« Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
S’il y a un enseignement à tirer de la crise sanitaire, c’est bien le rôle fondamental de l’Assurance Chômage comme indispensable amortisseur social. Comme lors de la crise économique de 2008, la France a pu compter sur son modèle social pour modérer les effets destructeurs de celle-ci. Ainsi pour répondre immédiatement au confinement, l’État a-t-il pu recourir massivement au dispositif de chômage partiel afin de protéger les salariés qui se voyaient privés de travail. Cette solution convenant aux salariés en emploi stable.
Malheureusement, la crise du coronavirus a également montré les fragilités des règles de l’Assurance Chômage, tant celles-ci ont été transformées au fil des ans :
Comme cela a été très documenté dans la presse ou les journaux télévisés, le drame que connaissent les 2,5 millions de travailleuses et travailleurs en emplois discontinus et en CDDU (Contrats à Durée Déterminée d’Usage) n’a pas eu de réponse satisfaisante, et peu ont pu bénéficier du dispositif de chômage partiel.
Non seulement leurs activités ont dû être stoppées nettes pendant le confinement, mais encore le sont-elles pour longtemps. Par exemple, pour tous les guides conférenciers, les extras en restauration, les techniciens et autres freelances de l’événementiel: la réouverture pleine et entière du tourisme ou des grands événements publics et privés dont dépendent leurs emplois est encore incertaine avant des mois. Ces travailleurs dépendent subitement de l’assurance chômage et voient leurs jours d’indemnisations fondre comme neige au soleil, basculant au fur et à mesure au RSA (quand ils y ont le droit…)
Le 3 juin 2020 a été voté à l’Assemblée Nationale le projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire. Un des dispositifs concerne le sort des chômeurs suite à la crise.
Lors des navettes parlementaires, l’amendement 121 qui, initialement, permettait la prolongation des droits à l’indemnisation de tous les chômeurs jusqu’au 31 août 2021, a été drastiquement caviardé au Sénat pour ne permettre ce maintien de droits qu’aux seules annexes 8 et 10 de l’assurance chômage (celles des intermittents du spectacle).
Soit une solution trouvée uniquement pour 122000 intermittents de l’emploi sur 2,5 millions.
Pour les autres 2,3 millions intermittents de l’emploi, et ce malgré la volonté de nombre de députés et sénateurs de les aider, la disparition d’une annexe au régime de l’Assurance Chômage adaptée à leur pratique d’emploi a privé les législateurs d’un moyen de les protéger comme les intermittents du spectacle. Ceci faute de pouvoir les isoler du Régime Général auquel ils ont été rattachés depuis la suppression de l’annexe 4. Cette annexe couvrait jusqu’à sa suppression en 2017 les salariés intermittents (hors spectacle) et les intérimaires.
En outre, et comme le précise l’UNEDIC elle-même dans son rapport du 28 mai, la dernière réforme de l’Assurance Chômage de 2019 (qui fait peser sur les travailleurs précaires les 4 milliards d’économie sur trois ans voulus par le gouvernement) a déjà des effets dévastateurs dans la mise en œuvre de sa première partie :
« On observe 20 000 rejets d’ouvertures de droit par mois pour cause d’affiliation insuffisante (12 000 avec une affiliation entre 4 et 6 mois et 8 000 avec une affiliation entre 1 et 4 mois correspondant aux anciennes conditions de rechargements). Ils concernent des demandeurs d’emploi qui auraient pu ouvrir un droit en convention 2017 avec cette même affiliation. » (source : UNEDIC)
Quant à la deuxième partie de la réforme, initialement prévue le 1er avril 2020, mais pour l’heure repoussée au 1er septembre, l’UNEDIC précise :
« Les nouveaux modes de calcul du SJR (Salaire Journalier de Référence) et de la durée de droit auront un effet sensible sur l’indemnisation des personnes privées d’emploi à partir du 1er septembre n’ayant pas travaillé de manière continue sur les deux ou trois années précédentes.
Pour rappel, nous estimions avant crise que 850 000 entrants seraient concernés par cette mesure lors de sa première année d’application : leur allocation mensuelle diminuerait, passant de 905 € à 708 € en moyenne par mois (-22 %).
Parmi eux, les plus affectés seraient au nombre de 190 000 : ils percevraient une allocation mensuelle diminuée de 50 % (…) La baisse d’activité qui se prolonge dans certains secteurs, du fait du déconfinement progressif mais aussi d’un nouveau contexte économique, affectera directement l’emploi. Elle conduira à une baisse sensiblement plus importante des allocations versées, en particulier dans l’hôtellerie, la restauration et les métiers en lien avec le tourisme et l’événementiel. (…) Il convient de rappeler que le rôle premier de l’assurance chômage est de fournir un revenu de remplacement à celles et ceux qui se retrouveront privés d’emploi dans les mois à venir.» (réf : Dossier de synthèse Assurance Chômage de l’UNEDIC du mois de mai 2020)
A noter que la réforme censée permettre l’indemnisation des indépendants et des démissionnaires n’a permis, selon l’UNEDIC, qu’à 200 indépendants et à 300 démissionnaires d’en bénéficier !
