Martinique : vision pour demain

— Réflexions d’Alfred Marie-Antoinette sur la Martinique —

En ce mois de novembre, loin mais si près de ma belle île de la Martinique, je ressens encore l’écho du slogan « Baissez, baissez les prix », qui retentit comme un cri de désespoir et surtout de colère face à la crise de la vie chère. Deux mois après le début des protestations, je constate que la grande distribution est souvent montrée du doigt comme responsable de l’augmentation des prix alimentaires. Cependant, je perçois que ce conflit dépasse la simple problématique économique ; il s’agit d’une quête plus profonde pour un nouveau modèle économique et social pour notre île. Je suis convaincu que la Martinique mérite mieux, et je souhaite partager ma vision pour un avenir plus juste et plus solidaire.

La vie chère et ss conséquences
Je suis sensible à la beauté exceptionnelle de la Martinique, mais je ne peux ignorer la lutte quotidienne de mes compatriotes pour subvenir à leurs besoins fondamentaux. Les prix des denrées essentielles, comme les cuisses de poulet truffées d’hormones, sont devenus le symbole de notre inégalité. Pourquoi devrions-nous nous battre pour obtenir un prix juste sur des produits de base ? La vie chère n’est pas qu’un simple mal de notre temps, c’est une entrave à notre dignité et à notre pouvoir d’achat.

Les maux cachés
Derrière ce combat contre la vie chère, je discerne des maux plus sournois qui rongent notre société. Je m’inquiète des dérives mafieuses qui s’immiscent dans notre tissu social. Certaines associations, souvent désignées comme boucs émissaires, ne sont pas responsables de nos problèmes, mais sont utilisées pour détourner l’attention des véritables enjeux. Ces luttes d’influence, alimentées par des intérêts personnels et des clans, menacent d’ériger un mur de division entre nous, les Martiniquais.

Les héritages et les leçons du passé
Je me tourne vers notre riche héritage, porté par des figures emblématiques comme Aimé Césaire et Gaston Monerville. Ces visionnaires qui souhaitaient une décolonisation sans indépendance. Aujourd’hui, bien que des avancées aient été réalisées, nous n’avons pas atteint notre but. La Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) a été créée, mais cela ne suffit pas à garantir notre autonomie. Nous devons réfléchir ensemble à notre identité martiniquaise et à l’avenir que nous voulons bâtir.

Construire un avenir fraternel
Il est essentiel d’établir un nouveau pacte social qui favorise la réconciliation des différentes composantes de notre société. Trop souvent, j’observe le « neg kont neg », cette tendance destructrice où nous nous tirons vers le bas. Je crois fermement qu’une Martinique plus fraternelle nécessite une solidarité authentique. L’avenir de notre île repose sur notre capacité à nous unir et à construire ensemble un projet porteur d’espoir et de prospérité.

Français de Amériques : voilà le cade de la décolonisation qu’il nous reste à accomplir
En tant que Martiniquais, je me considère comme un « Français des Amériques ». Cette identité unique, façonnée par notre histoire, est à la fois une richesse et un défi. Je souhaite que nous reconnaissions que notre décolonisation ne doit pas signifier une séparation brutale, mais plutôt une évolution réfléchie qui préserve notre héritage culturel commun.

Je défends l’idée d’une décolonisation qui ne s’accompagne pas d’un néocolonialisme, évitant ainsi les écueils rencontrés par d’autres nations après leur indépendance. Nous devons bâtir une Martinique autonome, où les décisions sont prises par des élus qui comprennent nos réalités locales. Cela nécessite une réforme de nos institutions et un dialogue constant avec l’État français.

Mais en même temps cette décolonisation doit s’accompagner d’une Nouvelle Conscience Collective.

Car la décolonisation des esprits est tout aussi essentielle que la décolonisation politique. Nous devons nous libérer des préjugés, que ce soit ceux qui sont ancrés dans l’Hexagone ou chez nous. Je crois que seule une décolonisation ouverte et inclusive permettra aux Martiniquais de s’épanouir en tant que Français des Amériques, en dignité et en fierté.

Le volet économique
Il est impératif d’agir sur le tissu économique de notre île. J’affirme haut et fort qu’il ne faut plus donner d’autorisations d’ouverture pour des magasins de 1000 m², sauf en centre-ville. Nous devons redynamiser nos petits commerces, ces artisans de la vie quotidienne. Ils sont le cœur de nos villes, et il est de notre devoir de les soutenir.

Nous devons les accompagner par la formation. Les gérants de ces petites structures doivent être armés pour faire face aux défis du marché moderne. Une économie locale forte ne se construit pas sur de grandes surfaces, mais sur l’engagement et le savoir-faire de nos commerçants.

Pour cela, je propose la création d’une coopérative d’achat qui se consacrerait à l’approvisionnement des petits commerçants sur les marchés internationaux. Nous devons leur fournir les ressources nécessaires, les matériaux, et même les stocks. En collaborant, nous pouvons garantir une traçabilité sur les produits, une sécurité alimentaire pour nos concitoyens.

Nous devons également redynamiser nos centres-villes avec l’aide de nos agriculteurs. Imaginez des marchés où les produits locaux, frais et de saison, sont à la portée de tous. Ce serait une célébration de notre richesse agricole et une alternative à la grande distribution qui souvent nous dépossède de notre identité.

Élargissons notre vision : créons une attraction touristique autour de nos centres-villes. Mettons en avant nos spécialités culinaires, celles qui parlent à notre histoire. Dans le Nord, nous pourrions faire découvrir notre Boyo Thon de poissons préparé avec soin, et dans le Sud, les grillades savoureuses qui ravissent les papilles. En créant un circuit touristique et commercial basé sur nos traditions, nous valoriserons notre patrimoine tout en dynamisant l’économie locale.

Le mot de la fin
Ce pays Martinique bascule lentement chaque jour un peu plus. Il devient urgent de proposer une autre alternative : un vrai projet économique et social. Demain il sera trop tard.
Pour conclure, je dirais que je regarde notre île avec espoir et lucidité. La Martinique a un potentiel immense, mais cela nécessite un engagement collectif pour se libérer des chaînes du passé. La décolonisation n’est pas qu’un mot, c’est un processus qui nécessite la participation de chacun. Alors, à nous de nous poser cette question : comment pouvons-nous, ensemble, bâtir un avenir harmonieux et prospère pour notre Martinique ?

Alfred MARIE-ANTOINETTE