Le samedi 19 octobre, environ 2 000 personnes se sont rassemblées à Fort-de-France, répondant à l’appel du Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro-Caribéens (RPPRAC) pour continuer la mobilisation contre la vie chère en Martinique. Bien que l’État ait annoncé avoir signé un accord avec les distributeurs pour une baisse de 20 % en moyenne des prix de l’alimentaire, cet accord a été jugé insuffisant par le collectif à l’origine du mouvement, qui a décidé de ne pas y adhérer. Le RPPRAC a appelé à une intensification des actions, avec des blocages prévus sur l’ensemble du territoire dès le lundi 21 octobre.
Le leader du mouvement, Rodrigue Petitot, surnommé « le R », a pris la parole devant une foule habillée de rouge, la couleur symbolique de la mobilisation. Accueilli comme une rock star sous les applaudissements de ses partisans, Petitot a dénoncé l’accord signé par les autorités, rappelant qu’il ne concernait que 6 000 articles. « Peut-on accepter ça ? », a-t-il lancé à la foule. En réponse, un « Non ! » retentissant a fusé, suivi de poings levés en signe de protestation.
Le ton du discours de Petitot a montré la détermination croissante des manifestants. « Jusqu’à présent, nous acceptions les choses en silence. Est-ce qu’on continue le combat ? », a-t-il demandé, déclenchant un « Oui ! » unanime de la part de la foule. Il a ensuite insisté sur le pouvoir collectif de ce mouvement, déclarant : « Si nous décidons que personne ne circule, alors personne ne pourra circuler. Nous sommes chez nous ici. » Pour lui, l’accord signé est un « échec », et les concessions faites ne suffisent pas à répondre aux attentes de la population.
Cette mobilisation fait suite à des manifestations qui, depuis début septembre, ont été marquées par des violences sporadiques, nécessitant la mise en place de couvre-feux pour maintenir l’ordre. Le premier couvre-feu avait été instauré du 18 au 26 septembre, suivi par une nouvelle interdiction des déplacements nocturnes décrétée à partir du 10 octobre, toujours en vigueur jusqu’à ce lundi.
Au-delà de la figure de Rodrigue Petitot, plusieurs voix locales se sont élevées pour exprimer leur soutien à la cause. Parmi elles, Supa Maya, chanteuse martiniquaise, a partagé son espoir de voir un avenir meilleur pour les enfants de Martinique, soulignant la nécessité d’agir pour empêcher une dégradation supplémentaire des conditions de vie. « Si nous capitulons maintenant, la situation ne fera qu’empirer », a-t-elle averti, appelant à une solidarité renouvelée pour maintenir la pression.
Le rassemblement s’est tenu sur le parking du stade de Dillon à Fort-de-France, un lieu symbolique où le RPPRAC avait organisé la rencontre pour faire un point sur la situation après la signature du protocole de l’État. Les membres du collectif, dont Aude Goussard et Gladys Roger, ont également pris la parole pour annoncer le début d’une nouvelle phase du mouvement. Ils ont appelé à un blocage général de l’île, avec le mot d’ordre : « Personne ne passe. »
La colère des manifestants repose sur un sentiment de frustration face aux inégalités entre la Martinique et la France métropolitaine, notamment en ce qui concerne le coût de la vie et l’accès aux ressources. Plusieurs participants au mouvement ont exprimé leur conviction que seule une mobilisation continue permettrait de faire pression sur les autorités pour obtenir des résultats tangibles. « Il faut bloquer le pays pour qu’ils prennent conscience du problème », a déclaré un manifestant, vêtu d’un tee-shirt à l’effigie de Frantz Fanon, figure emblématique de la lutte anticolonialiste martiniquaise.
Des personnalités publiques, telles que le chanteur Kalash, ont également apporté leur soutien à la cause, confirmant leur engagement auprès du RPPRAC. Kalash avait déjà fait parler de lui lors de son irruption à une table ronde précédemment organisée par la Collectivité Territoriale de Martinique, et sa présence ce samedi témoigne de la résonance que ce mouvement a dans toute la société martiniquaise.
Alors que les blocages se profilent pour le début de semaine, les manifestants se préparent à une nouvelle phase de tension avec les autorités. Le mouvement contre la vie chère en Martinique semble bien loin de s’essouffler, et ses leaders, soutenus par une population de plus en plus mobilisée, sont déterminés à poursuivre leur lutte tant que des réformes plus profondes ne seront pas mises en place pour améliorer le quotidien des habitants de l’île.
