— Par Yves-Léopold Monthieux —
A la question d’un journaliste qui s’est étonné que pour l’élection prochaine de la CTM, le maire du St Esprit s’allie à l’autonomiste Catherine Conconne, le responsable du parti La République (LR) a répondu que la Martinique a déjà un statut d’autonomie depuis la disparition du conseil général et le remplacement du département par la collectivité territoriale. La déclaration de Fred-Michel Tiraut est juste. Certes, cette évolution a été obtenue à la marge du principe d’autodétermination puisque la décision a été prise pour le peuple et non par le peuple, lequel ne s’est pas prononcé pour l’évolution obtenue. Par ailleurs, l’autonomie se révèle moins un statut qu’un curseur qui établit le niveau de dépendance du territoire à sa métropole. Comme l’écrit Serge Letchimy dans Discours sur l’autonomie1, l’autonomie est un état d’esprit. Plus en amont de la déclaration de Fred-Michel Tiraut, j’avais exprimé en 2006 que nous étions déjà dans l’autonomie. Dès cette date, en effet, l’existence de ce « nouvel aménagement de la dépendance » m’avait paru évidente. Je posais alors la question de savoir quel était le projet martiniquais qui n’avait pu être réalisé, faute d’autonomie suffisante. Je soumets donc au lecteur ma tribune :
« Nous sommes déjà dans l’autonomie2 ».
La conférence donnée le 11 avril dernier à l’Hôtel Valmenière par Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à la Faculté de Rennes, a permis, une fois de plus, de souligner les ambiguïtés du débat institutionnel. Deux notions de l’autonomie s’affrontent : une conception politique purement institutionnelle et une conception technique et utilitaire qui conduit, selon le mot de Jean-Louis Andréani, journaliste au Monde, à faire traiter les problèmes par « le niveau territorial le plus compétent ».
L’autonomie guidée par le strict souci de l’efficacité de la gestion et du développement est facile à comprendre. C’est l’autonomie fonctionnelle, en vigueur aux Baléares, en Sardaigne ou en Sicile, d’où ne s’élève aucune revendication émancipatrice. En revanche, lorsque l’autonomie a pour objet de reconnaître qu’un territoire et sa population forment une entité particulière avec une histoire propre et un contentieux de la mémoire développé à l’encontre du pouvoir central, il s’agit d’une autonomie politique, ouverte et pouvant être mise en perspective. C’est, par exemple, le cas du self-government mis en œuvre à l’île de Malte en 1947 : l’objectif final était l’indépendance à laquelle ce pays est effectivement parvenu. C’est aussi le cas de la Nouvelle-Calédonie qui tient l’indépendance en point de mire.
Les doctrinaires justifient l’autonomie fonctionnelle avec les arguments de l’autonomie institutionnelle, politique et contentieuse. Or, Mme Le Pourhiet le rappelle, depuis la réforme constitutionnelle de février 2003, tous les outils de l’autonomie fonctionnelle sont en place. Ce sont essentiellement le pouvoir d’expérimentation, le pouvoir d’adaptation des lois et un pouvoir réglementaire local renforcé par délégation législative dans des matières qui continueront de relever de la loi au plan national. C’est un coup de canif porté à l’alternative juridique classique : continuité législative – spécialité législative. Ainsi prend naissance une sorte de pouvoir par ordonnances qui, selon Mme Le Pourhiet, rappelle l’ancien pouvoir colonial, et fait craindre à Jean Crusol, professeur d’Economie, la survenue du pouvoir fort que réclame notamment le déjà tout-puissant président du conseil régional. La professeure n’est pas la seule à observer que rien n’a été mis en œuvre par les élus martiniquais pour user de cette liberté, aujourd’hui formalisée dans la Constitution : le droit à l’autodétermination.
(…) En réalité, ce refus de se saisir de nouvelles compétences permet de garder ce bouc-émissaire commode qu’est l’Etat et de refuser d’expérimenter des pouvoirs dans le cadre du département. On ne peut s’empêcher de croire en la volonté des évolutionnistes d’empêcher le succès, dans le cadre départemental, des mesures de décentralisation et, encore moins, des délégations exorbitantes du droit commun prévues à l’article 73. Dans leur esprit tout succès du département retarderait l’échéance de la vraie rupture institutionnelle. Ce succès confirmerait l’idée que le département est apte à faire prospérer la Martinique : l’horreur !
La revendication institutionnelle martiniquaise fait référence au peuple et à la nation ainsi qu’à un ressentiment inextinguible contre le colonialisme et l’esclavage. Cela ne peut conduire qu’à une autonomie ouverte, contentieuse et à perspective de rupture. C’est cette logique argumentaire partagée avec les indépendantistes qui empêche les leaders autonomistes de donner à leur discours un vrai contenu compréhensible par le peuple ». 19 avril 2006.
Fort-de-France, le 1er mai 2021
Yves-Léopold Monthieux
1 Ibis rouge editions – 2002.
2 Contrechroniques de la vie politiques martiniquaises – Désormeaux – 2007.