Marie Reynier, Rectrice de l’Académie de Martinique et le « stock » des Contrats-Aidés Le mot de trop!

Poster-Tabou

— par Roland Sabra —

Edito du 28/02/2008

 Ambiance tendue le jeudi 21 février 2008 au Rectorat de l’Académie de Martinique où la Rectrice, Marie Reynier, recevait les acteurs du système éducatif mobilisés contre la suppression des  postes occupés par des Contrats-Aidés (C-A). Il s’agit là d’emplois précaires à durée limitée, qui ont été créés en 2005. Une partie du débat porte sur la nécessité ou non de ces emplois. Pour Marie Reynier ces emplois relèvent d’un programme politique d’insertion qui relève d’une logique autre que la seule prise en compte des besoins de l’Education Nationale, pour preuve, selon elle, le calcul de ces ouvertures d’emplois, qui repose sur le nombre de Rmistes enregistrés et non sur un recensement des nécessités éducatives. Ces créations d’emplois précaires sont intervenues alors que loi du 13 août 2004 a transféré aux départements et aux régions la gestion des personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS) des collèges et des lycées. Contrairement au texte constitutionnel ce transfert n’a pas été accompagné des moyens financiers adéquats. La Région et le Département n’ont donc pas pu, ou pas voulu, doter les établissements scolaires des TOS nécessaires à leur bon fonctionnement, pariant sur le détournement par les chefs d’Etablissement des tâches éducatives des Contrats-Aidés, en surnombre(sic!) vers des tâches d’entretien.

Telle n’est pas on s’en doute, la vision de la communauté éducative mobilisée ces dernières semaines. Les intervenants ont tous souligné que la suppression de ces C-A, la raréfaction de la présence d’adultes dans les établissements aggravent une situation de dangerosité qui s’est déjà illustrée, ces dernières semaines par des agressions de surveillants à la cantine, des intrusions d’éléments extérieurs venant proposer des produits illicites aux élèves.

Il est surtout apparu que Marie Reynier, s’est inscrite dans une logique de gestionnaire, appliquant scrupuleusement, les consignes politiques de non renouvellement  d’un poste sur deux qui lui sont transmises par le gouvernement sarkoziste. Son discours qui emprunte à une rhétorique « économiciste » et libérale lui fait considérer l’école comme une entreprise qui s’adresserait  aux collectivités locales comme à des « fournisseurs », des « prestataires de services », ne donnant pas satisfaction. Outre le caractère totalement déplacé du propos, les élèves ne sont pas des marchandises, ni une matière première sur laquelle interviendraient des enseignants, la formulation signe une pauvreté de la pensée qui emprunte à Bouvard et Pécuchet, et plus encore, aux effets de  mode qu’à une véritable réflexion. Le premier économiste d’entreprise venu sait que la présence d’un seul client et de deux acheteurs relèvent du monopsone et du duopole et en aucun cas d’une situation de marché satisfaisante!

 Marie Reynier, de formation scientifique, dit aimer, dans l’ordre, d’abord les chiffres parce qu’ils sont objectifs et puis les lettres parce qu’elles donnent du sens aux chiffres. On voit bien que l’intérêt pour les lettres est subordonné à celui des chiffres et que les réalités humaines qui se cachent derrière les statistiques ne pèsent pas très lourd. Vers la fin de l’entretien, et peut-être était-ce dû à la fatigue, les défenses se sont affaiblies et elle finira par parler vrai, par évoquer les « stocks » de contrats aidés qu’il faudra diviser par deux. Les cinéphiles qui ont vu récemment à Madiana ou au CMAC le beau film  » La question humaine » et qui étaient présents lors de cette confrontation ont assisté à une illustration in vivo du propos du film. Discours déshumanisant, discours d’autonomisation de la science, qui prétend n’avoir  à faire qu’à des énoncés en faisant l’impasse sur les instances d’énonciation, discours d’objectivisation (au sens didactique et pas encore psychiatrique!), c’est-à dire qui vise à transformer l’autre en objet statistique, en chose manipulable, logique de gestionnaire dont le film précité a montré ce qu’elle pouvait avoir en commun avec les  pires logiques totalitaires du siècle dernier. « Science sans conscience… ».

