— Par Agnès Verdier-Molinié, Samuel-Frédéric Servière —
mardi 24 février 2009
Derrière l’augmentation importante des prix à la consommation par rapport à la métropole (de 20 à 60% selon les produits), le véritable problème des DOM est bel et bien issu des monopoles et du manque de concurrence.
Monopoles publics parce que les administrations des Antilles ont la haute main sur un certain nombre de services publics (ports, aéroports etc.) qui s’interfacent avec le monde extérieur et renchérissent d’autant le coût des produits importés (taxes et redevances aéroportuaires, octroi de mer etc.).
Monopoles privés, qui vont à l’encontre des règles de concurrence saine et non faussée prônées par Bruxelles y compris dans ces régions dites « ultra-périphiques » (RUP).
Pour pallier le renchérissement du coût de la vie lié aux monopoles publics et privés, la métropole dispense subsides et régimes dérogatoires officiellement pour contre-balancer les difficultés supposées nées de l’insularité. Exercice budgétaire après exercice budgétaire, ces financements publics sont distribués à fonds perdus.
L’économie de ces îles semble stagner et pourtant les transferts d’argent public n’ont jamais été aussi importants : près de 13,3 milliards € en 2009 vers les DOM/TOM, soit une augmentation de 3,4% par rapport à 2008. Une somme qui comprend 3,3 milliards d’aides européennes.
Les primes de 40% de majoration des traitements offertes aux fonctionnaires pour compenser la cherté de la vie représentent un transfert supplémentaire d’argent public de 1,5 milliard € [1], et sans compter les majorations versées au bénéfice des fonctionnaires en retraite (avec l’ITR : l’indemnité temporaire de retraite [2]) profondément réformée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.
Des dispositifs fiscaux et sociaux dérogatoires
Quant aux dispositifs fiscaux et sociaux dérogatoires, ils sont également très largement dispensés :
Exonérations des cotisations sociales propres aux DOM/TOM qui représentent 1,2 milliard €
Niches fiscales spécifiques qui représentent près de 3,3 milliards d’€, soit une progression de près de 11,8% depuis 2008, et ce, en dépit du plafonnement de la niche relative aux investissements locatifs outre-mer et le plafonnement global des niches fiscales.
Crédits budgétaires (en milliards €) |
Dépenses fiscales |
Soustraction des crédits alloués aux Missions régaliennes de l’Etat |
Total : Transfert net de l’Etat pour l’Outre-mer |
---|---|---|---|
13,3 |
3,2 |
-3,8 |
12,7 |
Collectivités d’outre-mer art.74 C (ex-TOM) |
3,3 |
La Réunion |
4,0 |
Guadeloupe |
2,5 |
Martinique |
1,9 |
Guyane |
1,1 |
Entre chômage, taxes et sur-administation
Malgré cette avalanche de deniers publics, le chômage atteignait en Martinique 22,4% et en Guadeloupe 22% au second trimestre 2008, soit 3 fois la moyenne nationale, tandis que les allocataires du RMI étaient 4 fois plus nombreux dans ces départements par rapport à la métropole (2%). Enfin, l’évaluation du dépassement du seuil de pauvreté, se révèle deux fois plus importante (12 et 12,5%) dans ces DOM par rapport à la métropole.
A la vérité, le malaise s’abreuve à plusieurs sources : d’abord et paradoxalement, la présence d’un secteur public hypertrophié, avec près de 28% d’emplois publics en Guadeloupe et 37 % en Martinique, quand la France, déjà en tête des statistiques, en compte 23%. Cette « sur-administration » structurelle, conjuguée aux indemnités et majorations évoquées plus haut, conduit à un décrochage important avec le privé. Seul le public parvient en effet à contrebalancer la cherté de la vie induite notamment par des taxes plus élevées ou n’existant pas en métropole : l’octroi de mer et les taxes aéroportuaires.
Les taxes aéroportuaires, dont les montants sont fixés à l’initiative des CCI locales (Chambres de Commerce et d’Industries), frappent les voyageurs comme le fret, dans la plus totale opacité [3]. L’octroi de mer, dont le taux est à l’initiative du conseil régional, frappe quant à lui les importations maritimes. Les rentrées fiscales procurées par ces taxes bénéficient directement aux budgets locaux [4].
Des entreprises en sous nombre
Alors que le développement économique insulaire devrait reposer en théorie sur quelques secteurs particulièrement bien développés comme le tourisme par exemple puisque les petits pays insulaires inscrits dans cette voie accroissent de façon significative leur PIB [5]. Malheureusement, le professionnalisme et l’accueil touristique ne sont pas à la hauteur pour recevoir une clientèle haut de gamme qui permettrait de développer le secteur des services voisins. Il n’y a pas non plus d’échappatoire du côté des productions sucrières ou bananières qui vivent douloureusement la concurrence des pays voisins et des pays africains (dans le cadre des accords de Lomé) qui disposent d’une entrée dans l’espace économique européen à égalité avec les produits domiens.
