— Par M’A —
C’est dans la rue qui porte son nom, dans le centre culturel qui porte son nom, que l’avant-première de la toute première pièce de théâtre évoquant sa vie a été jouée et saluée par un tonnerre d’applaudissements grandement mérités.
J. José Alpha s’est livré à un long travail d’enquête, multipliant les entretiens avec les proches, relisant les articles de presse locale, française et étrangère, exhumant les archives de la Bibliothèque Schoelcher et les documents de la Fédération Française de Boxe (BoxTime) pour nous proposer « Manuella et le boxeur », « Drame d’inspiration tragique » à propos de la vie de François Pavilla. Un travail d’historien et de sociologue qui restitue avec justesse le climat et les contradictions sociétales dans lesquelles s’est construite la phénoménale carrière du boxeur martiniquais. Arrivé en métropole dans les années 1950, il fait partie de cette génération de migrants venus d’outre-mer à qui l’État, préfigurant le BUMIDOM, promettait opportunité et vie meilleure. Cependant, ils ont souvent dû lutter contre l’exil et la misère, l’ostracisme et le racisme. François Pavilla, grâce à la boxe, parvient à se sortir de la pauvreté, incarnant l’espoir et la détermination de ceux qui ont cru en un avenir meilleur.
Repéré dès 1952 par Jean Bretonnel, « un physique à la Gabin, une chemise noire et une gouaille de titi parisien » mais surtout un manager légendaire dans le monde de la boxe, François Pavilla remporte en janvier 1964 son premier titre de champion de France des poids welters. Jean Bretonnel, réputé pour défendre les intérêts de ses boxeurs tout en prenant 30 % de leurs gains, avait pour habitude de les vouvoyer. Il traitait personnellement les contrats, organisait quelques fois leurs vacances, les « paternait » en quelque sorte, avec leur acquiescement.
Un an avant de devenir professionnel, François Pavilla rencontre et épouse Manuella, d’origine portugaise, de sept ans son aînée. Elle sera son autre mentor, son garde-fou. « Manuella […] le prenait dans ses bras comme un bébé après le combat. Elle savait apaiser ces moments rageurs qu’il fallait oublier en dehors du ring. » Quand il lui fait part, enthousiaste, qu’il a été contacté par le gouvernement de Michel Debré en 1963 pour rejoindre la rue du Faubourg-Saint-Honoré lors de la création du BUMIDOM, elle le met en garde : « Et ta préparation au Championnat ? Tu y as pensé ? […] Tu vas faire de la politique, François, c’est ça ? Fais attention mon papillon, à ne pas te brûler les ailes ; la politique se sert toujours des sportifs et des artistes pour asseoir son pouvoir. Une fois ses objectifs atteints, tu es jeté comme un kleenex ! Je ne sens pas ces choses-là qui vous tombent dessus d’un claquement de doigts. Ils vont vous utiliser, […] pour gagner vos publics. Tu es un boxeur et pas un politicien. Tchip !!! Nous n’en avons plus jamais parlé. »
Manuela va se battre pendant 9 ans pour faire reconnaître l’erreur médicale qui a tué son mari. Elle sera dans ce combat, à l’image de l’homme de sa vie, courageuse et déterminée. « J’ai lutté comme il l’aurait fait, pour sa mémoire et pour nos enfants » déclarera-t-elle à la presse. Les tous derniers moments de son existence, plus sombres, vécus en Guadeloupe, ne sont pas évoqués. Peu importe.
C’est une des qualités du texte de J. J. Alpha que de mettre en évidence les deux dimensions, professionnelle et familiale, qui toutes les deux à parts égales, sans jamais empiéter l’une sur l’autre, vont contribuer à la réussite de François Pavilla. De même, il ne fait pas l’impasse sur les contradictions intrafamiliales sous-jacentes, sur les « réserves » (euphémisme !) d’une partie de la belle-famille à l’égard de la « peau blanche » qu’a profondément aimée François Pavilla et qui l’a aimé tout autant. Une voix off le rappelle fort judicieusement à la fin de la pièce, réaffirmant par là-même la dimension sociale et historique de cette double passion qui a emporté Pavilla pour la boxe et pour Manuella.
« Manuela », c’est Gladys Arnaud que nous n’avions pas vue sur scène en Martinique depuis 10 ans, sauf erreur de notre part, et c’est un vrai plaisir de la retrouver. Comédienne, traductrice passionnée par les textes et la langue espagnole, autrice de théâtre, son parcours se déroule lui aussi sous le signe de la passion. Du cours Florent à Paris, en passant par le Taller Nacional de Teatro de Caracas, avec un détour par Le Théâtre de Moscou, elle traverse assez souvent l’arc antillais aux côtés de Michèle Césaire dans le « Bal d’éventails », « Le Blues de Staggerlee » et « Le Chemin des petites Abymes », ou de Jean-René Lemoine dans « La Cerisaie » de Tchekhov, mais aussi de Samuel Légitimus dans « Le coin des Amen » de James Baldwin, ou encore Odile Pedro Leal dans « La Maison de Bernarda Alba » quand elle ne travaille pas avec Julius Amédée Laou, Alain Knapp, Daniel Mesguich, Nabile Farès.
Son compagnonnage théâtral avec J. José Alpha s’initie avec « L’épreuve » de Marivaux et « Lazare et sa bien-aimée » de Khalil Gibran. Ce sont donc des retrouvailles heureuses quant à leurs conséquences. Gladys Arnaud donne vie et chair, avec une palette de jeu tout en délicatesse et force, finesse et puissance, à cette femme « doubout ». Eric Bonnegrace la seconde avec la générosité qui lui est propre, en Papa Fernand, Monsieur Jean et autres personnages secondaires. Passé par la salle de musculation, Laurent Troudard figure, avec finesse et sans mot dire, François Pavilla, dans une chorégraphie dont on regrette qu’elle n’ait pas plus d’ampleur.
Malgré des conditions matérielles précaires, inconfortables, la représentation a été acclamée par un public totalement enchanté. Habitués du théâtre ou théâtreux, novices ou néophytes, tous y ont trouvé leur bonheur car c’est une autre qualité, et ce n’est pas la moindre, de ce spectacle que d’offrir des clés de lecture à différents degrés, en fonction d’un rapport distancié ou intime avec l’art théâtral, ce en quoi il est une parfaite illustration de ce que doit être un théâtre populaire.
M’A
Distribution : Gladys Arnaud / Eric
Bonnegrace / Laurent Troudard
Texte et mise en scène : J. José Alpha (2023)
Administration : Ass.Téatlari
Théâtre des cultures créoles /
AMSEC
Lumières : José Cloquell / Ass. My
Outre-mer
Montage vidéos : Chromakom
Co productions : Direction des Affaires Culturelles – Préfecture Martinique (DAC) / Collectivité Territoriale Martinique (CTM) / Tropiques Atrium Scène nationale Martinique / Association Terre d’Arts / Ville de Saint-Joseph / Festival culturel de la Ville de Fort-de-France / Spirit of Pavilla Boxing Club des Terres Sainville / Téatlari-Théâtre des cultures créoles / Mécénat divers
Photo : France-Antilles