Deux styles, deux poses…
par Roland Sabra
L’audace ne paie pas toujours. Samedi 26 novembre dans la salle Aimé Césaire du CMAC s’ouvrait le Martinique Jazz Festival ( notez l’ordre des mots!) avec en première partie en formation Quartet Grégory Privat, pianiste fils de son père José lui même pianiste du groupe Malavoi. Le public a apprécié et s’est laissé séduire par le manque de naturel du jeu quelque peu affecté de l’artiste qui en fait des tonnes, dans une gesticulation imitative qui emprunte vaguement à Glenn Gould et plus surement au grand guignol pour montrer à quel point il est traversé, travaillé, envahi par les morceaux qu’il interprète. Il faut dire que son toucher de clavier n’est pas aussi expressif et fait preuve d’une assez grande pauvreté, comme s’il lui fallait souligner par le geste ce que son interprétation ne sait dire. Taper n’est pas jouer. La complicité qu’il entretient avec Sonny Troupé à la batterie et au ka lors d’un duo est néanmoins l’occasion d’un rare moment de plaisir. Manu Godja à la guitare tire son épingle du jeu, tandis que Damian Nueva à la basse est totalement sous-employé. Musique classique, jazz fusion, clin d’oeil antillais, le public aime qu’on le caresse dans le sens du poil et Grégory Privat bénéficie en la matière, du moins on l’imagine, de l’expérience acquise par son père dans le registre de la musique de variété. Au risque de paraître paternaliste ou condescendant on dira que bonne enfant la salle était contente : elle aime ce qu’elle connait !
C’est avec la deuxième partie que le climat consensuel s’est détérioré. Erik Marchand, chanteur, clarinettiste, chercheur, est certes un artisan du renouveau de la musique bretonne actuelle mais pas seulement. Il est aussi passionné par les musiques du monde, de la Sardaigne, au Niger en passant par l’Albanie, la Hongrie, la Macédoine, les Balkans etc. Autant le dire tout de suite ce chanteur est le chantre des métissages interculturels. Il chante en breton sur des musiques issues du Tout-Monde. Il affectionne tout particulièrement Banat une région de Roumanie ou se mêlent intimement les Serbes, les Hongrois, les Allemands, les Bulgares, les Hutsuls de Transcarpathie et autres Ukrainiens sans jamais pour autant oublier les racines celtiques qui sont les siennes. Le Sextet dans lequel il se produisait est un parfait reflet de cette rencontre avec l’autre sans risque de se perdre. La réception des œuvres d’Erik Marchand suppose sans doute la mobilisation de codes culturels plutôt spécifiques à la vieille Europe. On comprendra dès lors que cette recherche musicale assez étrangère aux oreilles martiniquaises ait pu inciter une partie du public à quitter ostensiblement la salle entre les morceaux ou plus grossièrement encore pendant les morceaux eux-mêmes. Dommage car ce n’est pas tous les jours qu’il est donné d’entendre jouer du taragot, ce sax soprano en bois dont usait avec talent le musicien Costica Olan. Hélène Labarrière à la contrebasse a semblé courir plus souvent qu’à son tour derrière le tempo qu’elle était sensée donner au groupe. Jacky Molard au violon et surtout Mircea Dobre à l’accordéon ont parcouru en long en large et en travers le champ de l’imaginaire slave peuplé de fêtes, de larmes, d’exubérance et de tristesse à fendre l’âme. A mille lieues de tout histrionisme les émotions étaient dans la musique, les artistes s’effaçant derrière leurs instruments, comme Erik Marchand se retirant sobrement de trois pas dans les passages purement musicaux.
La question qui reste posée n’est pas tant celle de l’insertion d’une musique du monde dans une manifestation qui se veut jazzique ou jazzistique, c’est comme on veut, les débordements vers la variété sont assez fréquents, mais ils sont acceptés dans leur coloration antillaise. La vraie question est celle d’une information préalable du public. Si on peut saluer l’audace de la programmation, sa volonté d’ouverture vers des horizons inconnus et fatalement inquiétants puisqu’ils bousculent les repères musicaux habituels, on regrettera, pour Erik Marchand qui se produisait à la Martinique en première mondiale en Sextet le manque de préparation à une telle réception.
R.S.
P.S. : Il n’y aura pas de compte-rendu du spectacle de Fal Frett, toutes les places de presse ayant été attribuées aux autres médias martiniquais dont on sait qu’ils se font les fidèles commentateurs critiques des arts de la scène en Martinique. Nous ne pourrons rien dire sur la prestation de notre ami Raph Tamar. Dommage!!