Guadeloupe Festival
— Par Roland Sabra —
Marche, rituel théâtral d’avant le coucher du soleil d’après le texte de Christian Petr dans une mise en scène de Serge Barbuscia.
Les dieux de la pluie ne l’ont pas permis. Lundi soir, Chac, Tlaloc, Cocijo et consorts ont conjugués leurs efforts pour interrompre le rituel, place des martyrs de la liberté à Pointe-à-Pitre. La troupe emmenée par Serge Barbuscia est revenue le mardi matin à 11 h, le soleil au mitan du ciel, dans le ronronnement des marteaux-piqueurs et le bruit-blanc de la ville affairée à ne pas vouloir entendre, à ne pas vouloir voir celui dont on allait nous parler.
Il est né de l’observation par Christian Petr, d’un homme d’une quarantaine d’année arrivé par un matin de printemps Place des Corps Saints dans la Cité des Papes, avec pour seul bagage un sac de couchage et qui va s’y installer, sans rien dire à personne, sans jamais qu’un mot ne soit prononcé, pendant six ans. Il vivra, est-ce le mot ?, de denrées ramassées dans les poubelles, de quelques aumônes parcimonieusement accordées, blotti sous les porches clos des immeubles, accroupi et adossé aux façades murées des bâtisses anonymes, faisant six pas, jamais plus, s’arrêtant immobile un instant, puis six autres pas suivis d’un nouvel arrêt.
Serge Barbuscia, lui-même avignognais de raison et sans doute de cœur, a voulu transcrire au théâtre le texte de son ami, écrivain, spécialiste de l’Inde et professeur de littérature générale et comparée à l’Université d’Avignon. La tâche était rude, ardue. Le texte est un poème, compact, d’une haute densité construit comme le reflet d’un personnage de même nature et pourtant énigmatique, insondable. Il exigeait une prouesse pour éviter son affadissement. Le cercle de l’enfermement en lui-même du personnage est suggéré par cinq personnages venus du cirque avec, un Monsieur Loyal, qui balance entre adresse au public et mutisme éthéré, de la commedia dell’arte avec une soubrette faussement naïve qui joue de l’insolence entre deux confidences. Les autres, un dompteur ou bouton de vènerie, on ne sait mais en tout cas musicien, un instituteur en blouse grise et noeud papillon, une respectable un peu respectueuse, viennent de la rue. Du théâtre de rue. Ce théâtre qui de l’Antiquité à nos jours en passant par la Fête des Ânes a toujours joué de l’interaction avec le public. Et Monsieur Loyal d’organiser une enchère publique sur le prix d’un errant ! Et le public, ce jour-là lycéen, de se prendre au jeu, de surenchérir ! Et les multiples adresses aux spectateurs d’abord intimidés et finalement ravis de pouvoir répliquer !
Quelques rampes de planches noires autour d’un vide central, le lieu de l’absent, de celui dont on parle et à propos duquel on fait appel au réveil des consciences endormies, aux regards oublieux de la misère montante. Il est là présence d’une absence à sa vie, matérialité d’un vide au milieu de l’espace de jeu, cerné de personnages qui parlent de lui, eux-mêmes entourés d’un public, dispositif qui par la force de des choses souligne sont statut d’objet. Processus de dé-subjectivation enfouit dans le silence des consciences.
La troupe est formidable de générosité et de talents maîtrisés, bien soutenue par un environnement sonore, un peu malmené ce jour là par le contexte de la prestation. La rencontre entre Gilbert Laumord, comédien et directeur artistique de la Compagnie Siyaj, et Serge Barbuscia se fait autour du partage de valeurs communes, celles de l’identité, de la culture et de notions bien souvent galvaudées auxquelles ils redonnent tout leur éclat, celles d’humanités.
Pointe-à-Pitre, le 04/05/2016
R.S.
MARCHE
D’après le texte de Christian Petr
Mise en scène de Serge Barbuscia
Composition musicale de Dominique Lièvre
Avec
Camille Carraz, Aïni Iften, Gilbert Laumord, Fabrice Lebert
et Serge Barbuscia
C
Scénographie: Atelier Collectif Théâtre du Balcon
Costumes: Annick Serret
Direction Technique: Sébastien Lebert