Les personnels ont fait le pari de démontrer que les établissements scolaires ne pouvaient pas fonctionner sans les Contrats-Aidés. Le travail a donc repris avec pour consigne de ne rien faire qui ne soit strictement contenu dans le statut professionnel de chacun. Une sorte de grève du zèle, qui ne dit pas son nom, et dont on peut penser, pour peu qu’elle soit organisée et suivie, qu’elle ne manquera pas d’aboutir à des blocages.

Roland Sabra

Droit de réponse (Marie Reynier et le « stock » de contrats aidés) « Mot pour mot »

Vous transformez un compte-rendu de séance en règlement de comptes si généraux que je ne tenterai pas de vous faire changer d’opinion. Par contre je souhaite quitter les a priori idéologiques, où vous paraissez ronronner, pour ouvrir à un travail du penser. Car être intellectuel n’est pas se contenter d’associer des images, fussent-elles celles de films intéressants, pour faire sens (l’imaginaire se chargeant seul de ces mises en réseaux automatiques des correspondances formelles), mais c’est précisément le contraire : se méfier de ces facilités spontanées, leur imposer la fonction critique, la rigueur de l’argumentation (il y a le sens de contrainte dans l’étymologie latine « argo »). Aussi je m’étonne que vous vous en remettiez au confort de ce qui émerge spontanément des connexions associatives. Car alors, aurait-on besoin des intellectuels et des artistes, qui travaillent, eux tous, à des rigueurs formelles pour contrevenir aux facilités des sens spontanés ? Si « enseigner » dit « faire signe », c’est bien que la pratique du signe est problématique au regard de la rigueur symbolique. Apprendre à réfléchir n’est pas s’émerveiller du miroir réflexif (Bachelard). Votre texte est lourdement grevé par une confusion épistémologique grave. En confondant les qualificatifs de « scientifique » (nécessité d’exposer toute connaissance aux rigueurs de la critique des conditions de son élaboration et au partage de l’expérience) et de « comptable » (manier et combiner des signes chiffrés), vous montrez que vous ne savez pas ce qu’est l’objectivation scientifique. Elle n’est pas la réduction du réel aux signes qui tentent de le désigner, mais la pratique du partage de l’expérience pour faire émerger un objet de savoir précis, c’est-à-dire haussé au rang de la connaissance échangée, autre que simplement subjective. Quand vous accusez de discours « d’objectivisation » (anglicisme) vous montrez que vous ignorez ce qu’est la résultante heuristique. Vous raillez que je confonde, selon vous, le signifiant et le signifié ! En situation de prendre la parole, une rectrice porte l’accent non seulement vers la fonction phatique du langage, pertinente à maintenir le contact de langue pour être entendue , mais aussi elle doit désigner par symbolique dès lors qu’elle vise l’explication, la communication d’informations et la transmission de données de réalité, bref, le dialogue construit. Pour dialoguer il faut choisir un registre de formulation/compréhension déjà pré-codé susceptible de limiter les dérives sémantiques (foisonnements imaginaires, interprétations, extrapolations). L’orateur précise son vocabulaire pour dire quelque chose (fonction sémiotique) et pas bruit oral (de langue de bois, phatique). On était donc en séance au rectorat pour parler emploi. J’ai utilisé le mot « stock » ; vous me le reprochez. Sachez que je l’ai choisi ni par hasard, ni par fatigue, ni par écrasement du signifiant sur le signifié. Le mot « stock » est un terme administratif courant (un signe très codé), utilisé en gestion de moyens financiers comptables. Il n’y est jamais question de signifier les personnes, pas davantage de suivre une mode qui avait été lancée le 6 Mai dernier ! Il s’agit d’un terme générique pour désigner la somme financière dont dispose un service, exprimée en ETP (équivalent temps plein). Il ne correspond pas aux personnes, l’emploi peut être à mi-temps, à 80%… En revanche, c’est bien le stock