De la parole à la grève
Un peu partout dans le monde, nous assistons à un renouveau des mouvements féministes: #metoo a contribué à diffuser et libérer la parole des femmes* et, grâce aux réseaux sociaux, a eu un écho planétaire. Un exemple: l’extraordinaire grève des femmes * de l’Etat espagnol le 8 mars 2018.
En Suisse aussi, le sexisme, les inégalités et les violences à l’encontre des femmes* persistent, malgré un discours politiquement correct sur l’égalité et bien que l’égalité soit inscrite dans la Constitution fédérale depuis 1981.
Au pays de la prétendue paix du travail, les femmes ont déjà fait une grève qui a mobilisé 500’000 personnes ! C’était le 14 juin 1991, dix ans après l’entrée en vigueur de l’article constitutionnel sur l’égalité. Ce jour-là, les femmes ont croisé les bras: la grève a eu lieu non seulement sur les lieux de travail, mais aussi dans les foyers, où elles ont arrêté de faire le ménage, ont suspendu leurs balais aux fenêtres, n’ont pas cuisiné ni pris en charge les enfants.
La grève des femmes de 1991 avait surpris tout le monde. Un immense élan vers l’égalité avait secoué le pays: nous avons depuis lors obtenu des résultats concrets comme une Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes, un congé maternité, le splitting et le bonus éducatif dans l’AVS, la solution dite des délais en matière d’avortement, des mesures de lutte contre les violences domestiques.
Aujourd’hui, nous avons besoin d’un nouvel élan ! Le 22 septembre 2018, 20’000 femmes* et hommes solidaires ont manifesté à Berne pour l’égalité et contre les discriminations. Le début d’une mobilisation que nous voulons poursuivre jusqu’à la grève féministe et des femmes* le 14 juin 2019 !
L’égalité stagne : les femmes* se mobilisent !
Nous sommes toutes exposées au sexisme, aux discriminations, aux stéréotypes et aux violences, sur le lieu de travail, à la maison ou dans la rue. Mais nous savons que des oppressions spécifiques basées sur l’appartenance de race, de classe ou sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre se combinent, si bien que certaines d’entre nous peuvent subir des discriminations multiples. Faire vivre la solidarité entre les femmes* du monde entier, c’est un des objectifs de notre grève.
Fortes de nos diversités, nous refusons toute instrumentalisation de nos luttes, notamment à des fins racistes. Nous revendiquons le droit de vivre libres dans une société qui garantit des droits égaux pour toutes*.
Durant ces vingt dernières années, nous avons assisté à la montée des politiques néolibérales: les services publics ont été remis en cause, les prestations ont été réduites, des secteurs comme la santé ont été soumis à la logique marchande, les conditions de travail et de retraite ont été péjorées. L’économie capitaliste veut maximiser les profits au détriment de l’être humain et de l’équilibre écologique. Les femmes* sont les premières à en souffrir en tant que travailleuses précaires, migrantes ou encore mères, souvent seules responsables du foyer et des enfants.
Comme le disent les Islandaises: «Ne changeons pas les femmes, changeons la société !». Car l’égalité ne peut se réaliser dans un monde où seul compte l’argent, mais nécessite de construire une société où ce qui compte est le respect et le bien-être de chaque être humain.
Le 14 juin 2019, nous nous mettrons en grève sur nos lieux de travail, dans nos foyers et nous occuperons l’espace public
Parce que nous en avons assez des inégalités salariales et des discriminations dans le monde du travail.
A cause des inégalités, nous subissons davantage la précarité, le chômage et la pauvreté. Nous sommes majoritaires dans les emplois précaires et mal payés, mais peu nombreuses à accéder aux postes à responsabilité. Les métiers «féminins» sont dévalorisés, car les compétences requises ne sont pas reconnues. Nous voulons un salaire égal pour un travail de valeur égale, ainsi qu’une révision de la loi sur l’égalité, comprenant des contrôles et des sanctions. Nous voulons que le secteur de l’économie domestique soit soumis à la Loi sur le travail et nous voulons les mêmes droits pour toutes*, quel que soit notre travail.
Parce que nous voulons des rentes qui nous permettent de vivre dignement.
Les assurances sociales ne prennent pas en compte nos parcours de vie et ne répondent pas à nos besoins. On ne tient pas compte des dangers et de la pénibilité spécifiques des métiers «féminins». Le chômage, la précarité et la pauvreté ont souvent un visage féminin, particulièrement pour les seniores. Nous refusons la hausse de l’âge de la retraite des femmes, alors que nous subissons des discriminations pendant toute notre vie active. Nous voulons des assurances sociales qui tiennent compte de nos besoins et de notre réalité, notamment dans la prévoyance vieillesse.
Parce que nous voulons que le travail domestique, éducatif et de soins soit reconnu et partagé, de même que la charge mentale.
