— Par Olivier Ernest Jean-Marie (*) —
1. Martinique : redécouvrir, redéfinir, clarifier nos raisons d’être.
La crise que traverse la société martiniquaise depuis quelques semaines a révélé le besoin de choisir ou de redécouvrir les raisons d’être de la communauté martiniquaise.
Je précise que j’entends par communauté martiniquaise, l’ensemble du vivant, humain et autre qu’humain accueilli sur et autour de notre archipel.(humains, animaux, végétaux, minéraux, les milieux vivants qui les abritent, la mer, les rivières, les mangroves, l’air, la terre, …),
La raison d’être d’un collectif, qu’il s’agisse d’une association, d’un syndicat, d’une entreprise, d’une collectivité publique, ou d’une communauté comme la Martinique, définit les finalités du collectif et les activités fondamentales qui constituent sa mission.
Je suis convaincu que l’absence d’actualisation, de clarification et de conscientisation des raisons d’être de notre communauté martiniquaise explique, entre autres, notre malaise sociétal, la perte de confiance mutuelle entre les acteurs de notre pays et notre atomisation. Notre incapacité à fournir des réponses collectives claires et ambitieuses aux défis démographiques, environnementaux, économiques, sociaux, culturels et psychologiques que nous devons relever peut être relié au défaut de boussole collective.
Il est donc urgent de redéfinir, de redécouvrir, de clarifier nos raisons d’être et de vivre ensemble, sur, autour et avec notre archipel en 2024 et pour les années à venir.
Redéfinir durablement les raisons d’être de la Martinique ne peut pas être, en 2024, la charge et le privilège de quelques personnes, quels que soient leur degré d’éveil, leurs connaissances, leur expertise, leur éloquence ou leur capacité à exploiter la colère, l’angoisse, le doute, le ressentiment ou la haine pour imaginer l’avenir de notre communauté.
Nous devons et pouvons activer un nouveau type d’intelligence collective. L’enjeu est d’assurer la transition d’une intelligence collective pyramidale centralisée vers une intelligence collective coopérative qui distribue l’autorité.
Loin de la mise en scène et du storytelling (le fait de raconter une histoire à des fins de communication), je propose de pratiquer une démocratie vraiment participative avec un mode opératoire réellement coopératif pour associer le plus grand nombre de membres vivants de la communauté martiniquaise à la redéfinition ou à la redécouverte des raisons d’être de la Martinique. Il s’agirait de fédérer les énergies, les désirs, les forces, les intelligences, les beautés nobles du plus grand nombre de membres de notre communauté martiniquaise afin de définir un cap partagé pour l’avenir.
Loin des discours « yakafokon » il nous appartient de quitter les voies de l’intelligence collective pyramidale pour emprunter, avec audace et innovation, les traces de l’expérimentation d’une intelligence collective alternative : l’intelligence collective coopérative.
Il s’agira de répondre, en mode coopératif, aux questions suivantes : A quels besoins voulons-nous répondre ? Les nôtres et ceux de la communauté vivante du reste du monde. Qu’y a-t-il d’unique dans ce qu’est la communauté martiniquaise, dans ce qu’elle produit, dans les relations qu’elle crée avec les autres communautés de notre Terre-Patrie ? Quelle est sa contribution singulière à la vitalité de ses membres, de ceux de la Caraïbe, du monde, de l’univers ?
Davwè sa nou pa sav gran pasé nou, merci aux conservateurs-trices, à qui on a bridé l’imaginaire coopératif de faire l’effort de découvrir, avec curiosité et ouverture, de nouvelles façons de réfléchir, de dialoguer, de décider et d’agir ensemble.
Des méthodes de concertation à grande échelle et des dispositifs digitaux rendent possible ce type de processus pour la Martinique.
Au terme de la première session participative, nous aurons une première réponse à la question : que souhaitons-nous vraiment que la Martinique apporte à ses composantes (humaines et autres qu’humaines) ET au reste du monde ?
La suite du processus coopératif : cette première étape serait suivie de 4 autres moments coopératifs qui seraient :
2. La recherche, l’investigation de nos valeurs positives d’hier et d’aujourd’hui : quelles forces pouvons-nous mobiliser ? Sur quelles ressources, sur quels succès pouvons-nous nous appuyer pour inventer notre avenir ?
3. L’expression de l’avenir idéal : nous exprimerons avec précision la vie quotidienne dans la Martinique de 2035 dans laquelle nous souhaitons vivre (quelles relations sociales, quelles relations entre humains et autres qu’humains, quelle économie, quelle agriculture, quelle pêche, quelle culture, quelle alimentation, quels aménagements, quelle organisation du transport, quelles relations avec la France, avec la Caraïbe, avec le reste du monde, quelle agriculture, quelle école, quelle université, quelle presse, quelles institutions démocratiques, quelles réalités sportives, quelles langues, … ?)
4. Le choix des priorités : quelles seraient nos premières décisions à fort impact pour nous mettre immédiatement en mouvement en direction de cette Martinique de 2035 ?
5. Planification et répartition des actions et des évaluations.
A la veille du centenaire de la naissance de Frantz Fanon relisons et méditons ce qu’il écrivait en 1961 dans « Les Damnés de la terre » :
«Le devoir d’une direction est d’avoir les masses avec elle. Or, l’adhésion suppose la conscience, la compréhension de la mission à remplir, bref une intellectualisation même embryonnaire. On ne doit pas envoûter le peuple, le dissoudre dans l’émotion et dans la confusion.»
(*) Olivier Ernest Jean-Marie
Citoyen ordinaire,
Ouvrier de la beauté, de l’intelligence et de la force coopératives
Schoelcher, le 20 octobre 2024