qui définit les réelles latitudes qu’a ou que n’a pas un responsable de service, puisqu’à une activité réelle devra correspondre une somme désignée. Si vous avez imaginé un écrasement sémantique, c’est vous qui déviez, pas moi. Croire que je consigne des corps et que j’encarte des personnes quand je gère des stocks d’emplois relève de votre fantasmatique personnelle : vous établissez des interconnexions d’images mentales. Chercher à le faire croire dans un rapport écrit est irresponsable ou manipulateur. La communauté éducative que l’on a tant mobilisée ces dernières semaines a fait l’objet de manipulations peu visibles et lisibles pour qui ne connaît ni notre milieu éducatif ni sa fragilité prompte à être utilisée dès qu’une échéance politique apparaît (ou quand sonne l’heure d’une revanche après des élections perdues). Des adultes ont abondamment donné aux enfants martiniquais le spectacle déplorable qu’on pouvait ne pas respecter le « sanctuaire que doit être l’Ecole » et s’en servir sans scrupule. Irrespect pour un lieu d’enfance, un havre social, où circulent surtout des abstractions (des symboles, des formes) grâce à la parole (des enseignants, des groupes formateurs), qui y est un peu protégée des sollicitations marchandes et des pressions sociales. Or, peu de personnes connaissent l’organisation de vie scolaire dans les établissements, peu sont donc susceptibles de déceler et d’évaluer la réelle influence de l’arrivée des personnes sous contrats aidés. Il est difficile de prouver que cette organisation a permis une réelle amélioration de la sécurité comme on l’a tant posé a priori et comme on a cherché à l’illustrer en laissant dire « des élèves se font violer dans les établissements scolaires ». Or un seul cas d’agression sexuelle a été signalé, il s’est produit le 21 janvier alors qu’une élève avait quitté son collège. A cette date, tous les personnels de vie scolaire étaient en poste. Mais l’on n’a pas hésité en séance ce jeudi 21 février à inciter la plus jeune, la plus fragile des assistantes à témoigner devant caméra de ce qu’elle n’a pas vu et qu’on lui a soufflé. Oui, ce filon de l’insécurité a été largement exploité pour faire peur aux parents, en omettant de dire que la Martinique a le double du potentiel de surveillance et d‘encadrement que la moyenne des départements français. Aujourd’hui, aucun argument n’est recevable pour que perdure la situation d’avant janvier. Les comparaisons dénoncent l’abus et font s’interroger. Alors, s’il faut le dire, à partir des cas étudiés, il apparaît qu’au fil du temps et parce qu’il y a eu des renforts et encore des renforts, la vie scolaire s’est aménagée en somme d’intérêts personnels. Ce qui oblige à la question : veut-on aujourd’hui uniquement protéger les personnes en contrats aidés ? Quels bénéfices secondaires ont-ils servi ? Car, voilà bien du monde d’accord pour crier haro sur le méchant libéral, le sans âme et sans humanité, si zélé à la botte. Et il devient soudain bien urgent de pointer le représentant de l’Etat (confondu d’ailleurs avec celui du gouvernement) comme manipulateur, froid calculateur en service commandé pour « les pires logiques totalitaires »… et votre texte étale les stigmates de la machine infernale, qui ne serait que nourrie de statistiques pour mieux décerveler … Et pourtant, puisque vous me tancez sur l’économie, pour créer de la richesse est-il diabolique de vouloir limiter le gaspillage, de vouloir traquer les profits marginaux tirés en douce, de vouloir dire que sans richesse créée il n’y a rien à partager, de prévenir que les personnes sans diplôme n’ont pas d’espérance d’emplois titulaires dans l’éducation nationale, de considérer qu’il faut diriger l’argent vers l’investissement pour espérer en un avenir plus prodigue ? Dans un univers où les violences et les abus (de la société libérale ou socialiste ou tribale) mettent les jeunes à mal, une Rectrice a à garantir d’abord et indiscutablement justice et équité.