— Par Roland Sabra —
C’était il y treize mois de cela. Dans la purgerie de Fonds Saint-jacques. Un instant magique plein de lumières et de promesses en fleurs. Mais on ne le sait que trop, jusqu’à n’en rien vouloir savoir, les fruits ne tiennent pas toujours la promesse des fleurs. A moins que ce ne soit cette funeste tendance à chercher son bien dans l’ombre de son plaisir. Qui sait ?
Le concept « D’une rive à l’Autre », mis en œuvre par Eric Ildefonse et encouragé par la DAC de Martinique et qui avait déclenché de réels enthousiasmes tout à fait justifiés lors de sa création, a, dans sa dernière version, un tout petit peu déçu. Sans doute attendait-on beaucoup trop. Oh ! non pas que les performances individuelles des uns et des autres aient été en retrait ou en deçà de leurs capacités, mais tout simplement parce que le résultat de la nouvelle réunion du groupe n’a pas été supérieure à la somme des talents réunis sur scène. Ce qui était présenté à Fonds Saint-Jacques concrétisait un travail de résidence de 15 jours. A Tropiques-Atrium Scène nationale, le groupe ne s’était réuni que quelques jours avant sa présentation devant le public, et encore de justesse. La magie ne s’est par recréée. Cela peut paraître un peu sévère sans pour autant, encore une fois, remettre en cause le talent des uns et des autres. Non. Mais on a assisté à une série de prestations individuelles qui, sauf à de rares moments, ne faisait pas œuvre collective, commune. Le fil du dialogue, que l’on avait justement célébré et encensé l’an dernier, était rompu ou tout au moins avait du mal à se renouer. Se pose alors la question des moyens mis en œuvre pour faire aboutir un projet aussi chargé de sens tant semble évidente la nécessité de le porter sur une longue distance. De multiplier, par exemple,ne serait-ce que les résidences de travail. Mais réunir des artistes venant de Singapour, New Delhi, Paris, Madrid, La Havane etc. a un coût…
L’idée était bonne, qui en douterait se reportera au compte-rendu de la première résidence il y a déjà un an.
Poncho Sanchez et son Latin Jazz Band est sans aucun doute le moment phare de ce Martinique Jazz festival 2016. Artiste célébré mondialement reconnu par l’ensemble de la critique et du public comme un des plus grands artistes de jazz latin de notre temps sa prestation a su convoqué la magie attendue. La magie de la traversée des frontières sans cesse érigées à seule fin d’être poreuses, et toujours déconstruites. Il se dit que sa mère,encore enfant, suite la conquête de son village par Pancho Villa et après s’être cachée sous le lit du révolutionnaire avait réussi à fuir aux Etats-Unis. Réalité ou légende, peu importe l’histoire ou la fable illustre bien le fait que la transversalité ou la transgression des genres supposent leur maintien et non leur abolition. Sa musique dont on dit que si elle était images la sienne serait une projection kaléidoscopique tourbillonnante, un arc en ciel explosif, un feu d’artifice tourbillonnant, est d’abord ancrée dans la tradition avec un fabuleux travail de percussions sur des textures de cuivres vives et tranchantes comme des rasoirs. Il balance entre polyrythmies africaines et mélodies de jazz entrecoupées de swing, de bebop enroulées autour d’une ligne de conduite principalement salsa qui génère autour d’elle et au delà d’elle des grooves bouillonnants et virulents capables de contaminer un auditoire de mal-entendants. Que Poncho Sanchez après plusieurs nominations ait obtenu un Grammy Awards est signe d’une reconnaissance tout a fait méritée. Son Latin Jazz Band tourne autour d’un noyau dont la direction musicale repose sur le tromboniste Francisco Torres et le trompettiste Ron Blake. Les autres membres du groupe varient en fonction des opportunités et des nécessités du moment mais les exigences musicales de Sanchez sont telles que l’ensemble fonctionne comme une unité, certes toujours ouverte à recevoir des invités pour des explorations, des découvertes, mais soudée par un professionnalisme sans concession.
Le Monsieur Jazz de Tropiques-Atrium Scène nationale offre une programmation qui swingue entre tradition et innovation, entre valeurs sûres et aventures. Ce n’est pas là le moindre de ses mérites.
Fort-de-France, le 04/12/2016
R.S.
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