— Par Nicolas Chapuis et Simon Piel —
Depuis trois semaines, le producteur est devenu le visage de la lutte contre les brutalités des forces de l’ordre. Il n’a pourtant rien du porte-parole de la cause, et est souvent là où on ne l’attend pas.
Les fêlures de la vitrine sont dissimulées à grand-peine derrière les pétales d’une orchidée déposée opportunément là. Sur le sol, des traces de combustion trahissent l’endroit où la grenade lacrymogène a explosé. Au mur, un portrait de la chanteuse Diam’s semble contempler la « scène de crime ». Et dans l’angle de l’entrée de ce studio de musique du 17e arrondissement de Paris, la caméra de vidéosurveillance, sans laquelle Michel Zecler, 41 ans, n’en « serai[t] pas là aujourd’hui », à échanger avec des journalistes du Monde.
Trois semaines après l’agression dont il a fait l’objet par un équipage de policiers, le 21 novembre, le producteur de musique « ressasse les images de ce qui s’est passé ». « Sur le plan psychologique, j’ai vraiment du mal, j’ai pris rendez-vous avec un psychiatre », explique-t-il d’une voix blanche. Les nuits sans sommeil, les cauchemars, l’impossibilité de travailler, de passer à autre chose… Une attelle articulée qui lui soutient le bras témoigne de l’opération qu’il vient de subir, à la suite de la rupture du tendon qui retient le biceps.
On devine, derrière les épaules affaissées du grand gaillard, un homme peu enclin à s’avouer ébranlé. « C’est un peu difficile pour moi, parce que je pensais que j’allais mieux gérer que ça, mais j’y pense tout le temps. » Il vient deux heures par jour à son studio mais assure « ne pas être un cadeau pour [son] associée en ce moment ». Selon son chirurgien, son incapacité temporaire de travail devrait être réévaluée à quatre-vingt-dix jours, contre les six initialement retenus par l’unité médico-judiciaire.
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C’est donc à ça que cela ressemble, une « victime » de violences policières. En trois semaines, Michel Zecler est devenu le visage de la lutte contre les brutalités des forces de l’ordre. Son affaire, révélée par le média en ligne Loopsider, coche toutes les cases : un motif d’intervention bancal, un déferlement de violence incompréhensible, des coups portés après le menottage, l’usage inapproprié de l’armement intermédiaire, le mensonge sur procès-verbal, l’inversion de la culpabilité, la criminalisation de la victime… Le tout filmé sous tous les angles.
Scandale national
Samedi 21 novembre, Michel Zecler pénètre dans son studio de musique du 17e arrondissement. Trois policiers l’ont repéré dans la rue pour non-port du masque. Ils s’engouffrent derrière lui dans le local, sans autorisation. S’ensuit une pluie inexplicable de coups, à laquelle il ne répond pas. Le producteur assure en outre avoir entendu des insultes racistes, ce que nient les agents.
Face à sa résistance passive, et se rendant compte que des jeunes gens sont présents dans le studio pour enregistrer un morceau, les fonctionnaires se replient pour mieux revenir à la charge. Une grenade lacrymogène est jetée dans le local, hors de tout cadre légal. Des renforts qui sont arrivés entre-temps braquent la porte d’entrée du studio. Michel Zecler finit par être extirpé. Il est plaqué au sol, menotté, puis roué de coups à nouveau.
Arrivé au commissariat, il est accusé de rébellion et d’outrage. Les policiers remplissent des procès-verbaux qui déforment la réalité, ne sachant pas que l’intégralité de la scène a été enregistrée par la vidéosurveillance et par des voisins. La diffusion de ces images par Loopsider transforme l’affaire en scandale national.
Le dossier paraît limpide et ne souffre pas de contestation, ou presque : dans leur dernière version, les policiers affirment avoir repéré une forte odeur de drogue émanant de Michel Zecler. Ils l’auraient suivi dans son local croyant qu’il s’agissait d’un hall d’immeuble, quand bien même la façade ressemble à celle d’une boutique. Dans sa sacoche, les agents ont retrouvé 0,5 g de résine de cannabis. « Quand les policiers ont trouvé ce grain de riz, parce que ce n’est pas plus gros que ça, ils se sont regardés entre eux et ils se sont dit “tout ça pour ça”. »
Trois des policiers ont été mis en examen pour violences volontaires, faux en écriture publique avec plusieurs circonstances aggravantes dont « des propos à caractère raciste » et deux d’entre-eux ont été placés en détention provisoire. L’auteur du jet de grenade a également été mis en examen pour violences et placé sous contrôle judiciaire.
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En pleine contestation de la loi « sécurité globale », qui restreint la possibilité de diffuser des vidéos des forces de l’ordre, l’histoire tombe mal pour l’exécutif. Les services de l’Elysée appellent le producteur de musique pour lui exprimer « la honte » ressentie par le président à la vue des images. Deux semaines plus tard, le chef de l’Etat donnera au média en ligne Brut une interview dans laquelle il prononcera pour la première fois du quinquennat l’expression « violences policières ». Michel Zecler avoue ne pas avoir regardé l’entretien. « Je suis désolé, mais j’ai très peu de forces, je n’arrive pas à me concentrer, s’excuse-t-il. Mais je sais qu’il a eu un mot pour moi, je regarderai. »
C’est donc à ça que ressemble un « symbole » des violences policières. « Tout cela se fait malgré moi. Je suis habituellement quelqu’un de très discret. Je comprends qu’aujourd’hui il y a des attentes qui pèsent sur mes épaules », explique-t-il. Une fondation a été créée après une rencontre avec des jeunes de Bagneux, la ville au sud de Paris où il a grandi, pour aider les personnes qui se retrouveraient dans sa situation.
« Ce débat pour moi, c’est un piège »
Michel Zecler n’a pourtant rien du porte-parole de la cause, et est souvent là où on ne l’attend pas. Le racisme au sein des forces de l’ordre ? « Ce débat pour moi, c’est un piège. C’est évident qu’il y a des éléments racistes dans la police. J’en connais beaucoup aussi qui ne le sont pas. »…
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