— Par Philippe Pierre-Charles, Max Rustal —
Dans la réponse de Michel Branchi (« A propos de la rageuse algarade de deux éminents sophistes »), écartons d’abord les digressions sans intérêt. Déblayons le terrain pour souligner ce sur quoi il ne veut surtout pas répondre.
Première diversion : Branchi insiste lourdement, à deux reprises : Notre tribune à été publiée « conjointement » (sic) dans France Antilles et le Progressiste. S’il s’agit pour lui de nous intimider à propos des médias qui veulent bien reprendre nos écrits en sous-entendant une relation fonctionnelle entre eux et nous, c’est évidemment peine perdue. Les Staliniens ont toujours voulu contraindre les oppositions de gauche au silence en les accusant d’être accueillies par la « presse bourgeoise ». Ces tactiques hors d’âge ont perdu toute efficacité. Merci sans complexe à toute presse démocratique nous faisant l’honneur de ses colonnes. Et au cas où le cœur en dirait à Justice, pa ni problem ! S’il s’agit de suggérer que nous nous trouvons sur la même ligne politique que le PPM dans l’affaire de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM), nous préférons franchement faire confiance à la sagacité de nos lecteurs et lectrices. Aucun n’avalera cette fable !
Deuxième diversion : Branchi évoque en nous ciblant le « réflexe pavlovien » du « vieux cliché anticommuniste » qui « prend régulièrement le train à l’Est » … « comme il se doit pour tous bons trotskistes » (le pluriel est de M.B.). Là encore rien de nouveau sous le ciel stalinien. S’il y a dans le mouvement ouvrier un « cyclotron à remonter le temps », c’est bien l’épouvantail trotskiste qui n’effraie plus guère aujourd’hui que ceux qui l’agitent. D’ailleurs avec Branchi, est-il vraiment besoin de cyclotron ? Ne serait-il pas lui-même un peu planté mentalement en mode goulag ? Sa marchandise aujourd’hui plutôt rance à été abondamment servie par les bureaucrates staliniens pour couvrir les crimes, les falsifications et autres turpitudes de leur idole, le « Petit père des peuples » : Joseph Staline. Aujourd’hui, on ne trouve plus grand monde pour se revendiquer ouvertement de ce triste exemple et même Branchi s’en garde prudemment, sauf il est vrai en ce qui concerne le préhistorique anti-trotskisme apparemment inscrit à tout jamais dans son code génétique.
Nous l’avons déjà dit, nous ne nous reconnaissons pas dans la pauvre manie de définir son courant de pensée en accolant un « iste » à un nom propre, ensuite parce que nous nous revendiquons aussi d’autres combattant-e-s de la cause émancipatrice, enfin parce que nous n’avons aucune gêne à nous démarquer des erreurs parfois sérieuses de l’homme et de ses disciples. Mais nous affirmons hautement que le courant trotskiste peut s’enorgueillir d’avoir été le premier à combattre l’odieuse défiguration du communisme par Staline et sa bande, à avoir défendu contre vents et marées et sans trahison, le drapeau de l’émancipation humaine. Même quand le prix à payer fut considérable. S’il y a quelqu’un qui peut en dire autant de Joseph Staline, qu’il lève le doigt !
Troisième diversion : Branchi revient une énième fois sur les consignes de vote du GRS concernant le choix entre les articles 73 et 74 de la Constitution. Comme si notre position d’alors aurait été trop subtile pour le grand dialecticien disciple de René Ménil qu’il se déclare. Oui, nous avons expliqué pendant toute la campagne que la différence entre ces deux articles de la Constitution française était fort mince. Oui, nous avons à une semaine du scrutin, déclaré que nous votions l’article 74, légèrement moins limité. Nous persistons. Nous signons. Nous revendiquons. Et le comble c’est que les alliés de Branchi nous donnent amplement raison sur les deux aspects. Dès le vote majoritaire pour le 73, ils se sont empressés de s’en attribuer la paternité, preuve qu’ils ne plaçaient pas eux-mêmes une ligne Maginot entre 73 et 74, et que c’étaient des considérations bien plus triviales qui opposaient si farouchement soixantetreizistes et soixantequatorzistes. Ils ont par la suite confirmé en présentant l’élection de décembre comme « la mère des batailles » ! Et aujourd’hui encore, Branchi avec eux promet de sauver la Martinique grâce au « pouvoir » conféré à la CTM par le fameux 73. Ils ne s’étaient d’ailleurs guère fait prier pour laisser paraître leur gratitude vis-à-vis des grands dézenkayeurs que furent les présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.
Et nous voilà au centre du problème. Un problème autrement plus sérieux que l’épithète de Trotskistes, plus sérieux que de savoir quel journal a publié nos tribunes, plus sérieux que la consigne de vote du GRS en 2010, plus sérieux que le florilège de noms d’oiseaux généreusement distribués par un Branchi déchaîné (censeurs, sophistes, casuistes, procureurs, Fouquier-Tinville, compères, Ponce Pilate !) ; comme quoi moins il y a d’arguments crédibles, plus il y a mauvaise conscience et anathèmes insensés !
