Joli pied-de-nez freudien
— Par Michèle Bigot —
Entre pied-de-nez et clin d’œil, l’allusion au texte de Freud publié en 1929 est moins innocente qu’il n’y paraît. Le propos de Freud n’était pas des plus réjouissant. Il y constatait l’impuissance des humains à être heureux, l’omniprésence de la violence, de l’insatisfaction et de la souffrance occupant la plus large partie des émotions. La même thématique va se déployer sur le plateau, mais dans un genre original: c’est le comique, la bouffonnerie et l’absurde qui occupent la scène et les personnages sont désorientés voire parfaitement déjantés. Les quatre comédiens sont à l’unisson, entre dérangement mental et acrobatie de jeu. A la mode québécoise.
Face à vous, sortent du rideau de scène quatre touristes débarqués là par hasard, qui découvrent les lieux, et font mine de retourner se planquer quand ils aperçoivent la masse des spectateurs. Ils découvrent avec stupeur le quatrième mur. Peu à peu, ils vont s’enhardir, explorer les lieux, le plateau, le rideau de scène, prendre contact avec cet étrange public, domestiquer l’espace du théâtre. Ils se testent, ils jouent, ils se délient et au fur et à mesure de leur exploration, c’est une mise en cause et une interrogation vivante de ce mystère que reste une scène théâtrale.
Une écriture de plateau, à laquelle collaborent l’auteur, la metteuse en scène et les comédiens permet de donner vie à un spectacle hautement comique et qui pourtant s’ouvre sur la réflexion philosophique la plus existentielle. Entre rire, malaise et complicité, le spectateur est entraîné dans une interrogation permanente des conventions autant théâtrales que sociales. Au bout du compte, au-delà du rire, le texte de Freud n’est jamais bien loin, et les comédiens vivent dans leur corps et souvent à leur dépens le malaise de vivre dans un corps en souffrance, habité par une âme perdue.
Spectacle étrange, spectacle ludique, qui navigue entre absurde, bouffonnerie et réflexion philosophique. On se dit que peu de théâtreux auraient osé un cocktail aussi explosif sur la scène française. Mais les Québécois n’ont peur de rien, ils secouent le cocotier pour notre plus grand bonheur et avec leur verve et leur accent inimitables. Aux innocents, les mains pleines!
Michèle Bigot
Mise en scène Alix Dufresne et Étienne Lepage
Texte Étienne Lepage
Cocréation Florence Blain Mbaye, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon et Alice Moreault
Scénographie et costumes Odile Gamache
Lumières Leticia Hamaoui
Musique Robert Marcel Lepage
Direction technique, assistance à la conception d’éclairage et régie Ariane Roy
Interprétation Rose-Anne Déry, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon, Alice Moreault
Festival Off Avignon
La Manufacture
2 rue des Écoles, 84000 Avignon
Du 4 au 21 juillet 2024
Durée 1h