Vendredi 27 janvier / 19h / Médiathèque du Saint-Esprit
“Sé bèf douvan ki bwè dlo klè !”
Monsieur Hearn avait déjà sorti son petit cahier noir. Cette fois-ci, j’osai lui demander la raison de ce que je considérais comme une indiscrétion.
“La curiosité est mon métier, Cyrilia. J’ai dans l’idée que la phrase que vous venez de prononcer est un proverbe de chez vous, domaine qui me passionne… Quel est son sens ?”
“ C’est le boeuf qui est arrivé le premier qui a droit à l’eau la plus claire” signifie que, contrairement à ce que vous venez d’affirmer, les mieux placés sont toujours lesprivilégiés !”
[…]
– Quelle chaleur, ma fille ! On se croirait en plein carême et je meurs de soif !
– Voilà que je manque à tous mes devoirs ! Tu prendras bien un peu de café ou d’eau de coco ?
– N’aurais-tu pas plutôt une petite goutte de shrubb * ?
– Du shrubb, au beau milieu de la matinée ?
– Il est certes un peu tôt, mais tu sais bien que c’est mon péché mignon !
– L’autre jour, j’ai préparé, à l’avance comme d’habitude, mon shrubb de Noël….
Savourant la liqueur odorante, la voisine fit claquer sa langue avec gourmandise.
– Je n’ai jamais rien goûté d’aussi délicieux, ma chère ! Dismoi, comment as-tu rencontré ce beau Monsieur ? –
– Monsieur Hearn ? Je l’ai rencontré devant un corossol *!
– Un corossol ?
– Assez faire la fête avec moi, Sissi ! ……
– Impossible de s’ennuyer avec lui, ma bonne amie ! Après le dîner, nous avions toujours de longues discussions et sur des tas de sujets ! C’était un homme si naïf… Il était aussi gourmand qu’un chat et il appréciait bien ma cuisine… Son plat préféré, c’était le gratin de cristophine… Il en réclamait tout le temps … “Le gratin, toujours le gratin… Pas un mot sur mon dessert ! Vous n’avez pas aimé mes bananes flambées ?”
Je l’entends encore: “Cyrilia, my dear, j’adore vos bananes flambées!”
– C’est là que je l’attendais ! “On n’adore que Dieu, Monsieur Hearn ! […]
– Tu es sûre que c’est seulement ta tenue qui l’a emerveillé ? persifla Renélise.
– Oui, ma chère ! A l’époque, Monsieur n’avait jamais vu une vraie grand-robe de chez nous… Sortant de sa poche son inévitable carnet noir, il s’est mis à m’inonder de questions… On se serait cru à la douane.
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Ainsi se déroule, dans cette Martinique de la fin du XIXe siècle, une conversation entre Renélise Belhumeur, lavandière de son état, et sa voisine Cyrilia Magloire. Le sujet de ces bavardages ?
Le séjour à Saint-Pierre d’un singulier personnage, Lafcadio Hearn, journaliste passionné de culture créole, qui a engagé Cyrilia comme gouvernante. Par la suite, devenue l’informatrice privilégiée de celui qui disait vouloir tout connaître de la culture populaire martiniquaise, elle se fera ethnographe avisée de sa propre culture. Cet « échange de paroles » entre les deux commères prend son origine dans les souvenirs que l’écrivain Lafcadio Hearn – plus tard connu pour ses écrits sur le Japon – a laissés de son séjour à Saint-Pierre de la Martinique, en 1888. Véritable document ethnographique, ce livre est aussi un moment de pur bonheur oratoire, l’écriture d’Ina Césaire restituant merveilleusement l’inventivité, l’humour et la vigueur poétique de la langue créole.
Ina Césaire
Ina Césaire, née en 1942 en Martinique, est une dramaturge et ethnographe française. Dans son article de 1981 « Littérature orale et contes » elle explique comment les contes caribéens sont de véritables révélateurs de l’esprit caribéen et affirme que le rôle du conte populaire caribéen est de représenter la culture.
Biographie
Ses parents sont Suzanne et Aimé Césaire. Sa mère est, tout comme son père, une écrivaine française de la Martinique dont l’œuvre est liée au mouvement de la négritude francophone.
Ina Césaire commence une carrière universitaire en France dans l’ethnographie et se spécialise dans la culture peule et créole qu’elle enseigne à l’université à Paris. Elle dirige des recherches sur la culture caribéenne au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Elle est également réalisatrice de films dans le domaine de l’ethnologie4 sur la Toussaint et le Mercredi des Cendres5. Elle devient chargée de mission à la conservation du patrimoine de Martinique au CRNS.
Carrière littéraire
Ina Césaire a écrit des romans, des pièces de théâtre, de la poésie et des essais académiques.
Elle publie des recueils de contes antillais en créole et retranscrits en français : Contes de mort et de vie aux Antilles en 1976, et Contes de nuits et de jours aux Antilles en 1989.
Son œuvre littéraire s’inspire à la fois de son historie personnelle et de sa carrière d’ethnographe avec la volonté de transmettre une mémoire collective et les luttes d’émancipation aux Caraïbes. En 1985 elle publie la mise en scène d’une conversation entre ses deux grands-mères : Mémoires d’Isles, maman N et maman F. En 1992 elle aborde la thématique des grèves du sucre de 1870 dans Rosanie Soleil. Enfin en 1994 Zonzon Tête Carrée compile de façon humoristique des anecdotes et des légendes martiniquaises mettant en avant la diglossie, la situation des femmes martiniquaises dans le cadre d’un taxi collectif.
Yna Boulangé
Comédienne danseuse martiniquaise, modèle inspirant peintres, photographes et musiciens, coach, assistante réalisatrice, voix off TV, chorégraphe… Elle prend plaisir à être autant en lumière que dans l’ombre. Animée par une curiosité, elle démultiplie ses expériences dans diverses disciplines sans pour autant se disperser, toujours en quête nourrissante de la liberté de sa propre expression. Josiane Antourel, Robert Charlotte, Gilles Elie dit Cosaque, Philippe Bourgade, Noritishi Hirakawa, Alain Jean-Marie, Stéphanie Batten Blend, Ruddy Sylaire, Jacques Courcil, Claude Cauquil, Marlène Myrtil, Olivier Ozier Lafontaine, Michael Perota Aurélie Dalmat, Jean-Claude Zadith, Philippe Adrien, Joel Zobel, José Chalon, Mylène Bey, Poglo, Michael Caruge, Noël Jovignot, Camille Mauduech, Mayou Luc, Aly Yeganeh , Noel Chateau…
Elle compose en 2011 la chorégraphie de « Folie » de Marie vieux Chauvet, adaptation de José Pliya dans une mise en scène de José Exélis, En 2013, un montage poétique Césaire Mandéla et la mise en scène de textes de Louis Philippe Dalembert dans la pièce chorégraphique « Cri de mes racines » de Josiane Antourel en 2017.
Parallèlement, elle s’est initiée à la production et est l’origine de la création des Cies « BY4 » En 2007 et le « Théâtre du 6ème Continent » en 2014
Le corps qui dit, les mots qui dansent, le regard qui dessine, l’esprit qui mène.
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