“Manifestes”, de Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant

— Par Frédéric Manzini —

Dans les années 2000, les deux écrivains martiniquais Patrick Chamoiseau (né en 1953) et Édouard Glissant (1928-2011) ont cosigné, parfois avec d’autres auteurs, plusieurs tribunes inspirées par divers événements de l’actualité – l’élection de Barack Obama, la venue de Nicolas Sarkozy en Martinique, le passage d’un ouragan ou le mouvement social de 2009 aux Antilles contre la cherté de la vie. 

Six de ces écrits sont désormais rassemblés dans le recueil Manifestes (La Découverte, 2021) : les deux intellectuels complices font partager leur vision du monde empreinte d’un lumineux humanisme qui se situe dans l’héritage d’Aimé Césaire. Doux utopisme ou résolu optimisme ?

La question des Antilles

Bien sûr, la question de ce qu’ils appellent « ces enclaves coloniales archaïques que sont encore les pays dits DOM-TOM » occupe une place centrale dans les prises de position des deux auteurs. Ils entendent refonder la relation entre les outre-mers et la métropole sur le fondement d’échanges fraternels qui rompent avec les dominations passées : « Les Républiques “unes et indivisibles”, écrivent-ils, doivent laisser la place aux entités complexes des Républiques unies qui sont à même de pouvoir vivre le monde dans ses diversités. » Mais plus généralement, c’est le monde et ses évolutions – c’est-à-dire ce que Glissant thématise sous le concept de « Tout-Monde » – qu’il s’agit de repenser, entre mondialisation économique, capitalisme appauvrissant et créolisation des cultures. 

Esthétique du Tout-Monde

Mais Glissant et Chamoiseau ont une approche poétique des questions politiques, qui convoque volontiers l’imaginaire. Après le passage de l’ouragan Dean en 2007, ils se réjouissent de la « quasi-disparition des panneaux publicitaires qui offusquaient nos paysages » et proposent de « revoir notre rapport aux grands arbres, comprendre que l’âge les remplit de mystère et de magie ». Quand certains veulent légiférer sur l’identité nationale, ils opposent la logique de l’enfermement et du mur à celle de la beauté de la relation, et des échanges qui, ouverts sur l’avenir, changent les âmes de tous en les enrichissant. 

La dynamique du Lyannaj

Comme métaphore de cette « unité-diversité », Glissant et Chamoiseau utilisent l’image du « Lyannaj », ce terme créole qui désigne le mouvement par lequel les forces s’agglomèrent entre elles, comme des lianes qui se joignent et s’emmêlent pour se renforcer mutuellement. C’est ce qui leur permet d’affirmer comme un credo : « Nous croyons à l’avenir des petits pays. » Ils y croient  surtout si ces derniers sont capables d’unité et d’innovation, à l’exemple de ce projet de faire de la Martinique le premier pays du monde à produire de manière biologique. Est-ce un rêve de voir les« petits pays soudain immenses d’être les premiers exemples de sociétés post-capitalistes » ? Et si c’était là, plutôt que dans la Silicon Valley ou ailleurs, que se trouvaient les laboratoires d’un monde nouveau ?

 

Manifestes, de Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant (avant-propos de Patrick Chamoiseau et postface d’Edwy Plenel, 168 p., 12 € version « papier », 7,49 € version numérique), est publié par La Découverte et les Éditions de l’Institut du Tout-Monde. Il est disponible sur le site des éditions de La Découverte, ainsi que chez votre libraire.