« Miracle en Alabama », mais pas à Fort-de-France!

— Par Roland Sabra —

Au théâtre foyalais, une ouverture de saison en demi-teinte en attendant

« La Maison du peuple  » de Louis Guilloux



« Miracle en Alabama » mais pas à Fort-de-France! Michèle Césaire nous a habitués à plus d’audace que la reprise d’un succès qui a fait le tour du monde. Encore qu’il y ait quelque risque à re-mettre en scène « L’histoire d’Helen Keller » parue en 1902 et qui fit l’objet d’une adaptation cinématographique par William Gibson d’après sa pièce de théâtre, dans une mise en scène d’Arthur Penn de nombreuses fois « nominée » aux Oscars et doublement récompensée en 1963. Le titre du film The Miracle Worker est plus proche du thème que le titre français. Anne Sullivan, l’institutrice anciennement aveugle tout juste sortie de l’école de Boston est en effet la travailleuse miraculeuse ou plus exactement l’accoucheuse de miracle, qui luttant contre le double sentiment de culpabilité et de honte dans lequel l’entourage familial enferme la jeune fille va lui permettre d’advenir à elle-même. « Là où c’était le Sujet doit advenir ». Un des points forts de la pièce, traduite par Margueritte Duras et Gérard Jarlot est de mettre en évidence la résistance d’Helen Keller à toute modification à tout changement dans la situation, résistance renforcée par le milieu familial qui au-delà de la plainte trouve quelque confort à ce que rien ne bouge, et ce au nom du souverain bien souhaité à la jeune fille. Anne Sullivan en permettant à son élève de se constituer un espace propre dans lequel elle échappera aux déterminations et aux désirs familiaux lui donnera les moyens d’accéder au langage et de dire « Je ». Combat de Jacob avec l’Ange, le travail éducatif est un affrontement de tous les jours que mene le pédagogue contre l’élève mais aussi (et surtout) contre les parents. Anne Sullivan est une illustration du travail du négatif, du travail de la différence, du travail de l’altérité, sans lequel il n’est pas d’identité possible. Ce qui est à l’oeuvre dans sa démarche ce n’est pas la recherche du bien d’autrui, celui d’ Helen, à qui elle déclare tout de go : « Comme institutrice, je ne suis pas là pour vous aimer », et elle a bien raison, mais une re-visitation de sa propre traversée d’ancienne handicapée à laquelle son travail d’éducatrice donne sens.

On le comprend notre déception est à la hauteur du propos de la pièce. La scènographie misérable, une table et quatre chaises achetées en catastrophe chez le marchand de meuble du coin, un puits de jardin totalement ridicule et absolument inutile en avant de la scène côté cour, une échelle mise au sol pour soudainement illustrer une voie ferrée et aussi vite disparue qu’était dérisoire la tentative de « métaphorisation » de son franchissement, accompagnait une mise en scène qui jouait au premier degré sur l’émotion de la situation sans cette distanciation qui invite à la réflexion. On peut toujours, pour se consoler et être sûr de passer une bonne soirée acheter le DVD du film d’Arthur Penn. Il reste à trouver une vidéothèque digne de ce nom.

Beaucoup de sévérité, diront certains, surtout si l’on compare avec ce qu’on nous annonce comme reprises, dans les mois prochains de spectacles autrement in-aboutis et mal torchés, lors de leurs premières présentations au CMAC et à l’ATRIUM, ( Huis-Clos, Roméo et Juliette…) mais on ne peut comparer que ce qui est comparable et la déception est à la hauteur des attentes auxquelles nous avait habitués le Théâtre Municipal.

Cette année s’annonce donc décidément sous le signe de la reprise, puisque « Mingus ou moins qu’un chien » de Neil King, déjà présentée au Lamentin il ya deux ou trois ans, succédait à la pièce de William Gibson. En deux mots on regrettera l’absence de mise en scène et l’absence de direction d’acteur à moins qu’il ne s’agisse dans ce cas d’une impossibilité liée au comédien lui-même. Dommage, vraiment dommage! Le CMAC ne va pas mieux quand on songe à l’affligeant spectacle que nous a vendu La Cie Zadith Ballet Théâtre  » Où va la lune? » Où va Jean-Claude Zadith? Nulle part, il semble figé, immobilisé empêtré dans le début des années 70 du siècle dernier, privé de toute capacité créatrice, incapable de susciter la moindre émotion. Un spectacle ennuyeux au possible, d’une immense platitude, à peine sauvé par « La Métamorphose » des cubains de la Cie Narcisco Medina.

Dernière valeur sûre annoncée, la Maison du peuple de Louis Guilloux jouée par Marcel Maréchal en personne sous la direction de François Bourgeat qui recueillait en 1977 dans un entretien avec l’auteur ces propos :

Louis Guilloux, vous avez soixante dix-huit ans. Reprendriez-vous à votre compte la phrase de Cripure : « La vérité de cette vie, ce n’est pas qu’on meurt, c’est qu’on meurt volé » ?
« Et comment! Je suis au SMIG! Dans ce sens-là, alors oui, je suis un écrivain prolétaire, pas prolétarien! Ah oui, on meurt volé! Et volé sur tous les plans. Dans cette putain de société, où on parle sans cesse de milliards, mais où il n’y a jamais d’argent pour les moins favorisés, on vous prend tout! La seule chose qu’ils n’ont pas pu me prendre, c’est mon temps. Et vous voudriez que tout ça continue? Pas possible. Entre 40 et 45, nous avons découvert l’horreur des camps de concentration. Et comme réponse à Auschwitz, nous avons inventé quoi? Le drugstore ! Il aurait fallu quand même autre chose, en face, à la dimension, non? On a plongé au comble de l’horreur, un million d’enfants assassinés et brûlés. Et la réponse à çà? Le drugstore.
Louis Guilloux, vous ne démissionnerez jamais? !
« Ne craignez rien, je mourrai vivant. »
Si comme l’écrit Michel Cournot : « la rencontre Guilloux-Maréchal ; c’est immense. » c’est que la vie est un combat et il nous faut des Louis Guilloux, de ces êtres qui ne cèdent pas sur leur désir.

Roland Sabra