Martinique: l’avenir en balance !

Par Pierre Alex Marie-Anne

La société martiniquaise est en état de décomposition avancée. Deux facteurs principaux sont à l’œuvre: la chute démographique et son corollaire, l’absence de dynamisme économique et social conduisant la jeunesse qualifiée à émigrer, d’une-part et la démission des élites politiques, syndicales, médiatiques et intellectuelles, de l’autre. La récente crise de la vie chère en est la plus parfaite illustration. Seule l’inaction des responsables locaux, incapables de définir un projet de développement novateur et réaliste à soumettre et faire adopter par les autorités étatiques nationales explique qu’on en soit arrivé là. Ils ont passé leur temps, en bons “esclaves de l’esclavage”, à s’apitoyer sur un passé révolu sans apporter la moindre note d’espoir à la population ne serait-ce qu’en améliorant ses conditions de vie quotidienne dans les domaines où ils ont compétence pleine et entière ( transport,gestion de l’eau potable et des déchets,logement dont les financements accordés restent inemployés, transition énergétique et numérique etc…). C’est de l’impuissance de ces dirigeants à relever le défi de la modernité et du progrès qu’est né le formidable désenchantement des citoyens, servant de terreau à tous les marchands d’illusions aux méthodes aussi expéditives qu’improductives. Croire qu’il suffit d’une injonction aux acteurs économiques pour gommer comme par magie les coûts induits par la réalité physique de la distance entre les Antilles et le continent européen relève au mieux de l’utopie, sinon de la pure débilité mentale.

Le plus incroyable est qu’il se trouve une foule de gens pour croire à ces fadaises et des élus politiques pour faire semblant d’y adhérer. Un beau sujet de méditation pour nos psychologues et sociologues sur les effets délétères de la dynamique des foules sur des esprits en mal d’éducation et de repères. Lutter contre la vie chère et les inégalités qui la rendent insupportable ! un objectif certes parfaitement louable, mais à condition de ne pas se tromper de cible et de s’en donner les moyens. Le combat à mener ne peut pas être fratricide et consister à dresser les martiniquais les uns contre les autres en détruisant leurs moyens vitaux d’existence. Bien au contraire, il s’agit de rendre à César, autrement dit à l’État, ce qui lui revient en propre. C’est à lui de dire clairement l’orientation qu’il compte donner aux Antilles et plus généralement aux outre-mer : de simples possessions, perdues sur les océans, où” le soleil ne se couche jamais”, pourvoyeuses de zones maritimes étendues pour l’exercice exclusif de sa souveraineté ou bien des Centres actifs de rayonnement témoignant de la vitalité économique et culturelle du génie français dans toutes ses acceptions,en particulier dans sa capacité à s’ouvrir, sur un pied d’égalité, aux autres cultures du monde . Dans le premier cas, nos territoires respectifs seraient condamnés à rester confinés dans une position d”hyper-consommateurs subventionnés (par des allocations de toute nature) de produits importés venus d’Europe, voués en outre pour l’essentiel à des monocultures d’exportation ( jusqu’à l’explosion finale inéluctable ! ) ; dans l’autre,ils pourraient se voir conférer un statut sui generis de” zones de production prioritaires “,grâce à des politiques incitatives innovantes destinées à compenser les handicaps structurels qui pénalisent leur économie ( par exemple, l’instauration d’une zone franche sociale sur l’ensemble de l’île). Par cette approche ouverte, un rôle de pionniers en matière de nouvelle économie de la connaissance et du développement durable ( IA appliquée à l’éducation et à la santé,,biodiversité, transition énergétique et numérique…) pourrait être assigné aux territoires d’outre-mer dans leurs différentes zones géographiques (Amérique et Pacifique). Il s’agit en fait par cette nouvelle orientation de dépasser une vision réductrice de court-terme, pour se projeter vers des retombées fiscales plus importantes pour les finances publiques, à plus long terme.

L’instant est décisif car Il n’y a pas d’autre alternative, c’est un quitte ou double qui se joue en réalité sur le plan politique, il faut en avoir conscience, l’outre-mer ne restera pas figé indéfiniment dans l’immobilisme institutionnel ; du choix qui sera fait par la puissance publique entre ces deux orientations divergentes dépendra à l’évidence notre destin ; il nous appartient quant à nous de tout faire, en nous mobilisant massivement mais pacifiquement, pour que ce soit la voie la plus porteuse de retombées positives pour notre île qui soit retenue, celle d’un nouveau paradigme économique et social dépassant les conceptions étriquées du passé. Mais ne nous y trompons pas, à travers le sort de l’outre-mer c’est aussi celui de la nation française toute entière qui est en balance : soit elle renouera hardiment avec “l’esprit des lumières” qui l’avait propulsée au rang de guide universel de la pensée novatrice et du changement, soit elle s’enfermera dans un repli sur soi mortifère avec à la clé un hexagone rabougri, ramené à ses seules limites territoriales, en voie de déliquescence et de déperdition d’influence sur la scène internationale . On le voit le sort de la France, et de la Martinique est intimement lié . Toute la question est de savoir si elles sauront, l’une et l’autre, s’élever au dessus des contingences de l’heure, pour être présentes au rendez-vous que leur donne l’histoire? L’avenir seule nous le dira!

Pierre Alex MARIE-ANNE