Quel problème donc ? Michel Branchi nous inflige une longue et banale énumération des maux qui taraudent la société, comme si cette « crise systémique » qu’il fait mine de dévoiler était en décembre 2015 fondamentalement différente de celle qui a généré en février 2009 le plus spectaculaire mouvement social de l’histoire de la Martinique. Il prend ses lecteurs pour des ababas en nous accusant avec une théâtrale horreur de nier l’existence de ladite crise : « … le pays ne serait pas en danger dans son existence même, osent-ils brocarder cyniquement… ». Heureusement, pour éradiquer les maux révélés par sa puissante analyse, pour opérer le « redressement économique et social au bénéfice des intérêts populaires » (sic!), il tient une formidable arme à double tranchant : d’un côté la CTM créée grâce au si vilipendé article 73, et de l’autre l’alliance avec Yan Monplaisir qui aime le pays.
Si l’on n’y regarde pas de trop près, l’alliance emballée sous l’étiquette trompeuse de « contrat de gestion », a quelques apparences d’un accord de volontés générateur d’obligations entre les parties qui l’ont accepté. Mais ledit contrat présente des particularités extrêmement rare, stupéfiantes même : une seule des parties s’engage à ne pas faire quelque chose, (très concrètement, ne remettre en cause ni le statut de colonie ni le capitalisme) ; l’autre en revanche ne s’engage à rien et ne s’interdit strictement rien. Les conditions d’établissement du contrat de dupes permettent même de penser qu’il est en plus, logiquement renouvelable par tacite reconduction. Mais ce n’est pas tout. Le partenaire ultra minoritaire en voix et libre de tout engagement, rafle tous les postes décisifs en matière de prérogative budgétaire, économique et financière. Les autres se contentant des restes, sans l’ombre d’une protestation. Même le président dont l’autoritarisme est légendaire et qui a la haute main sur tous les leviers, hérite de la coopération internationale où, le moins qu’on puisse dire, ses antécédents n’ont pas été des plus heureux.
Ce qui est vraiment tragique et que Branchi tente de camoufler derrière les brumes de l’invective et du triste baratin pré-philosophique, c’est que les victimes du contrat léonin bradent leur âme de façon parfaitement consciente, consentante et consternante. Ils ne sont pas abusés, c’est eux-mêmes qui courbent l’échine, plient le genou, et déposent les armes de leur maigre pouvoir aux pieds du vainqueur. La manœuvre post-électorale est si éblouissante, qu’elle passe quasiment inaperçue aux yeux des citoyens mis devant le fait accompli. Mais hélas, plus le belliqueux Branchi gesticule avec extravagance, plus il met en lumière la forfaiture du siècle. En d’autres termes, «Pli makak soté anlè, pli yo ka wè bonda wôz li ». Ce que nombre de ses amis, plus lucides et moins hâbleurs, semblent avoir parfaitement enregistré.
Il reste que, avec son arme fatale sans lame ni poignée, Branchi ambitionne avec ardeur de combattre les huit plaies et des poussières qu’il a pu découvrir grâce à sa fantastique expertise économico-politique… et aux si précieuses publications de l’Insee : « chômage et sous-emploi aggravés », « économie au ralenti sinon en recul », « baisse et vieillissement accéléré de la population », « regain dramatique de l’exode de la jeune génération », « extension de la pauvreté et creusement inexorable des inégalités sociales de toutes natures », (nous voyons d’ici la frayeur de Monplaisir !), « précarité grandissante particulièrement pour les séniors », « génocide par substitution… », « délinquance galopante et consommation exponentielle des drogues, etc. ». Il omet hélas de parler du sur-chômage et de la sous-rémunération des femmes, mais bon, c’est sans doute inclus dans le et cætera. « Celui qui est contre ça, qu’il lève le doigt ! », pourrait-il conclure sans grand risque.
Il fut un temps où le PCM expliquait que la solution de ces fléaux ne viendrait ni des institutions ni encore moins de l’alliance avec des milieux économiques, sociaux, politiques, idéologiques du système dominant. Il exhortait la classe ouvrière à prendre la tête du peuple, à arracher une assemblée constituante, à mettre à la raison le Capital par la lutte de classes.
Branchi a décidé de sacrifier cet héritage en empruntant les raccourcis les plus tristement célèbres de l’histoire du mouvement social. Soit. La raison écrit-il «…mériterait d’ailleurs … un développement plus important. » Pure vérité. Mais en authentique sophiste désireux d’enfumer son public, il n’en souffle mot. Il préfère mettre l’accent sur les changements toujours non précisés de la Martinique et des conditions de sa lutte des classes, pour mieux masquer le changement principal le concernant : le PCM de l’époque Branchi jette aux orties l’abc du marxisme vivant.
Fort-de-France le 23 février 2016
Philippe Pierre-Charles, Max Rustal
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