— Par Selim Lander —
Astrid Bayiha est une comédienne talentueuse et l’on est toujours curieux de la retrouver dans des rôles où elle tient la vedette (l’adaptation de La Vie sans fard de Maryse Condé, Jazz de Koffi Kwahulé), ou non (Tram 83, au dernier festival de Limoges, d’après le roman du Congolais YY). Dans Mami Wata elle est à la fois auteure, metteuse en scène et interprète.
La pièce se tient dans la chambre d’un hôpital psychiatrique. Lorsque les spectateurs pénètrent dans la salle, A. Bayiha est déjà là, couchée sur un lit blanc, unique élément de décor (mais qui deviendra pendant un moment l’ébauche d’une table de restaurant). Rêve-t-elle où les deux personnages supplémentaires qui apparaissent lorsque les lumières s’éteignent sur les gradins sont-ils des créatures autonomes, comme la note d’intention nous invite à le penser ? Peu importe, en fait, car Mami Wata ne raconte pas vraiment une histoire. C’est une pièce plus visuelle que bavarde, une affaire d’instincts, d’élans brisés et repris, de corps qui se défient et s’entrechoquent. Avec deux ennemis qui peuvent néanmoins se montrer tendres et complices, Mami Wata et « Lui », la fille et le garçon, l’envers et l’endroit.
Mami Wata (interprétée par A. Bayiha) appartient au panthéon Vaudou, femme puissante, femme- sirène qui, à la fin de la pièce, retournera à la mer grise projetée sur le fond de scène. Elle ne déçoit pas dans ce rôle, même si Jordan Large (Lui) lui vole quelque peu la vedette dans ses numéros de mime. C’est d’ailleurs une particularité de cette pièce d’hésiter entre plusieurs registres qu’on peut, pour simplifier, identifier à chacun des rôles : le mythe (Mami Wata), le comique (Lui), la poésie (Mai Dai, le deuxième personnage féminin joué par Swala Emati). Par ailleurs une scène (muette) de cannibalisme, particulièrement frappante, a dû évoquer chez beaucoup de spectateurs le Japonais Issei Sagawa tristement célèbre pour avoir « consommé » une étudiante néerlandaise dans on studio parisien. N’est-ce pas tout simplement lui qui est enfermé dans cet asile-prison ?
Non qu’une telle polysémie soit gênante, juste un peu déroutante. Il faut simplement accepter de se laisser conduire sur des chemins un peu tortueux, pourvus d’impasses et de voies de garage. Plus ennuyeux, par contre, les défauts de diction (à la « mode » de tant de jeunes comédiens, aujourd’hui), surtout sensibles, à vrai dire, chez S. Emati, laquelle semblait pourtant munie d’un micro… ne fonctionnant pas (?). C’était d’autant plus dommage qu’elle était chargée de porter la parole poétique, comme mentionné plus haut. Si A. Bayiha est trop expérimentée pour tomber dans ce travers, J. Large n’en est pas pour sa part, complètement indemne.
La musique se montre discrète, de même que la vidéo. De temps en temps, un sous-titre, une courte phrase s’inscrivent en guise de légende à ce qui se joue sur le plateau.
En dépit d’indéniables qualités Mami Wata nous a paru une pièce encore en devenir, qui aurait mérité de mûrir davantage avant de voyager jusque chez nous.
Tropiques-Atrium, Fort-de-France, 2 mars 2018.