— Par Joseph Jos, militant de la Mémoire laïque —
En Martinique, l’École publique nous a été conquise par le Conseil général présidé à l’époque par Marius Hurard, l’illustre avocat qui fut également maire de Saint-Pierre et député. Cette conquête arrive bien avant que les militants de la Ligue de l’Enseignement, au nombre desquels Jean Macé, Jules Ferry, Léon Gambetta, Jean Jaurès, Joseph Combes… n’obtiennent en France l’Ecole de la République : l’Ecole publique gratuite obligatoire et laïque (soulignons bien le rude combat de la Ligue de l’Enseignement dans une France où l’instruction était considérée comme un luxe, donc non accessible à tous).
Les esclaves ont rompu leurs chaînes le 22 mai 1848, le décret d’abolition de l’esclavage voté le 27 avril 1848 (…). La libération puis le décret d’abolition impulsé par Schoelcher et les républicains de l’époque prescrivaient pourtant le droit à l’instruction pour les nouveaux citoyens libres, donc la création d’écoles (…). Les républicains de Martinique au nombre desquels Marius Hurard, Osman Duquesnay, Ernest Deproge… militent hardiment et avec la plus grande détermination pour obtenir des maîtres d’instruire les nouveaux citoyens libres. Face aux refus répétés, renforcés et accentués du pouvoir parisien, du gouverneur et des oligarques, le Conseil général insiste jusqu’à obtenir un jour de la France comme toute réponse : « Débrouillez-vous! » .
Le docteur Osman Duquesnay, conseiller général du Marin, est spontanément suivi par ses camarades humanistes et républicains. Le défi est lancé, le médecin s’inscrit dans un impératif vital : « Trouvons sur place ce que la France semble nous refuser : des maîtres en mesure d’instruire les citoyens libres de couleur » .
Le Conseil général vote une motion décidant de recruter, former et salarier les nouveaux maîtres d’école dont la colonie a besoin.
Un concours est alors organisé par le Conseil général pour recruter ces nouveaux enseignants.
Le major de promotion n’est autre que Cassien-Sainte-Claire, l’ancien apprenti ébéniste qui terminera sa carrière à la tête de l’instruction publique en Martinique.
L’initiative du Conseil général induit un mécontentement viscéral des conservateurs, et Marius Hurard ne sera pas épargné d’ennuis personnels dans sa vie privée. La puissance de l’initiative du Conseil général nous vaudra même cette chanson populaire : « Hurard mété lékol lyik pou montwé ti nèg palé fwansé… » .
Depuis, l’École publique, école de la République s’est installée en Martinique.
Notre école ne nous a pas été offerte
2015 est une année importante de l’histoire de la Martinique. En effet, l’évolution institutionnelle voulue par la population conduira à la fin du Conseil général et du Conseil régional qui fusionneront en une nouvelle entité qui sera « La Collectivité Territoriale de Martinique » que l’on abrège déjà en disant la CTM.
Cependant, la communauté éducative martiniquaise en particulier et la Martinique entière ne sauraient laisser partir dans l’indifférence la plus absolue cette institution à laquelle nous devons notre Ecole publique, notre École laïque.
Il est important de saluer ce départ par un rappel historique fort et indélébile visant à anéantir un risque d’amnésie structurée et programmée par la banalisation de tout.
Oui, la plus vieille institution, le Conseil général, présidé à l’époque par l’avocat Marius Hurard est à l’origine de l’implantation de l’Ecole publique et laïque en Martinique.
Le geste fort et légitime que posent les militants de la Mémoire de l’École publique et de la Mémoire laïque de la Martinique, est l’inscription du nom de Marius Hurard au fronton de l’édifice hébergeant l’autorité suprême de l’École en Martinique : l’immeuble du rectorat de notre académie sis au quartier Terreville sur les hauteurs de Schoelcher.
Le respect de notre mémoire, le respect des luttes populaires, le respect des combats humanistes et républicains, imposent le respect de la grande conquête qu’est l’École publique dans ce pays.
Nous devons dénommer l’immeuble du rectorat : « Rectorat Marius Hurard » .
Geste d’autant légitime, que dans de nombreuses villes de France on retrouve des écoles et autres établissements scolaires portant les noms de Jules Ferry, Léon Gambetta, Jean Jaurès, Jean Macé…
Notre histoire nous enseigne que l’École de la République est venue se greffer sur l’École du Conseil général, que nous appelons plus fièrement l’École de Marius Hurard. Le rectorat de l’académie de Martinique se situe sur les hauteurs de la commune de Schoelcher, au quartier Terreville. Par habitude, on dit tout simplement le rectorat de Terreville, et pour l’immeuble situé au Morne Tartenson, on dit très facilement « rectorat de Tartenson » .
En fait, la résidence administrative du recteur de l’académie de Martinique est bien située au quartier Terreville à Schoelcher.
Nous, militants de l’École publique et de la Mémoire laïque de la Martinique, nous nous méfions de la toponymie, qui se révèle parfois aliénante et hostile à l’affirmation de nos valeurs.
Cette pratique, la toponymie, qui consiste à appeler un site institutionnel du nom de son adresse, nous occulte très sérieusement la réalité historique de ce site, ou d’un édifice, nous spoliant de référents solides acquis par notre parcours historique, et structure ainsi l’amnésie totale de nos antécédents.
Nos conseillers généraux n’ont pas travaillé en vain. Sauvegardons leur œuvre ainsi que l’œuvre du Conseil général.
Joseph Jos, militant de la Mémoire laïque