— Par Roland Sabra —
Improbable ! Voilà le mot qui vient à l’esprit lors de la découverte, le 02 décembre 2011 au CMAC de Fort-de-France dans le cadre du Martinique Jazz Festival, du groupe NoJazz, qui s’impose d’emblée comme une non-évidence. Difficile de définir les contours de NoJazz. D’abord combien sont-ils ?sont-ils quatre ? Sont-ils cinq ? Question vertigineuse quand on découvre que chacune d’eux est plusieurs à la fois. Commençons par le plus simple, enfin ce qui peut paraître le plus simple, tellement NoJazz échappe à toute catégorisation. Le groupe est né il y a une dizaine d’années, on n’en saura pas plus, de la rencontre de copains musiciens engagés dans des champs musicaux hétérogènes, le rock, le jazz, l’électro, le hip-hop, le R&B, le funk etc . Et voilà qu’ils décident de jouer ensemble, d’abord des impros, se trouvent immédiatement un nom, puis vient le premier concert deux mois plus tard au Sunset. Un autre mois passe et Teo Macero, le producteur de Miles Davis, fait une entorse aux règles de vie que lui impose ses 75 ans, à savoir se mettre au lit à 23 heurs au plus tard, et reste à danser, oui, oui, à danser devant eux jusqu’à plus d’heure. Six mois plus tard NoJazz était avec lui à New York pour l’enregistrement du premier album. La configuration du groupe a peu changé depuis. Aujourd’hui il se compose de Philippe Balatier ( DJ, Claviers, Samplers) , Pascal Reva (Batterie, Guitare, Chant), Philippe Sellam ( Saxo)et Sylvain Gontard ( Trompette), auquel s’est adjoint HKB Finn, un anglais d’origine jamaïcaine, jongleur de mot, auteur de théâtre, choriste classique, etc.
Ils arrivent sur scène déguisés comme pour Carnaval en footeux extra-terrestre, en rappeur rosifié, en « orange-mécanique » décati, et autres trouvailles vestimentaires. Affirmation d’identités fortes qui dès les toutes premières notes privilégient le groupe comme entité. La musique, un peu planante mais toujours dansante, est un patchwork dans lequel dominent les cuivres, qui sont la marque de fabrique du groupe, et les sons acoustiques remixés par les synthés. Dans l’explosion on reconnaît du jazz, des tonalités latines, mille autres sources et on s’y perd pour mieux faire la fête. C’est le batteur Pascal Réva qui le dit : « «La musique de NoJazz, et particulièrement en concert, est un prétexte au partage d’un moment de fête, de la vibration autour d’une même pulsation et énergie positive à travers la danse, le groove, ou même le ‘risque’ de l’improvisation». A la fin du concert la salle Aimé Césaire du CMAC a dansé sur le titre le plus célèbre de NoJazz, « Boogaloo », qui sert de générique à l’émission « Salut les terriens » sur C+. C’est dans le live que leur talent donne toute sa mesure. L’énergie, le plaisir du décalage, la distanciation, l’ironie dans le jeu et les impros n’ont d’autres motifs que de promouvoir une musique qui insiste sur la joie de vivre, expression qui devient impudique par les temps qui courent.. Le détachement avec le quel le groupe opère n’est que l’expression d’un professionnalisme mis au service d’une émancipation des codes institués et sclérosants. NoJazz, en groupe futuriste nous dit que l’avenir est dans la diversité, la confrontation des différences, dans le métissage et que c’est bien bon.
Après NoJazz en première partie ce fût JazzOnly avec Kenny Garrett en quartet accompagné donc de Benito Gonzales au piano, Marcus Baylor à la batterie et Corcoran Holt à la contrebasse. Après le travail de l’horizontalité et des champs de traverse, le travail de la verticalité, de l’approfondissement du sillon qu’il faut creuser sans cesse. Kenny Garrett est devenu, un missionnaire du « vrai jazz en terre païenne du rock et du funk ». On retiendra la très belle homogénéité du timbre sonore mise en valeur dans les petites phrases musicales qu’il décline à l’infinie, dans des reprises non moins infinies de morphèmes musicaux, comme s’il était à la recherche de la note qui manque celle qui permettrait de les jouer toutes en un seul souffle. Il y a là dans le jeu musical de Kenny Garrett avec ses envolées, ses silences, ses cavalcades, ses ruptures, ses échanges parfois complices, parfois plus rudes avec son batteur, une quête de spiritualité, la recherche d’un au delà qui ne semble concerner que lui seul. C’est la mise en place d’une structure répétitive du morphème musical, avec une maitrise technique éblouissante , dans le creusement obstiné de quelques notes que Kenny Garrett nous dit que nous sommes irrémédiablement seuls au monde. Certains morceaux, comme l’introduction sont la juxtaposition de solos instrumentaux qui relèvent plus de l’affrontement d’Égos que de la coopération. Ce n’est que plus tard dans le concert que l’apaisement viendra quand la ligne harmonique l’emportera sur les seules associations rythmiques.
Contrastes et oppositions musicales auront été les tonalités musicales des deux concerts du Martinique Jazz Festival 2011 auxquels il nous aura été permis d’assister. Encore un signe d’ouverture.
R.S. le 03/12/2011