Devant ces écueils, les grandes familles de planteurs et d’industriels se sont rapidement reconverties dans l’import-export et la grande distribution en occupant une place monopolistique dans les deux îles. L’intégration verticale permet la détention exclusive des centrales d’achats, de bénéficier du monopole de certaines franchises dans les deux îles et de posséder les réseaux de grande distribution. Il en résulte inévitablement un manque de concurrence qui se reflète à la hausse sur les prix à la consommation en renforçant les tendances existantes. Ainsi, l’un des groupes îliens contrôle 43% des surfaces de vente en Martinique alors qu’un seul acteur ne peut normalement en posséder plus de 25%. Il y a manifestement abus de position dominante.
Par ailleurs, selon les chiffres de l’INSEE pour 2006, le nombre d’entreprises en Guadeloupe est seulement de 1776 avec une sur-représentation des commerces par rapport à la métropole et seulement 33 572 salariés. Si l’on compare avec la Dordogne, département à population comparable (388 293 conte 440 000 habitants en Guadeloupe), la Dordogne affiche quant à elle 17 370 entreprises employant 119 954 personnes.
Aussi, il semble que la résolution sur le long terme des problèmes économiques de la Guadeloupe et de la Martinique passe par l’amendement du principe de la « préférence communautaire » qui place de facto les Antilles en situation de dépendance des produits de la métropole, alors que des productions locales (Etats-Unis, Mexique, Brésil) seraient sans aucun doute bien meilleur marché. Une économie plus saine passe aussi par une concurrence réelle et non faussée au sein du secteur privé, quitte à en appeler à l’arbitrage de Bruxelles. C’est avec des prix soumis à la concurrence que le débat sur le pouvoir d’achat perdra de son acuité, permettant ainsi de baisser l’importance des transferts publics et des primes allouées aux fonctionnaires. Ainsi pourraient être jetées les bases d’une régulation plus saine de la vie économique insulaire, prélude à un changement des comportements qui devrait bénéficier à l’industrie touristique et aux secteurs économiques exportateurs. Cette évolution permettrait de mettre fin à une économie de comptoir rappelant trop souvent l’ancien régime.
Notes
[1] Majoration qui est en réalité double. La première est la « majoration de base » instituée par le président du Conseil Georges Bidault par la loi 50-487 du 23 avril 1950, sera complétée définitivement par le décret 57-87 du 28 janvier 1957 par une « prime d’éloignement » portée à 15% du traitement. Soit un traitement global majoré de 40%. Il faut y ajouter l’égalité des traitements avec majoration de 40% qui a été obtenue par les fonctionnaires locaux (13 330 en Guadeloupe), aboutissant à de fortes vagues de titularisation qui se sont d’ailleurs faites au détriment des emplois à temps complets générant de nouvelles tensions sociales ; mais aussi des majorations de rémunérations pour les emplois dans les secteurs dits « abrités » : Poste, EDF, GDF. Ce qui conduit à une contamination en direction du secteur privé concurrentiel, des revendications.
[2] Indemnité instituée par le décret n°52-1050 du 10 septembre 1952. Une indemnité temporaire qui dure… depuis plus de cinquante ans !
[3] La Cour des comptes a par exemple relevé, s’agissant de l’aéroport de Pointe-à-Pitre, qu’il ne disposait pas pour le calcul de redevance en 2007, d’une comptabilité analytique comme le lui imposait le code général de l’aviation civile. Un tel système doit néanmoins être entré en vigueur depuis 2008. Déjà en 2006 la Cour observait, s’agissant d’un rapport concernant l’aéroport de Rochambeau en Guyane, que « la comparabilité des redevances entre aéroports n’est pas facilitée en raison des modes de calcul (…) En matière de balisage, la redevance est calculée au mouvement (Pointe-à-Pitre), au tonnage (Cayenne) ou à la nature du vol (Fort de France).
[4] L’octroi de mer est une taxe sur les importations dans les îles qui remonte à 1670. Depuis sa dernière modification entrée en vigueur au 1er août 2004, l’octroi de mer permet d’abonder un fonds régional pour le développement et l’emploi. Ce fonds est divisé en deux parts : une part communale représentant 80% du fonds, contribue à la réalisation d’infrastructures et d’établissements publics sous forme d’une dotation d’équipement locale répartie en fonction de la population de la collectivité concernée. Les 20% restants constituent la part régionale et contribuent au développement économique, au désenclavement et à l’aménagement du territoire. Ensuite vient s’y superposer une taxe additionnelle : l’octroi de mer régional théoriquement facultatif de 0 à 1%. Les DOM sont parvenus cependant à faire sauter cette limite en 1994, avec un taux maximal de 2,5% et constitue une ressource propre du budget régional. L’octroi de mer constitue la plus importante des recettes régionales après la taxe sur les carburants et loin devant la taxe sur le permis de conduire et la taxe sur la carte grise pour les recettes de droit commun.
[5] Voir, Levratto, Nadine dir., Comprendre les économies d’outre-mer, Paris, L’Harmattan, 2007, notamment p.50 : « une stratégie de tourisme haut de gamme, relativement inélastique à la conjoncture internationale peut suffire à faire monter très vite les niveaux de recettes par tête et par suite, des PIB par habitant. Cette remarque est parfaitement illustrée par le cas des pays et territoires d’outre-mer britanniques de la Caraïbe, comme les Iles Vierges britanniques ou encore les Iles Caïmans. »
Agnès Verdier-Molinié, Samuel-Frédéric Servière
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