— par Alvina Ruprecht —
Conçu et interprété par Souria Adèle
Production de la Compagnie Man Lala
Avignon, 2007 Théâtre Le Paris
Mais qui est vraiment cette « Négresse de France » dont le portrait circulait sur les affiches du milieu « off » en Avignon? Il fallait absolument la connaître. Nous nous sommes rendus donc au théâtre Le Paris pour la découvrir. De premier abord, Souria Adèle, comédienne d’origine martiniquaise, nous trompe par son costume grotesque, ses grimaces un peu béates, la perruque collée sur le crâne, le « gwo bonda » – énorme protubérance d’un corps déformé par des années de travail et peut-être des accouchements multiples. Nous étions convaincus qu’il s’agissait d’une autre version de Jack et Pat, de Bankoulélé, ou de n’importe quel personnage sorti des sketches comiques du genre grosse farce très prisée par tous les publics en Martinique et en Guadeloupe. On adore ces personnages grotesques, simplistes, coléreux, à la fois naïfs et espiègles qui incarnent le bon sens du peuple mais un bon sens tourné en dérision. On a besoin de se voir sur scène. Voilà ce qui devrait expliquer cette soif masochiste d’aduler des images de soi qui ne sont pas toujours très belles. Les hommes sont souvent rongés par l’alcool et/ou victimes du chômage , les femmes jeunes sont bêtes, les femmes plus âgées sont laides et toujours risibles, quant aux femmes célibataires ce sont des desséchées qui se déhanchent parfois en travestis monstrueux. Ce monde de la comédie populaire est essentiellement misogyne et habituellement la foule hurle de joie devant le spectacle désolant de la femme qui ne peut plus attirer des hommes, signe incontestable d’une société sous le coup d’un machisme le plus cru. Heureusement, Souria Adèle nous détrompe vite car son spectacle va bien au-delà des gags faciles et de ces caricatures misogynes. Cette Mme Marie-Thérèse Barnabé, (à ne pas confondre avec la famille d’un certain Joby Bernabé) est la tante de la comédienne Souria Adèle qui elle, a pris du retard paraît-il. C’est donc la Barnabé qui va nous divertir en attendant l’arrivée de sa nièce. Mais quel divertissement! Car, c’est là où tout l’art du monologue et du conteur fait son apparition. Souria Adèle a su envoûter son public en créant un personnage qui a du « chien » et qui se révèle une grande professionnelle de la scène!! S’appuyant sur des techniques du récit oral, sur les traditions vaguement moralisatrices du conte, et sur des connaissances suffisantes de la politique française actuelle, elle nous instruit sur l’histoire des femmes en Martinique, elle nous livre ses commentaires politiques sur le nouveau régime sarkozien, et elle apostrophe le public, (surtout blanc) sur le racisme et la manière dont ces blancs perçoivent les noirs. Chose étonnante, malgré le sérieux du sujet, elle sait créer des sketches humoristiques, des réflexions spirituelles et franchement amusantes sur la vie quotidienne de la femme en Martinique tout en critiquant un certain regard « blanc » qui aurait pu choquer certains. Toutefois, le public était ravi, les réactions étaient chaleureuses, positives et accueillantes, même si ce même public était souvent la cible d’une critique à peine voilée. Il faut dire que la comédienne a su adapter son discours à son public et qu’une salle composée d’un public de majorité noire, n’aurait pas eu droit au même genre de commentaires. Cette capacité d’improvisation, selon les publics et selon les réactions de la salle (hostiles ou autres) oblige la comédienne de repenser continuellement son contenu et d’aiguiser son sens de l’humour. Il devient vite évident que c’est le rapport très particulier que la comédienne établit avec la salle qui domine ce spectacle. Elle emprunte des techniques et des stratégies du conte oral. Elle est absolument sans gêne! En s’adressant aux spectateurs, elle ouvre des voies d’une communication interactive qui encourage le public à participer. Elle a recours aux phrases clef qui assurent l’écoute du public : « Est-ce que la cour dort? Etc.. »; elle flirte d’une manière éhontée avec les maris; elle fait des clins d’œil aux femmes; elle invite certains spectateurs à raconter leur vie et à avouer leurs rapports les plus secrets avec la famille. On dirait qu’elle met en scène une forme de psychothérapie collective pour débarrasser les blancs de leurs préjugés et c’est à partir de ces moments-là que Mme Barnabé (alias Souria Adèle) avait toute la salle dans sa poche, au point ou nous avions presque oublié la « vraie » Souria. Lorsque celle-ci arrive enfin, dépourvu de ses couches de graisse et de sa perruque, la salle, agréablement surprise par la transformation, a retenu son souffle. N’empêche que Marie-Thérèse Barnabé, Négresse de France est du théâtre populaire, mais dans le genre, il est intelligent et la comédienne est douée. On pourrait critiquer cette forme d’auto-dérision de la femme car mal comprise, elle pourrait contribuer à confirmer des images stéréotypées du théâtre et des femmes de ces régions. Mais, voila la stratégie de Souria.. Elle part d’une vision de la femme associée aux comédies grotesques pour séduire le public, l’attirer dans son filet et l’obliger à passer à autre chose, En effet, le personnage révèle vite ses forces, en incarnant la résistance des femmes souvent laissées pour compte dans une société où les hommes mènent le jeu de tous points de vue. Alvina Ruprecht Avignon, 2007