— Par Pierre Alex Marie Anne —
Le Préfet Édouard Lacroix quittant le Département en 1987, nous mettait en garde contre le risque que les atteintes de plus en plus importantes portées à l’environnement et à la préservation de notre patrimoine naturel, finissent par tuer la ” la poule aux œufs d’or” du développement touristique en Martinique. Ce risque est d’autant plus grand qu’il s’agit d’un territoire exigu, d’à peine 1130 kilomètres carré, sur lequel s’échinent à vivre, pour ne pas dire à survivre, plus de 350000 habitants (l’une des plus fortes densités au monde, exceptés quelques cas particuliers comme Singapour, Hong Kong ou Monaco ) et en tout état de cause, le triple de celle de la France hexagonale. Pour ne rien arranger,cette terre montagneuse et volcanique, recouverte à plus de 41% de forêts, concentre l’ensemble des aléas climatiques les plus destructeurs :cyclones, séismes, tsunamis, éruptions volcaniques, érosion littorale, submersion marine, sargasses etc..ce qui la rend particulièrement fragile et vulnérable. Cette réalité incontournable devrait donc en toute logique constituer la pierre angulaire des réflexions et orientations de nos décideurs politiques en matière d’Aménagement et de Développement. C’est loin d’être le cas!
Deux secteurs illustrent particulièrement leur absence de vision dans ce domaine ; d’abord, celui du transport où la voiture individuelle continue à régner en maître au détriment des moyens de déplacement collectifs, plus économes en foncier et plus à la portée des bourses modestes. ; le résultat de cet aveuglement, ce sont les atteintes multiples et extrêmement graves portées à l’environnement et au corps social tout entier : carcasses abandonnées à tout va, pollution et dégradation de la nature, vies mutilées sinon détruites, gaspillage de ressources financières plus utiles ailleurs ; au total une somme de dégâts dépassant par leur ampleur toute possibilité de comptabilité, Le remède bien évidemment ne peut-être dans cette course en avant symbolisée par ces projets de liaisons routières Nord-Sud ou de” Dorsale “ qui ne feront qu’accroître une pression déjà excessive exercée sur le milieu naturel. L’ argument fallacieux, selon lequel il faudrait consentir à l’amputation irréversible de la principale plaine cultivable de l’île pour faciliter la liaison entre le nord et le sud ne résiste pas à l’examen : aucun comptage routier des flux de circulation ne le justifie; par contre on peut être assuré qu’elle ouvrira la voie à une spéculation immobilière effrénée réduisant en peau de chagrin ce potentiel agricole exceptionnel.Une telle intention ne saurait cadrer avec la revendication d’autonomie alimentaire invoquée à satiété par notre crâne d’œuf national. Il est grand temps en réalité d’arrêter cette fascination, pour ne pas dire cette addiction, à ce qui constitue le plus grand fléau environnemental du siècle, à savoir le culte de la sacro-sainte “bagnole”.; certains qui la préfèrent à leur mère et à leur femme, sont près à tuer pour une simple éraflure sur sa carrosserie ; d’un banal moyen de déplacement, certes commode et propice à la liberté individuelle, ils ont fait un véritable cauchemar environnemental et sociétal : Triste constat d’un peuple enfermé dans une consommation compulsive, qui a perdu tout repère et sens des vraies valeurs ! Néanmoins, faut-il considérer la prolifération automobile anarchique que nous subissons actuellement comme une fatalité ? Bien sûr que non ! Le remède indéniablement passe par le développement d’un transport en commun moderne qui doit devenir régulier et sécurisé pour offrir à la population une alternative.attractive. C’est à cette tâche prioritaire que devraient s’atteler les responsables politiques au lieu de se perdre dans des parlotes sans fin de nature institutionnelle qui ne visent qu’à satisfaire leurs égos démesurés.
