— Par Michèle Bigot —
Elles sont trois sur scène, Sophie Delacollette, Alice Martinache et Héloïse Meire, nouvelle version des trois soeurs, à se partager le rôle de la legendaire Méduse, épaulées par la musique de Loïc Le Foll, présence discrète et efficace sur le plateau. Dans la plus entière complicité, elles vont faire revivre le mythe antique de Méduse, mais en écrivant leur propre version des faits, donnant la parole à Méduse elle-même. Ce n’est plus l’histoire contée par Ovide, ce n’est plus la story, ni l’history mais « l’herstory ». Le point de vue est celui de l’héroïne elle même qui nous conte à la première personne ses parents, ses soeurs, son enfance, son viol par Poseïdon et la haine d’Athéna qui la transforme en monstre.
Et ça change tout. Que lui arrive-t-il avant d’être décapitée par Persée? D’ailleurs, sera-t-elle tuée par Parsée ou réussira-t-elle à infléchir le sort? La légende devient tout à coup très moderne, très contemporaine, et les trois actrices ne vont pas se priver de mêler les scènes de la mythologie grecque avec les témoignages de jeunes femmes violées que l’on entend en voix off pour scander les pricipaux moments du drame. Nous voilà invités à revisiter une des scènes fondatrices de notre imaginaire collectif, dans laquelle chacun admet sans réfléchir que le viol incestueux d’une jeune fille par son oncle est inévitable et que s’ensuivent logiquement la haine de la seule femme puissante sur laquelle la victime pensait pouvoir compter!
Des scènes de ce type foisonnent encore dans la réalité du monde contemporain, hélas! dans une dimension quasi-universelle. Le mythe est donc disséqué, réécrit et patiemment élaboré dans une version féministe qui fait la part belle à la sororité, sans occulter cependant les difficultés bien réelles que les victimes rencontrent dans leur souci de témoigner.
La mise en scène est largement visuelle, plastique et performative. Elle use d’une écriture de plateau qui travaille les formes, les matériaux, les couleurs, à l’aide de multiples dispositifs scéniques, accessoires manipulés, matières retravaillées, images poétiques et vidéo. La danse, les contorsions, les effets de chevelure, la musique, les images créent un univers de transe éblouissant. Le tout est soutenu par un rythme fiévreux qui ne laisse aucun répit. Le spectateur est tout entier happé par la performance et ne peut que suivre les trois soeurs qui se partagent le rôle de Méduse avec brio. Les stéréotypes sur le corps féminin en prennent un sacré coup. Les comédiennes dérangent, elles séduisent, elles convainquent. Ce sont indubitablement trois femmes puissantes. Remarquons particulièrement le jeu sur le détail du corps féminin, une bouche qui s’ouvre, un oeil qui cherche, le creux d’un bras filmés en gros plan par smartphone et projetés sur écran. La fluidité, les formes surprenantes, la monstruosité sensuelle du corps humain sont à la haueur de leur modèle mythologique. Ecriture visuelle, écriture sonore, tout l’arsenal de l’art théâtral est convoqué pour un résultant époustouflant, au service d’une cause indéniablement juste. Elles ont osé, elles l’ont fait, elles ont représenté dans sa crudité le rapport du corps au pouvoir, sans rien abandonné de la dimension poétique de l’évocation.
Qu’en sera-t-il de la confrontation entre Méduse et Persée, reconduira-t-on la guerre à mort des sexes, ou réussira-t-on à surmonter ce conflit? La fin est ouverte et invite à prolonger la réflexion.
Ce spectacle est une fête, pour les sens, la vue, l’ouie, pour l’intelligence. Ce n’est certes pas léger, mais c’est réjouissant, roboratif et salutaire.
Michèle Bigot
Méduse.s
Conception, écriture et jeu Alice Martinache, Héloïse Meire et Sophie Delacollette en alternance avec Catherine Rans
Création sonore, musique et régie au plateau Loïc Le Foll
Regard extérieur à la mise en scène et regard dramaturgique Isabelle Jonniaux
Regard dramaturgique et assistanat Agathe Meziani
Travail corps/mouvement Thierry Duirat