Le gène du travail ménager ne fait pas partie de notre ADN et pourtant il nous est principalement assigné. La charge physique et mentale qu’implique tout ce travail n’est pas prise en considération. Ce travail est tellement dévalorisé qu’il en devient invisible. Il est pourtant indispensable au fonctionnement de l’économie et de la société. Et il permet aux conjoints, aux enfants et proches de se réaliser dans la vie. Nous voulons que le temps de travail domestique soit partagé et reconnu dans toutes les assurances sociales, en particulier pour nos retraites.
Parce que nous nous épuisons à travailler, nous voulons réduire le temps de travail.
Le temps de travail professionnel a été défini sur le modèle de l’homme travaillant à plein temps et de la femme au foyer. Ce modèle, construit sur des stéréotypes de la masculinité et de la féminité, est dépassé. Le droit du travail ne contient que de rares dispositions pour concilier vie professionnelle et vie privée. Le congé maternité n’a été obtenu qu’en 2005, après des années de luttes. La surcharge de travail et le stress nuisent à la santé des êtres humains et à l’environnement. Nous exigeons une réduction massive du temps de travail légal pour sortir du piège du temps partiel. Nous voulons travailler moins pour vivre mieux et pour avoir le temps d’assumer et de partager les responsabilités familiales et sociales. Nous voulons davantage de congés pendant la vie active, en particulier un congé parental égalitaire et obligatoire.
Parce que le travail éducatif et de soins doit être une préoccupation collective.
Afin que les mères puissent poursuivre leur activité professionnelle, il est indispensable de développer l’accueil des enfants. Mais cela ne suffit pas: il faut aussi davantage de structures pour les personnes âgées et malades. Or, les politiques actuelles d’assèchement des recettes fiscales, de privatisation et de coupes budgétaires remettent en cause ces services au lieu de les renforcer ! Nous voulons le développement de services publics de qualité, en particulier des structures d’accueil pour les enfants et des infrastructures pour la prise en charge des personnes âgées et/ou dépendantes.
Parce que nous revendiquons la liberté de nos choix en matière de sexualité et d’identité de genre.
La sexualité féminine est peu connue et méprisée (elle est une salope, il est un séducteur). L’éducation au consentement est pratiquement inexistante. L’hétérosexualité est considérée comme la seule norme à suivre et génère aussi bien le rejet de toute autre forme de sexualité, notamment envers les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles, qu’envers les personnes trans*, queer et intersexuées (LGBTQI-phobie), que des inégalités de droits. Encore aujourd’hui, le monde médical considère les transidentités comme une pathologie et perpétue des mutilations génitales sur des personnes intersexes. Nous voulons que les lois et institutions nous confèrent les mêmes droits et devoirs qu’aux personnes formant un couple hétérosexuel, que ce soit en termes de mariage, d’adoption ou de filiation automatique. Nous voulons un accès adéquat aux soins, qui nous respecte et qui ne nous stigmatise pas ni ne nous mutile.
Parce que notre corps nous appartient, nous exigeons d’être respectées et libres de nos choix.
Nous refusons les injonctions omniprésentes tout au long de notre vie. Des tenues vestimentaires nous sont imposées ou interdites. Le pouvoir patriarcal nous soumet au culte de la maigreur et de la jeunesse. Le corps médical est peu formé en matière de santé sexuelle, reproductive et de santé générale des femmes, au point qu’une crise cardiaque peut être confondue avec une simple crise d’angoisse. La société continue de normer la maternité et la non-maternité, le célibat, les relations intimes. Nous voulons le libre choix dans la reproduction, le droit à l’avortement libre et gratuit, mais aussi la gratuité et le choix de méthodes de contraception et des produits d’hygiène féminine, ainsi que l’accès gratuit au traitement lors d’une transition basée sur l’auto-détermination.
Parce que nous refusons la violence sexiste, homophobe et transphobe, nous restons debout !
En Suisse, deux femmes par mois meurent sous les coups de leur (ex)partenaire. Une sur cinq subit dans son couple des violences physiques et/ou sexuelles durant sa vie. Les agressions sexistes, misogynes et contre les personnes LGBTIQ dans l’espace public sont alarmantes. Si le féminicide est une réalité, c’est parce que les actes de violence ordinaires sont banalisés dans toutes les sphères de la société. Le harcèlement au travail, sur les lieux de formation, dans la rue ou sur les réseaux sociaux nous concerne toutes*. Nous n’avons pas à supporter ces violences ! Nous exigeons un plan national de lutte contre les violences sexistes qui mette en oeuvre la Convention d’Istanbul, et qui prévoie les ressources nécessaires pour assurer notre sécurité et celle de nos enfants. Nous refusons l’isolement dans lequel les violences nous enferment et nous nous organisons solidairement pour nous défendre et nous soutenir.
Parce que nous voulons que la honte change de camp.