L’exemple du projet d’extension du TCSP vers le Robert et Rivière Salée est révélateur à cet égard : voici un des rares projet d’envergure concret, finançable sur les fonds européens., susceptible s’il est bien conduit d’enclencher une véritable dynamique de développement à l’échelle du territoire, et que voyons-nous? Il reste désespérément en rade depuis que son dossier technique a été soumis à la consultation publique, sous l’ancienne mandature de la CTM. C’est qu’un projet de cet ordre ne peut aboutir dans des délais satisfaisants qu’avec des méthodes sortant de l’ordinaire ( voir dispositif Rocade de Fort de France)., à savoir une structure administrative-technique et financière dédiée, mobilisable H 24 et 7 jours sur7, managée par un cadre de haut niveau et placée sous la responsabilité d’un politique missionné spécialement à cet effet. En définitive, ceux qui sont à l’origine de l’actuel statut de la Collectivité Territoriale de Martinique, dont ils semblent aujourd’hui découvrir les défauts et les insuffisances, devraient faire preuve d’un peu plus d’humilité et laisser travailler ceux qui ne confondent pas l’intérêt général, au service du bien-être de leurs concitoyens, avec leur intérêt personnel. La population en effet en a assez d’être mise devant le fait accompli par des élus qui s’arrogent le droit de décider de ce qui est bon pour elle, sans jamais lui demander son avis au préalable, mais qui se débinent de toute responsabilité quand leurs grossières erreurs apparaissent en pleine lumière.
La récente déclaration de l’Exécutif Territorial selon laquelle «il n’aurait la main » que sur 160 millions d’ un budget de près d’un milliard et demi d’euros sonne comme un aveu d’impuissance pouvant servir ultérieurement de prétexte au renoncement à un programme de campagne électorale de 207 propositions d’actions rassemblées autour de 13 axes structurant, proprement irréalisable. C’est le lieu de rappeler à tous les naïfs en puissance ( et ils sont nombreux!) cet adage politique d’une cruelle et cynique réalité : “les promesses n’engagent que ceux qui ont la faiblesse d’y croire”! Deuxième secteur et non des moindres qui impacte lourdement l’aspect du milieu naturel : la construction immobilière dont l’implantation anarchique sur les mornes et les collines, ne manifeste aucune considération pour le respect de l’intégrité paysagère des sites occupés; en particulier il faut déplorer ces constructions en lignes de crête qui gâchent irrémédiablement la perception qu’on peut avoir des contours du paysage à l’ horizon. Au train où vont les choses, il ne restera bientôt plus un seul site remarquable de la Martinique, épargné par cette bétonisation rampante. Les promoteurs immobiliers ont en effet le beau rôle face à des municipalités désargentées qui recherchent leur salut dans la multiplication exponentielle du bâti imposable, pourvoyeur de nouvelles et substantielles recettes. A leur décharge il faut reconnaître qu’une politique du logement et de l’habitat mal adaptée à l’évolution de la population,ne leur facilite pas la tâche. Bien que cette dernière se réduise au rythme de 4500 départs annuels de jeunes et qu’elle vieillisse simultanément, l’objectif des pouvoirs publics reste prioritairement fixé sur la construction de logements neufs ( au moins 2500 par an, certains en réclament 4000 ) pour satisfaire notamment les revendications du BTP. Dans cette optique, l’amélioration de l’habitat demeure le parent pauvre, en dépit du fait qu’on ne comptabilise pas moins de 20000 logements considérés comme vacants. Si l’on ne veut pas demain se trouver dans le cas de figure extravagant de disposer de plus de logements ( comme d’ailleurs de voitures!) que de ménages martiniquais, il convient de se poser la question de l’adéquation de l’ orientation politique actuelle avec la réalité sociale du pays et de sa conformité avec l’inversion de la courbe démographique. En clair,il faut donner la priorité à l’amélioration-adaptation de l’habitat et à sa réhabilitation sur la construction neuve, ex nihilo.
Ce faisant on répond à plusieurs exigences : valoriser les infrastructures de réseaux existantes qui constituent une charge extrêmement lourde pour les collectivités locales, la mise aux normes de l’habitat ( parasismique notamment) et son adaptation aux contraintes des personnes âgées, la revitalisation des centres-bourg offrant des conditions idéales d’accueil pour le grand âge et la jeunesse et surtout la protection de la nature ( ou de ce qu’il en reste!) à l’heure où il n’est question que de préserver la biodiversité et de conquérir l’autonomie alimentaire.
Pierre Alex MARIE-ANNE