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Les réactions de nos députés
Béatrice Bellay, députée de Martinique
« L’État ne peut pas simplement dire qu’il s’engage et puis c’est terminé. Il faut des amendements. À minima, nous chercherons à mettre en œuvre des amendements qui vont s’appuyer sur le protocole et qui vont donc formaliser et contraindre l’État ainsi que le cheminement (la grande distribution, les grossistes, etc) à respecter leurs engagements. Dieu seul sait que j’ai essayé de batailler dans ces tables rondes et que j’ai parfois été un peu maltraitée lorsque j’ai souhaité poser des questions et que je n’ai pas eu beaucoup de réponses. Des dispositions, notamment autour de la deuxième table ronde technique, ont été prises entre l’État et la collectivité. Moi, en toute sincérité, ce n’est pas comme ça que j’estimais qu’on devait construire le rapport de force avec la grande distribution et les grossistes. Il fallait exiger d’eux qu’immédiatement, sur leurs données propres, sans contrepartie, sans accord particulier, ils nous montrent qu’ils effectuent une baisse sur un certain nombre de produits. Il fallait quelque chose d’immédiat pour les Martiniquaises et les Martiniquais parce qu’on continue tous les jours à souffrir de cette cherté des prix. Je ne sais pas si c’est rattrapable, ça me semble très compromis, mais on verra. Vu que c’est la veille pour le lendemain qu’ils envoient les invitations, peut-être qu’on va en recevoir une nouvelle pour la semaine prochaine. »
Marcellin Nadeau, député de Martinique
« Nous, députés de Péyi A, avons toujours dit qu’on ne concevait pas notre mission en dehors du peuple. C’est-à-dire que nous voulons qu’il y ait une convergence entre notre action de parlementaires ou d’élus avec ce qu’on appelle le mouvement social martiniquais. Ça peut prendre la forme d’un mouvement syndical, citoyen ou associatif. C’est dans notre ADN, fondamentalement. Quand on sait qu’un certain Alain Peyrefitte a dit que rien n’avance en France sans une crise, ça veut dire qu’on est conscient que rien n’avance sans une mobilisation des citoyen.nne.s. On le voit encore, et c’est pire depuis qu’on a Macron comme Président de la République. Il y a une sorte de conception d’une gouvernance un peu hors sol. À chaque fois, on a l’impression que ce sont des gens qui n’ont pas d’ancrage territorial, qui ont tendance à concentrer le pouvoir à leur niveau, quelquefois au mépris non seulement des élus, mais des peuples et des populations. Leur stratégie est de diviser pour mieux régner. Le problème, c’est qu’il ne faut surtout pas que nous, Martiniquais, acceptions l’idée que les élus Martiniquais soient méprisés. Parce que si nous apportons de l’eau au moulin de cette logique-là, non seulement les élus en première ligne seront discrédités, mais après, c’est pour mieux mépriser le peuple martiniquais. »
Jean-Philippe Nilor, député de Martinique
« Les gens qui parlent derrière un micro, sur une table, il faut qu’ils sachent que ça va se traduire en articles de loi qui seront contraignants pour l’avenir, en termes de marge, de profit, de méthode, de pratique, d’engagement de l’État. Si on peut acter ça au niveau parlementaire, ce sera déjà un grand pas. Parce que la lutte contre la vie chère ne saurait se circonscrire seulement à l’alimentaire. Ce qu’on peut gagner au niveau de l’alimentaire, on risque de le perdre, au niveau de l’automobile, des pièces détachées, et d’autres secteurs de l’économie dans notre pays. Il faut qu’on soit cohérent et pragmatique. C’est ce que nous avons choisi d’être et ça ne signifie pas que nous avons trahi le peuple martiniquais. Je pense que l’État est prêt à écouter. Pour cela, je rends hommage au RPPRAC. Parce que sans cette mobilisation-là, peut-être qu’on aurait été, encore une fois, inaudibles. Il faut être honnête. En Corse, ça ne joue pas quand il y a des mobilisations. C’est pourquoi ils obtiennent des résultats plus facilement que nous. Donc, quelque part, je me réjouis que le peuple soit conscient et soit debout pour défendre ses intérêts. Ça doit faciliter le travail de tous les parlementaires. Il faut arrêter d’opposer les Martiniquais. À chaque fois qu’on rentre dans ces stratégies d’opposition, c’est la Martinique qui perd et l’État qui gagne. »