— Par Christian Jean-Etienne, président —
Le Comité Devoir de Mémoire Martinique, préoccupé par la situation de crise que nous vivons depuis trop longtemps s’interroge sur la Vie chère en Martinique. Elle est le résultat direct de mécanismes économiques issus de l’époque coloniale. On peut remonter à 1670, siècle de l’absolutisme pour l’installation du pacte colonial afin de comprendre cette situation. Cette doctrine économique avait pour but de favoriser les intérêts économiques de la Métropole coloniale en consolidant son pouvoir financier et en contrôlant son monopole sur le commerce et le système de l’exclusif. Selon cette doctrine, la colonie est autorisée à exporter uniquement vers la Métropole les matières premières indispensables au développement de son industrie et à n’importer que des produits venant de la Métropole.
Ce rappel historique est utile pour mieux appréhender la complexité de la réalité vécue et pour comprendre le ras-le-bol légitime des Martiniquais. Cette réalité illustre un contexte social et économique caractérisé par un taux de pauvreté 5 à 10 fois plus élevé qu’en France et une cherté de la vie hors du commun, jusqu’à 40% plus élevée. L’économie de l’île est tournée principalement vers la culture de la banane et de la canne à sucre, qui occupe 50,1 % du territoire et affectée à l’export. Ainsi les importations alimentaires sont estimées dans un rapport de l’Assemblée Nationale à 87 % ce qui illustre notre dépendance. C’est à se demander si la France n’a jamais envisagé une politique de décolonisation.
A notre situation de survie s’ajoute l’effondrement du pouvoir d’achat de la population et une augmentation insupportable de l’inflation impactant les catégories les plus défavorisées. Cet état des lieux perdure depuis des siècles, avec une population afro descendante esclavisée, exploitée, spoliée de son travail, jamais indemnisée, n’ayant bénéficiée d’aucune réparation pour les injustices et les souffrances subies.
Les structures économiques actuelles, dominées par une petite élite héritière du passé colonial, continuent de profiter de cette injustice historique, créant des inégalités insupportables qui asphyxient la majorité de la population. La misère sociale s’aggrave pour de nombreux compatriotes, malgré les aides de solidarité, de secours et malgré les alertes signalées au monde politique. Historiquement, les Békés, descendants des colons esclavagistes, ont conservé une mainmise sur l’économie, notamment dans l’agriculture, dans l’import-export et dans la grande distribution. Manifestation caractéristique d’une situation d’oligopole. A l’origine, une économie de comptoir renouvelée par un système néolibéral. Une concentration des terres et des richesses dans les mains de quelques familles, une poignée de grands groupes avec des positions de quasi-monopole pour réaliser des taux de marge exorbitants, a non seulement limité les opportunités économiques pour les Martiniquais, mais a aussi renforcé la dépendance à l’importation de produits métropolitains.
D’importants surcouts liés à l’éloignement géographique, des coûts exorbitants à cause des nombreux intermédiaires, des coûts de transport abusif et des taxes dont la TVA et l’octroi de mer viennent aggraver cette cherté de la vie en Martinique. De ce fait, le prix des biens de consommation de base est bien plus élevé qu’en France hexagonale, créant une pression insoutenable sur les ménages. De plus, la modification de nos goûts, de nos modes de consommation, de nos mœurs et coutumes, instaurée par l’assimilation, a accentué notre dépendance à des produits étrangers à nos territoires.
Face à cette situation, les revendications pour une baisse des prix ne sont pas seulement justifiées, elles sont d’une nécessité absolue. Si les méthodes pour y parvenir peuvent prêter à débat, l’essentiel réside dans l’urgence à agir. L’immobilisme ne changera rien. La Martinique ne peut plus rester otage de ce modèle économique hérité de la colonisation. Officiellement un tel pacte n’existe plus, dans les faits, mais il perdure sous de nouvelles formes du capitalisme. Il est urgent d’instaurer un nouveau mode de développement qui renforce la production martiniquaise et garantisse une baisse des prix en lien avec une autre approche des importations. Il est essentiel que l’ensemble des acteurs économiques, politiques et sociaux prennent conscience de cette réalité et travaillent ensemble, dans un esprit de transparence, de sincérité et de solidarité, pour briser ces chaînes.
Être ensemble, solidaire dans le combat pour un intérêt commun, clairement identifié et accepté par le plus grand nombre, est une bonne manière d’endiguer cette violence urbaine, ces pillages et toutes les exactions inadmissibles dont nous sommes tous victimes, directes ou collatérales. En somme, la baisse des prix en Martinique n’est pas seulement une revendication économique, c’est une bataille pour la justice sociale et la dignité des Martiniquais. Le combat pour un coût de la vie plus raisonnable est une manière de rétablir une certaine justice historique, après des siècles d’exploitation et de privation. Cette crise vient raviver un profond malaise dans la population, une aggravation des inégalités, elle vient aggraver la fracture sociale entre les Martiniquais descendants d’esclaves et les békés, descendants de colons.
En dépit de toutes les rencontres organisées, le résultat est précaire.
Il ne s’agit pas de préserver des privilèges ou des intérêts corporatistes, mais de construire un futur équitable où chacun peut vivre dignement. La Martinique a besoin du génie de toutes ses filles et de tous ses fils. Si rien n’est fait, ce système continuera de s’effondrer sous son propre poids, laissant derrière lui une société martiniquaise encore plus divisée et appauvrie.
Il est temps de faire corps, de faire front, et d’exiger le changement que la population martiniquaise mérite depuis trop longtemps.
Pour le Comité Devoir de Mémoire de Martinique,
Christian JEAN-ETIENNE, le président.