— Par Sarha Fauré —
L’exposition « À la quête de mes origines : entre initiations et transmissions », présentée au Musée des Cultures Contemporaines Adama Toungara (MuCAT) et à la Galerie Eureka, célèbre l’œuvre et le parcours unique de Mathieu Jean Gensin, un artiste martiniquais profondément ancré en Côte d’Ivoire depuis plus de six décennies. Ce projet met en lumière son exploration des racines culturelles et de la transmission artistique, thèmes qui traversent toute sa carrière.
À 90 ans, Gensin demeure une figure majeure de l’art négro-caraïbe et ivoirien. Né en Martinique, il a étudié les Beaux-Arts à Paris avant de s’installer en Côte d’Ivoire en 1960, année marquant l’indépendance du pays. Installé à Adjamé, dans le quartier Dallas, il fonde le mouvement négro-caraïbe, qui fusionne les traditions artistiques des Antilles avec celles de l’Afrique de l’Ouest. À travers ses œuvres, Gensin revisite ses origines tout en s’appropriant les rituels et symboles mystiques ivoiriens. Sa toile « Rituels » en est un exemple frappant, où il dépeint un personnage entouré de fétiches dans une scène de consultation, symbolisant l’interaction entre le visible et l’invisible.
L’exposition au MuCAT n’est pas qu’un hommage aux œuvres passées de Gensin. Elle est également le fruit d’une collaboration intergénérationnelle et interculturelle. Avec les artistes ivoiriens Zifu et Zipa, Gensin crée des œuvres à six mains, mélangeant traditions ancestrales et perspectives contemporaines. Le street art, représenté par ces jeunes créateurs abidjanais, se mêle à l’esthétique négro-caraïbe dans un dialogue artistique riche. Cette collaboration montre à quel point l’art de Gensin reste ancré dans la modernité tout en respectant les traditions.
Salif Diabagaté, un autre artiste influencé par Gensin, participe à cette exposition avec des œuvres qui prolongent cette réflexion sur l’identité et l’héritage culturel. Ses créations capturent la quintessence de cette quête des origines, témoignant de la manière dont l’environnement artistique et personnel de Gensin continue d’inspirer de nouvelles générations.
Un court-métrage documentaire, réalisé par Melick Kaboré, accompagne l’exposition, plongeant les visiteurs dans l’univers intime de Gensin. Ce film explore les influences et les rencontres qui ont façonné l’artiste, de ses premières années en Martinique jusqu’à son intégration dans la culture ivoirienne. On y découvre comment ses voyages à Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire, ont profondément influencé son art, notamment à travers la représentation des bois sacrés et des rites mystiques locaux.
L’influence de Gensin s’étend également à l’enseignement, où il a formé plusieurs générations d’artistes ivoiriens, notamment au sein du mouvement Vohou Vohou dans les années 1980. Ce courant artistique prône l’utilisation de matériaux locaux et recyclés, en opposition aux méthodes et aux matériaux importés d’Occident. Loin de la peinture sur toile traditionnelle, les artistes Vohou Vohou récupèrent des écorces, des toiles de jute et des pigments naturels pour créer des œuvres profondément enracinées dans la culture ivoirienne.
Aujourd’hui, l’œuvre de Gensin est reconnue au-delà des frontières africaines et caribéennes. Ses toiles, souvent empreintes de symbolisme, interrogent la spiritualité, la force des ancêtres et les mystères de l’existence. Des masques rituels aux scènes de la vie quotidienne, Gensin capte dans son travail l’essence même des traditions, tout en insufflant une modernité qui dialogue avec le passé. Sa quête d’identité personnelle et artistique se reflète dans chacune de ses œuvres, offrant au spectateur une réflexion profonde sur la transmission culturelle.
Les deux expositions, au MuCAT d’Abobo et à l’Institut Français d’Abidjan, célèbrent ainsi l’ensemble du parcours de cet artiste majeur, tout en mettant en avant la vitalité de la scène artistique ivoirienne actuelle. Au-delà des hommages, ces événements offrent une nouvelle lecture du travail de Gensin, à travers les regards croisés de ses contemporains et des jeunes artistes qu’il a influencés.
Mathieu Jean Gensin, à travers ses 90 printemps, continue d’inspirer et d’interroger le monde par la puissance de ses créations.