracieux, qui flotte autour du corps plutôt qu’il ne le moule, évoquant surtout les pyjamas de nos (arrière-) grand-pères ?
Cette fantaisie mirandienne, on l’aura compris, n’est pas de celles que l’on a goûtées le plus, même si on a retrouvé avec plaisir le petit grain de folie qui fait le sel de ses spectacles. Avec Moi Êve, il a voulu présenter un divertissement plus qu’une pièce de théâtre, un divertissement de surcroît dont il est l’auteur[iii] et qui accorde la première place à la chorégraphie. C’était tenter beaucoup de paris à la fois, sans doute trop.
Moi Êve, la pire de toutes, M.E.S. Ricardo Miranda, avec Emilie Alves de Puga, Lindy Callegari, Ricardo Miranda. Fort-de-France, Théâtre municipal, du 22 au 24 février 2018.
[i] Pour les lecteurs intéressés, signalons que la « dictature de l’épilation » fait l’objet d’une étude approfondie de la part de Stéphane Rose : Défense du poil – Contre la dictature de l’épilation intime, coll. « L’Attrape-corps », Paris, La Musardine, 2010.
[ii] Les performances dénudées d’Annabel Guérédrat s’adressant jusqu’ici à un public restreint.
[iii] Ou s’agit-il d’une écriture de plateau ? Cela n’est pas précisé. On comprend néanmoins que la chorégraphie est une création collective des trois interprètes.