Nous n’acceptons plus l’impunité des auteurs de violences sexistes. Nous exigeons des programmes de prévention précoce dans les écoles et la formation de l’ensemble des personnels concernés, corps médical, police, intervenant.e.s sociales et sociaux, avocat.e.s et juges. Toutes les femmes* victimes de violence doivent être entendues, accueillies, respectées, protégées et soutenues. Le harcèlement sous toutes ses formes et dans tous les lieux où il se produit, y compris sur les lieux de formation, doit être politiquement combattu et pas seulement moralement condamné.
Parce que lorsque nous venons d’ailleurs, nous vivons de multiples discriminations.
Si nous partons, c’est à cause d’une économie mondialisée qui a appauvri nos pays d’origine, à cause aussi des guerres et de la violence que nous subissons. Ici, nos diplômes et nos formations ne sont pas reconnues. Ainsi, nous sommes souvent confinées dans les tâches domestiques et les métiers de soin. Nous nous occupons des enfants, des personnes âgées, des ménages. Des tâches invisibles, non reconnues et non valorisées. Dans certains cas, nous sommes à disposition 24 heures sur 24, parfois sans statut légal. Par notre travail, nous permettons à d’autres femmes d’accéder à l’emploi, de faire carrière. Nous voulons un véritable accès à la justice, sans risque d’être expulsées. Nous demandons que notre statut soit régularisé, que nos diplômes soient reconnus et nous réclamons une législation qui nous protège contre les formes multiples de discriminations que nous subissons en tant que femmes, migrantes et travailleuses.
Parce que le droit d’asile est un droit fondamental, nous demandons le droit de rester, lorsque nos vies sont en danger.
Le droit d’asile ne tient pas compte des violences spécifiques au genre, ni dans notre pays d’origine, ni pendant le parcours migratoire, ni dans le pays d’accueil. Les violences que nous subissons sont souvent indicibles et lorsqu’elles sont dites, elles ne sont pas écoutées. Notre droit de séjour dépend de celui de notre conjoint: une logique inacceptable. Nous revendiquons le droit à être protégées dans le pays où nous demandons l’asile, quel que soit notre statut marital, notre couleur de peau, notre nationalité, notre orientation sexuelle, identité de genre ou notre affiliation religieuse.
Parce que l’école est le reflet de la société patriarcale, elle renforce les divisions et les hiérarchies fondées sur le sexe.
Les parcours scolaires et professionnels des jeunes sont impactés par les valeurs, les normes, les règles, les modèles proposés par les établissements d’éducation, ainsi que par les pratiques, les supports, les outils pédagogiques, les contenus d’enseignement, les manuels scolaires, les interactions et finalement l’institution elle-même. Nous voulons que l’école soit un lieu d’émancipation et de promotion de l’égalité avec un langage inclusif, des formations de pédagogies critiques, des modèles féminins et familiaux variés, un esprit coopératif et solidaire. Pour ce faire, nous voulons que le corps enseignant et l’ensemble des personnes qui interviennent dans le cadre préscolaire, scolaire et parascolaire soient formées sur ces questions.
Parce que nous voulons des cours d’éducation sexuelle qui parlent de notre corps, du plaisir et de la diversité sexuelle.
Il est important de faire de la prévention en santé sexuelle, notamment en ce qui concerne les violences, les grossesses non voulues, les infections sexuellement transmissibles. Mais il faut aussi parler de la vie affective et sexuelle, du corps, des sensations, du plaisir et particulièrement du plaisir féminin. Pour cela, nous demandons que ces cours soient dispensés par des professionnelles spécialistes de la santé sexuelle et que les heures d’éducation soient beaucoup plus nombreuses. Nous demandons une éducation à la diversité sexuelle, avec des supports à jour, dans laquelle les orientations sexuelles et les identités de genre ont leur place.
Parce que les espaces relationnels doivent devenir des lieux d’échange et de respect réciproque.
Il faut pouvoir expérimenter au quotidien de nouvelles modalités de relations sociales sans violence, où l’autogestion et le partage remplacent les pratiques autoritaires et standardisées de la société patriarcale et capitaliste. Nous voulons une société où le travail productif serve les intérêts communs des êtres humains et non le profit capitaliste, où l’équité sociale, l’équilibre écologique et la souveraineté alimentaire soient des valeurs inaliénables.
Parce que les institutions ont été conçues sur un modèle patriarcal et de classe dans lequel nous n’apparaissons qu’en incise.
Dans l’espace public et politique, les discriminations de classe, de race, d’orientation sexuelle, d’identité de genre ou le handicap se combinent. Il faut donner une place aux terrains dans lesquels nous agissons au quotidien – comme les associations de quartiers ou les écoles – dans les processus décisionnels liés aux politiques publiques. Il faut ouvrir des espaces de négociations au sein même des territoires, en dialogue avec les premières intéressées. C’est ainsi que nous pourrons être davantage représentées en politique, y compris dans les institutions, notamment dans les parlements, pour obtenir la parité.