Le président de l’association PUMA (Pour Une Martinique Autrement) est revenu pour [le journal Antilla] sur un sujet qui semble ne cesser d’inquiéter une frange (grandissante ?) de notre population : la qualité de l’eau potable. Des propos qui interpellent fortement. Et créent certaines attentes…
Antilla : Quels mots mettez-vous, spontanément, sur la problématique de l’eau potable sous nos cieux ?
Florent Grabin : Le problème de l’eau en Martinique est éminemment complexe. La plus grosse production appartient à la CTM, tout comme une bonne partie du réseau, le contrôle de la qualité de l’eau revient à l’Etat, via l’ARS (Agence Régionale de Santé), et la distribution de l’eau est assurée par ce qu’on appelle les ‘fermiers’ : la SME (Société Martiniquaise des Eaux) et la SMDS (Société Martiniquaise de Distribution et de Services), Odyssi étant une régie des eaux – quand par exemple il y a un manque d’eau sur le territoire de la Cacem, cet EPCI (communauté d’agglomération, ndr) achète de l’eau chez la SME, eau venant du Lorrain et de l’usine de Vivé, pour la faire ‘entrer’ dans le réseau. L’eau de Martinique vient à 95% de nos rivières – nos eaux brutes sont d’ailleurs de parfaite qualité en termes d’oligo-éléments, etc. – et nous n’avons pas de problèmes de ressources dans nos rivières. Par contre, en termes de pollution de la ressource, toute la production agricole arrive dans nos rivières. Donc il a fallu mener un dur combat pour faire réduire de 75% la consommation de pesticides dans cette production. Mais au moment où nous parlons, le ‘périmètre de sécurité’ n’a toujours pas été mis en place au niveau du captage de Vivé. Et si ce périmètre est mis en place, il est formellement interdit de faire de l’agriculture à côté, sauf s’il s’agit d’une agriculture propre.
A quoi servirait ce périmètre ?
Le ‘périmètre de sécurité éloigné’ fait qu’on ne doit pas utiliser de produits chimiques dans cette zone. Et avec le ‘périmètre de sécurité rapproché’ il y a des grilles au niveau du captage, pour éviter qu’une bête, ou une personne, puisse y entrer. L’usine de Vivé est la principale unité de production d’eau potable de Martinique. Il y a aussi celle de Rivière Blanche, où il n’y a aucune production agricole en amont, donc aucune pollution. Par contre, un camion d’hydrocarbures ou autres peut déverser, suite à un accident, son contenu à l’Alma par exemple. Et ça arriverait, accidentellement, dans le réseau.
C’est donc l’ARS qui s’occupe de la qualité de notre eau potable ?
Oui, l’ARS a pour compétence de vérifier cette qualité. Mais on s’était rendus compte que l’ARS produisait des résultats d’analyses en sortie d’usine. On a été alertés par ceux qui travaillent dans le réseau, qui nous ont expliqué qu’il y avait beaucoup de rouille et de tartre à l’intérieur des tuyaux. Ca c’est le discours professionnel, mais en discours chimique, scientifique, cela s’appelle un ‘biofilm’ à l’interface, dans toute la périphérie intérieure des tuyaux ; un biofilm, une sorte de boue, chargé(e) en pesticides et résidus de pesticides… Et les scientifiques avec qui nous travaillons*, nous ont dit qu’il fallait obtenir très rapidement les résultats de ce biofilm, pour savoir exactement où on en est en termes de qualité. Ceci sans oublier le phénomène de ‘relargage’.
C’est-à-dire ?
Quand vous injectez de l’eau de bonne qualité dans ces tuyaux, cette eau va forcément se ‘salir’, et arrivera à nos robinets… Nous avons alerté l’Etat à ce sujet, on a mené un bras de fer intense, et nous tenons à saluer Christian Ursulet, ancien directeur de l’ARS Martinique, qui nous avait enfin entendus. Le préfet de l’époque et lui avaient accepté de ne plus faire les analyses à Lille, mais au laboratoire de Valence ; laboratoire qui est l’équivalent aujourd’hui de notre LTA, Laboratoire Territorial d’Analyse. Et quand en 2008 nous avons reçu ces résultats d’analyses de l’eau passant par ce biofilm – et arrivant chez les consommateurs -, nous avons vu dans quelle ‘bombe chimique’ on se trouve. On a pu savoir le niveau de résidus de pesticides dans l’eau.
Et qu’indiquaient ces résultats ?
On a constaté 375 molécules, dans des doses différentes, dans l’eau du robinet. A PUMA nous ne sommes ni scientifiques ni médecins, donc nous nous interdisons de parler d’un sujet si nous ne l’avons pas fait expertiser par ces spécialistes. Et tous les scientifiques, de renommée mondiale, avec qui nous travaillons, nous disent qu’il faut arrêter ça tout de suite. Parce que ce mélange, ce ‘cocktail’ de pesticides arrivant chez le consommateur, entre en conflit dans les organismes humains. Et c’est à partir de ça que vous avez cette flopée de cancers, de maladies, etc. Depuis 2008 on observe 28 molécules les plus dangereuses, dont des molécules qui ne sont plus utilisées en Martinique et qu’on ne retrouve pas en rivières, mais qu’on retrouve dans ce biofilm, donc chez les consommateurs. Heureusement l’actuel préfet a compris qu’il fallait refaire des analyses, dont on aura les résultats dans quelques jours selon nos informations*. Cela fait plus de 10 ans que nous demandons à l’ARS, donc à l’Etat, de sortir de la logique nationale. Nous avons la possibilité de faire de la Martinique un pôle d’excellence écologique, en gérant cette question autrement que ce qu’ont décidé l’Europe et la France. Et en faisant ça on met en place le système pour protéger les générations futures, et pour dépolluer nos sols, le réseau, et les êtres humains…
Lire la Suite & Plus => Antilla N° 1907 – 6 Février 2020