— Par Yves-Léopold Monthieux —
Au moment de publier cette chronique, je prends connaissance de l’article écrit par Philippe Pierre-Charles sous le titre : « Prendre en compte la totalité de la situation politique que nous vivons ! ». La belle ambition ! Cependant j’observe que l’un des aspects essentiels de la situation politique que nous vivons n’y figure pas : l’inadéquation du peuple et de sa représentation politique, s’agissant de l’avenir de la Martinique. C’est précisément l’objet de ce papier.
Nation, peuple et identité.
Une nation, une nano-nation comme le proclame Édouard Glissant après l’avoir dénoncée dans le Monde, comme pour ne pas faire fausse note dans le Landerneau. Un peuple, un peuple à hauteur d’autres peuples. De préférence de grands peuples comme ceux du Japon ou de la France plutôt qu’à ceux de Ste Lucie ou de Dominique. Un grand peuple, donc, dans une nano-nation. Pourquoi pas ? S’ajoute une identité à sauvegarder même si elle est essentiellement fuyante. En effet, le Martiniquais de l’an 2000 n’est pas celui de 1950, qui n’avait rien à voir avec celui de 1900 et encore moins celui de 1848. L’évolution de 2000 à 2050 devrait décevoir encore les immobilistes de l’identité : le Blanc sera moins blanc et le Noir, moins noir. Mais qu’importe, ces grands principes (nation, peuple et identité immuable) alimentent l’essentiel du discours politique porté par les autonomistes et les indépendantistes, lesquels visent le même objectif (Lire plus loin la phrase d’Aimé Césaire).
A l’inverse, tous les martiniquais sont profondément Martiniquais et pratiquement tous se sentent tout autant citoyens français. Ils savent cependant que le principe de l’égalité des droits et des devoirs ne fait pas obstacle à la théorie des climats. Il y a un usage nécessairement différencié des droits selon qu’on se trouve à Fort-de-France ou dans le Lyonnais, à Grand-Rivière ou au Lamentin. Seule anomalie devenue quasi structurelle : 90% de la population favorables au maintien dans la France sont représentés seulement par 20% environ d’élus locaux et zéro parlementaire.
Ainsi donc, pendant 40 ans de pouvoir local, les 80% d’élus partisans de la rupture n’ont pas réussi à convaincre les Martiniquais de renoncer au statut d’appartenance. Les y contraindre à l’aide de subterfuges pseudo-démocratiques serait une claire entorse au principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Le chantage au largage et les circonstances
En 1981, les Martiniquais avaient cru venue une occasion de dire clairement leurs sentiments quant à leur avenir, en transformant l’élection présidentielle en véritable référendum. Les porteurs du discours d’appartenance avaient été accusés de pratiquer le « chantage au largage » alors qu’en réalité, ce sont les circonstances qui avaient puissamment aidé cette population à se déterminer. Ce furent :
- Le souvenir de la précédente « présidentielle » de 1974 où le candidat Mitterrand avait fait figurer les DOM au chapitre de la politique étrangère ;
- Le mot d’ordre du PPM « Autonomie étape vers l’indépendance » et les déclarations en mode « Français, faites vos valises ! » ;
- La pose momentanée du drapeau RVN sur l’Hôtel de ville de Fort-de-France au soir du rendez-vous manqué entre Aimé Césaire et Valéry Giscard d’Estaing ;
- La déclaration, ce soir-là, du secrétaire général du PPM proclamant la ville comme la « première parcelle libre » de la Martinique ;
- La déclaration dite des « 3 voies et 5 libertés » d’Aimé Césaire, comme discours d’ouverture d’une campagne électorale qui allait conduire à l’assassinat d’un homme.
- La déclaration de Césaire en 1980 : , , « Les colonies, c’est comme les fruits : quand ils sont mûrs, ils tombent ». , , « …dans une première phase, il nous faudra l’autonomie ».
Ainsi donc, à travers le score déplorable de François Mitterrand en Martinique (seulement 20% de votes favorables) ce sont toutes ces idées de rupture, portées plus encore par les autonomistes que par les indépendantistes, qui furent sanctionnées. Aimé Césaire en tira aussitôt leçon en prononçant le moratoire de la revendication autonomiste.
Reste qu’on n’a jamais permis aux Martiniquais de se prononcer clairement sur les 3 options institutionnelles qui animent la vie politique martiniquaise depuis 1960 : l’autonomie, l’indépendance, le statu quo ou son amélioration. La consultation populaire du 10 janvier 2010 aurait pu faire office de référendum, mais la réponse négative, y compris par le PPM, à ce qui fut nommé une « poussière d’autonomie » fut aussitôt annulée par une seconde consultation. Personne n’allait comprendre la question posée 15 jours plus tard ; après coup, les électeurs attachés au département découvrirent qu’ils avaient voté pour la disparition du département.
« Un long passage en mûrisserie »
Déjà, la consultation du 7 décembre 2003 avait été accusée de « Chat’en sac » par les autonomistes. Elle avait été boudée par le carré d’as du PPM : Aimé Césaire lui-même, Camille Darsières, Serge Letchimy et Pierre Aliker. Ce dernier qui était pourtant réputé s’être opposé au moratoire allait, au contraire, contribuer à le renforcer en s’opposant aux 3 consultations de 2003 et 2010 décidées par le gouvernement à la demande d’Alfred Marie-Jeanne. Cette absence de clarté a conduit à radicaliser sans frais le discours politique
Les lendemains de 1981 avaient paru donner tort à l’ancienne majorité de droite. Avec la décentralisation de 1982, il n’a point été question de largage. Au contraire, les caisses de l’Etat s’ouvrirent aux collectivités, ce qui rendit possible un clientélisme échevelé, propice à faire passer les idées de rupture tout en jetant un voile sur l’objectif poursuivi. Depuis, la Martinique est écartelée par des dirigeants qui jouent sur le terrain au « plus assimilationniste que moi, tu meurs » tout en distillant leur petite musique de rupture. Ils ont su ainsi convaincre les électeurs que voter pour des autonomistes ou des indépendantistes ce n’était pas voter pour l’autonomie ou l’indépendance.
Aimé Césaire, qui a tout dit, a affirmé que la Martinique allait le moment venu tomber dans l’indépendance « comme un fruit mûr ». A cet égard, la marche schizophrénique de la Martinique, un pied dans la France l’autre en dehors et la tête en Afrique, peut être regardée comme un long passage en mûrisserie.
Fort-de-France, le 6 août 2020
Yves-Léopold Monthieux