— par Selim Lander —
Annabel Guérédrat est une performeuse talentueuse. Elle l’a prouvé dans des pièces comme I’m a bruja (« Je suis une sorcière ») qui nous avaient marqué. Elle revient avec une nouvelle pièce inspirée par les sargasses, ces algues nauséabondes qui envahissent régulièrement la Martinique. Le programme – qu’elle dira à un moment de la pièce, alors qu’elle est couchée sur le plateau, prenant une pause bien méritée après la séquence de danse qui a précédé – est alléchant dans sa perspective afrofuturiste, décidément à la mode après Tropique du Képone vu la semaine dernière :
« Après des siècles de colonisation, de contamination, d’occupation et de tourisme, aucun humain, aucun animal, aucune plante n’a survécu. Seules les sargasses sont restées.
Mami Sargassa, une nouvelle entité génétiquement modifiée, a éclos. Pour rester vivante, elle s’enterre elle-même dans de la sargasse fraîche. Cet acte de sorcellerie lui permet de renaître, de se réhumaniser, d’enfanter de nouveaux êtres hybrides ».
Au début de la pièce, une vidéo montre Annabel Guérédrat, nue, au milieu des sargasses dans lesquelles elle se roule, s’enroule, parfois nageant, parfois bousculée par les vagues. Cela fait de belles images en phase avec le propos affiché. Après ce prologue, la performeuse apparaît en personne vêtue d’une combinaison moulante, chaussée de bottes à semelles de geta et enveloppée dans un filet de pêche. Entre-temps la musique live aura commencé (batteur à jardin et guitariste électrique à cour).
Commence alors un spectacle qui tient plutôt de la danse que de la performance proprement dite, une danse déchaînée, violente sur une musique qui frappe surtout par son intensité sonore, accentuée lorsque A. Guérédrat se saisit d’un micro.
Cette première partie s’achève par un moment assez beau et reposant dans la mesure où les musiciens ont, pour la circonstance, abandonné leurs instruments. Couverts de filets comme A. Guérédrat au début, ils forment avec elle, d’abord tous les trois debout, une sorte de bouquet qui s’effondrera pour former comme un amas de corps roulé par la mer. Bientôt ne restent que les deux hommes à genou face au public ; en jetant en cadence leurs filets lestés ils reproduisent le bruit du ressac.
A. Guérédrat qui a profité de cet intermède pour se changer, revient vêtue cette fois d’une combinaison noire et les pieds nus. Elle interprète une danse sans autre accompagnement que le bruit de ses pieds frappant le plancher, avant que ne reprenne la musique, toujours aussi fort, pour accompagner une danse toujours aussi violente.
On sait la fascination d’A. Guérédrat pour les sorcières – « sorcière » est d’ailleurs un surnom qu’elle utilise parfois. Les mimiques de MamiSargassa, tout comme sa danse font en effet penser, sinon à une sorcière, à une personne qui ne nous veut pas du bien. Par ailleurs la danse d’A. Guérédrat est une vraie performance… physique. Mais l’énergie ne fait pas tout et MamiSargassa 3.0, si elle est la plus bruyante, n’est pas la meilleure pièce d’A. Guérédrat. On attend avec d’autant plus d’impatience son prochain spectacle.
Musique : Daniel Dantin, Raphaël Gautier
Festival CEIBA, sous le chapiteau, à Saint-Esprit, 21 mars 2024