— Par Sarha Fauré —
Marianne Faithfull, née le 29 décembre 1946 à Londres, est décédée le 30 janvier 2025 à l’âge de 78 ans. Chanteuse, auteure et actrice, elle incarne une figure emblématique du rock britannique, marquée par une carrière tumultueuse, mais également par une résilience exceptionnelle et une capacité constante à se réinventer. Son parcours, tant musical que personnel, a été jalonné de succès, de drames et de résurrections artistiques, faisant d’elle une icône de la culture pop.
Née dans un milieu aristocratique, Marianne Evelyn Gabriel Faithfull est la fille d’un espion britannique et d’une baronne autrichienne d’origine juive. Après le divorce de ses parents, elle passe quelque temps dans une institution religieuse avant de découvrir sa passion pour la musique et le théâtre. C’est à l’âge de 17 ans qu’elle fait une rencontre décisive avec le marchand d’art John Dunbar, qui l’introduit dans le milieu artistique du Londres des années 1960. C’est lui qui la présente à Andrew Loog Oldham, manager des Rolling Stones, qui la repère et lui propose de collaborer avec Mick Jagger et Keith Richards, les leaders du groupe.
C’est en 1964 que Marianne Faithfull se fait connaître avec *As Tears Go By*, une chanson écrite pour elle par Jagger et Richards. Le succès est immédiat, et ce single propulse la jeune chanteuse au sommet des charts. Son image d’« ange blond » s’établit rapidement, et elle devient l’une des figures emblématiques du mouvement pop britannique des années 1960, aux côtés des Beatles et des Rolling Stones. Ses premiers albums, qui allient pop et folk, rencontrent un certain succès, et elle se distingue par un timbre de voix particulier et un charisme indéniable.
Cependant, c’est à partir de la fin des années 1960 que la trajectoire de Marianne Faithfull commence à se complexifier. Sa relation avec Mick Jagger, aussi médiatisée que tumultueuse, la place sous les projecteurs, mais aussi sous une pression constante. L’intensité de cette liaison, accompagnée d’une immersion profonde dans le monde de la drogue, finit par affecter sa carrière et sa santé. En 1967, elle est arrêtée lors d’un raid dans une maison de campagne de Sussex, où des membres des Rolling Stones, dont Jagger, sont également interpellés. À partir de cette époque, la jeune chanteuse sombre dans une période d’excès et de dépendance, marquée par des épisodes d’errance, de tentatives de suicide, et de ruptures douloureuses. La relation avec Jagger prend fin en 1970 après une fausse couche et un épisode de dépression grave, qui accentuent la spirale descendante de Marianne Faithfull.
Les années 1970 seront donc pour elle une période de chaos et de souffrance. Son addiction à la drogue et à l’alcool prend le dessus, et sa carrière musicale décline. Elle vit une époque d’errance dans les rues de Londres, traversant des épisodes de sans-abrisme. Néanmoins, cette période donnera naissance à des enregistrements plus sombres, comme l’album *Dreamin’ My Dreams* (1975-1976), où sa voix, déjà marquée par les années d’abus, prend une tonalité plus rauque. Elle se marie brièvement avec Ben Brierley, bassiste du groupe punk The Vibrators, mais ce mariage est de courte durée.
C’est en 1979 que Marianne Faithfull opère un spectaculaire retournement de carrière avec la sortie de *Broken English*, un album qui représente une rupture complète avec son passé de pop star. Ce disque est une révélation : sa voix, désormais rauque et écorchée par les années d’abus, exprime des émotions brutes et poignantes. Les morceaux comme *The Ballad of Lucy Jordan* et *Why D’ya Do It* révèlent une profondeur et une authenticité nouvelles, et l’album est salué tant par la critique que par le public. *Broken English* devient un classique du rock, et propulse Marianne Faithfull dans une nouvelle ère musicale, marquée par une image plus rebelle, influencée par le punk et la scène rock des années 1970. L’album remporte un immense succès, et Faithfull obtient une nomination aux Grammy Awards, marquant son retour triomphal.
Les années 1980 et 1990 voient Marianne Faithfull continuer son ascension, même si la critique considère parfois ses albums comme étant en déclin. Elle enregistre *Dangerous Acquaintances* (1981) et *A Child’s Adventure* (1983), et continue d’expérimenter musicalement. Son travail avec des artistes de la scène alternative et expérimentale, comme le compositeur Hal Willner pour le projet *Lost in the Stars* (1985), montre son goût pour des collaborations artistiques exigeantes. Elle explore aussi des genres variés, notamment le jazz, le blues et le cabaret. C’est également durant cette période qu’elle fait ses débuts au théâtre, en interprétant des œuvres de Bertolt Brecht et Kurt Weill, un tournant dans sa carrière qui marque son envie d’explorer d’autres formes d’expression artistique.
Dans les années 1990, Marianne Faithfull continue de prouver sa capacité à évoluer avec le temps. En 1995, elle sort *A Secret Life*, un album composé en collaboration avec Angelo Badalamenti. Ce projet, très apprécié par la critique, est une preuve de son talent à se renouveler sans se renier. Parallèlement, elle se produit à nouveau au cinéma, avec des rôles notables dans des films comme *Irina Palm* (2007), mais aussi dans des œuvres plus underground. En 1997, elle collabore avec Metallica pour la chanson *The Memory Remains*, ce qui témoigne de son influence croissante au sein des générations musicales plus jeunes.
Les années 2000 marquent une nouvelle phase pour Marianne Faithfull. Après avoir survécu à un cancer du sein, elle enregistre plusieurs albums qui connaissent un grand succès. *Kissin’ Time* (2002) est un album pop expérimental qui voit des collaborations avec des artistes comme Beck et Billy Corgan. En 2004, *Before the Poison* devient un autre de ses projets marquants, écrit en collaboration avec PJ Harvey et Nick Cave. Ces collaborations avec des figures de la scène rock alternative illustrent la place toujours centrale de Marianne Faithfull dans le paysage musical.
Son dernier album, *Negative Capability* (2018), est l’un des plus poignants de sa carrière. Il témoigne de sa réflexion sur l’amour, la perte et la rédemption, avec une voix qui, bien que fragilisée par les années, reste d’une rare intensité émotionnelle. En 2020, alors qu’elle traverse une épreuve de santé majeure liée au Covid-19, elle fait preuve d’une résilience sans faille, surmontant cette crise pour finaliser son projet avec Warren Ellis, *She Walks in Beauty* (2020), un recueil de poèmes romantiques anglais.
L’héritage artistique de Marianne Faithfull est indéniable. Sa carrière, marquée par des rebondissements spectaculaires et une profonde capacité à se réinventer, a marqué plusieurs générations d’artistes et de fans. Elle n’a cessé de se réinventer au gré des époques, tout en restant fidèle à ses racines musicales. Son influence dépasse largement le cadre du rock, et sa place dans l’histoire de la musique et de la culture populaire est incontestable. Faithfull laisse derrière elle une œuvre inaltérable et une image de femme forte et fragile, une survivante d’une époque qui a vu le rock traverser ses plus grands bouleversements.
Elle décède en janvier 2025, mais son nom, son œuvre et son impact resteront à jamais gravés dans la mémoire collective.