Dans une étude parue le 3 juin 2020 de l’Institut de Recherches Économiques et Sociales (IRES), les chercheurs en sociologie et en économie Mathieu Grégoire, Claire Vivès et Jérôme Deyris étudient l’évolution des droits à l’Assurance Chômage depuis 1979, et montrent l’explosion des contrats courts en concomitance avec la dégradation des droits au chômage des salariés en emplois discontinus.
« Durant cette période, le chômage a beaucoup augmenté quantitativement mais il s’est aussi beaucoup transformé qualitativement. Parallèlement à la montée en puissance de l’emploi atypique et à la multiplication des « contrats courts », un chômage atypique (qui représente aujourd’hui 40 % des demandeurs d’emploi) s’est aussi développé. Les demandeurs d’emploi comptabilisés dans les catégories B et C de Pôle emploi ont connu une hausse de 244 % entre 1996 et 2020 alors que, sur la même période, le nombre de demandeurs d’emploi de la catégorie A est resté relativement stable (+ 3,6 %). » (source : IRES)
Leur conclusion est sans appel :
« (…) Les montants pourraient fréquemment être inférieurs aux montants perçus par les allocataires du RSA.
Ce basculement dans la couverture des précaires doit être mis en perspective avec les évolutions de l’emploi. Alors qu’on constate une réduction de la durée des contrats et une forte augmentation des recrutements en contrat de moins d’un mois, les règles d’indemnisation évoluent dans le sens d’une moindre couverture des salariés qui occupent ces types de contrat.
Ces transformations doivent également être mises en perspective avec les évolutions du taux de couverture de l’indemnisation du chômage dont nous avons montré qu’il était déjà au plus bas avant cette réforme qui ne manquera pas d’exclure de nouveaux chômeurs et dont on peut aussi anticiper qu’elle augmentera le nombre d’indemnisables non indemnisés » (source : IRES)
En 2020, il y a toujours 6 chômeurs sur 10 qui ne sont pas indemnisés (chiffres UNEDIC).
Cela est inadmissible et contrevient à l’esprit de la Constitution !
Que se serait-il passé pendant la crise du covid-19 si 6 malades sur 10 n’avaient pas été couverts par la Sécurité Sociale et donc se seraient retrouvés dans l’impossibilité de se soigner ?
En conséquence, et vu l’urgence de la situation pour des millions de concitoyens au pied du mur, nous demandons :
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Le retrait définitif de la réforme de l’Assurance Chômage en cours.
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La prolongation de l’indemnisation des intermittents de l’emploi, comme cela est le cas pour les intermittents du spectacle (annexe 8 et 10) jusqu’au 31 août 2021
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La création d’une annexe de l’assurance chômage prenant en compte les spécificités de l’emploi discontinu.
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Un moratoire sur l’Assurance Chômage.
Il est temps de faire du droit des chômeurs un débat national, de repenser l’Assurance Chômage comme étant un bien commun tel que pensé à l’origine par les créateurs de la Sécurité Sociale (bien qu’il ait fallu attendre 1958 pour la création de l’UNEDIC) et ainsi que le prévoit la Constitution.
Le chômage n’est pas le choix des chômeurs. Il est impensable de continuer à leur imposer des politiques leur faisant porter la responsabilité du manque d’emplois.
Nous demandons à tous, syndicats, politiques, associations de vous associer à cette tribune, de la signer, de la partager afin de refaire de l’Assurance Chômage un droit social protecteur pour tous.
Pour une nouvelle Réforme de l’Assurance Chômage !
LISTE DES CO-RÉDACTEURS (10/06/2020)
Collectif des Précaires de l’Hôtellerie, de la Restauration et de l’Événementiel (CPHRE)
Collectif Les Gens Du Spectacle (LGDS)
Collectif Luttons Pour ne Pas Mourir (LPPM)
Collectif Les Artisans Des Spectacles (ADS)
Collectif des artistes-auteurs indépendants pour une intermittence des arts & des lettres
Le Collectif Les Matermittentes (LCLM)
Coordination Nationale des Intermittents et Précaires (CNIP)
Mouvement National des Chômeurs et Précaires (MNCP)
Fédération des Guides Interprètes – Paca (FGI-paca)
Fédération des Métiers Intermittents du Tourisme de l’Événementiel et de la Culture (FMITEC)
Fédération Nationale des Guides Interprètes et Conférenciers (FNGIC)
Association “Freelances de l’Événementiel”
Association des Speakers et Maîtres de Cérémonies (ASMC)
Syndicat independants.co
LISTE DES SIGNATAIRES à ce jour ICI
Pour apporter votre signature en tant que syndicat, personnalité politique, association, collectif,…
envoyez un mail de confirmation à luttonspournepasmourir@gmail.com en précisant
NOM / PRÉNOM / FONCTION / ORGANISATION
RÉFÉRENCES
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Mathieu GREGOIRE, Claire VIVES, Jérôme DEYRIS ,
Quelle évolution des droits à l’assurance chômage ? (1979-2020), Rapport pour l’IRES juin 2020
Etude soutenue par la CGT dans le cadre du partenariat avec l’IRES-
Synthèse de l’étude :
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Synthèse de l’UNEDIC (mai 2020) :
https://drive.google.com/file/d/1SFGMqhzQZlojcUpk1wGaxQObQRXZmavf/view?usp=sharing -
Statistiques Pôle Emploi (juin 2019) :
https://statistiques.pole-emploi.org/indem/indempub/204696