— Par Yves-Léopold Monthieux —
Ainsi donc, après le chœur des parlementaires d’outre-mer, le président de la CTM se fend d’une adresse au gouvernement , lequel prévoit d’attribuer « une aide à toute personne résidant en France métropolitaine justifiant d’un projet d’installation professionnelle durable dans les Outre-mer ». Un amendement parlementaire fut introduit dans la loi, puis supprimé au cours de la mise en œuvre de l’article 49.3 de la constitution. Il visait à réserver le bénéfice de cette disposition aux seuls ressortissants d’Outre-Mer, ses porteurs.
Le parallèle est permis entre ce projet et celui, mort-né, du secrétaire d’Etat aux DOM-TOM Olivier Stirn qui, en 1975, voulait faciliter la venue en Guyane de citoyens français. C’est alors qu’Aimé Césaire avait craint que les Français « européens » répondent en masse à cette invite, et avait redouté le risque d’un « génocide par substitution ». On ignore si c’est le coup de colère du député martiniquais qui avait eu raison du projet litigieux. Les nouveaux députés ont la même réaction que leur illustre prédécesseur. En 1975, Aimé Césaire se plaignait en effet qu’un apport d’allogènes d’environ 30 000 à 40 000 individus vînt submerger la population guyanaise. Cependant si le projet d’Olivier Stirn s’inscrivait dans un plan précis de peuplement de la Guyane, comme il y en eut tant d’autres, la présente bourde du gouvernement répond avec légèreté à l’exigence non moins légère d’un « BUMIDOM à l’envers ». Croire qu’en ne visant que les originaires des DOM la loi précipiterait le retour aux pays pour y créer de la population et de l’emploi ne paraît pas raisonnable. C’est pourtant ce qu’ont l’air de dire les parlementaires et signifier la lettre du Président, que celui-ci n’a peut-être pas relue.
Fallait-il en revenir au marronnier du BUMIDOM dont les « conséquences » jugées « catastrophiques » seraient responsables de l’effondrement démographique de 2000 à ce jour (baisse de 50 000 habitants) ? Cette catastrophe n’est-elle pas, en définitive, le résultat de 40 années de pouvoirs consacrées à des soucis presque exclusivement statutaires ? On le sait, le BUMIDOM a le dos large et en l’accablant de tares supplémentaires, « dégonflement démographique » et « dénatalité par une immigration intense des populations d’Outre-mer vers l’Hexagone », la sémantique anti-bumidomienne ne finit pas de s’enrichir. Peu importe que celle-ci fût contredite par les faits et que la population martiniquaise eût continué d’augmenter de 55 000 habitants de 1962 à 1982 et de 130 000 jusqu’en l’an 2000 (d’après les chiffres de l’INSEE), le marronnier peut encore servir. C’est à se demander si cette escroquerie intellectuelle finira bien un jour.
C’est peu dire qu’on ne retrouve pas dans la missive présidentielle le lyrisme habituel ou la qualité d’écriture d’autres lettres qui, faisant fi des « étroitesses économiques », font mieux avaler les invraisemblances. Les bras m’en tombent en lisant que « l’objectif principal est de faciliter, au nom de l’égalité des droits, le retour de près de 500 000 Martiniquais ». Voilà un chiffre plus inquiétant encore à ajouter à celui de 350 000 habitants actuels qu’en un précédent article (et en mode exagéré), j’avais évalué à un total de 600 000 habitants. Le Président vise plus haut encore, puisqu’en ajoutant les 500 000 habitants attendus aux 350 000 habitants actuels, faudrait-il donc 850 000 habitants pour que la Martinique atteignent son bonheur ? J’en reviens à ma question : « Est-on certain que ce chiffre serait la condition d’un avenir radieux pour la Martinique et les Martiniquais ? On peut en douter lorsqu’on observe les difficultés actuelles liées à l’occupation du territoire, notamment aux plans sanitaire, écologique et climatologique (l’île se rétrécit). A cette fin, combien faudrait-il de terre à bétonner et de déchetteries supplémentaires à creuser ? »
Fort-de-France, le 20 novembre 2023
Yves-Léopold Monthieux