— Le dorlis de ces dames vu par José Alpha —
Alors que les festivaliers autant d’Avignon que de Fort de France déambulent avec ravissements entre les salles équipées et les spectacles donnés dans les rues ou sur la savane foyalaise, une petite troupe de comédiens arrachés à la torpeur insulaire par le 45eme Festival de la capitale de la Martinique, donnent à voir une comédie populaire désopilante dans les centres culturels de la périphérie de Fort de France : le Dorlis de ces dames.
Le dramaturge metteur en scène Jocelyn Régina entouré de ses compères Thierry Adèle, Giovanny Ventura et Nestor Mijéré ont convoqué ce personnage culturel des croyances et légendes des Antilles, singulièrement de la Martinique, qui « terroriserait » encore la gent féminine voire même les hommes les plus virils. Hé oui ! Mais cela est une autre affaire si on considère que certains fantasmes féminins se rapprochent davantage du mythe de la naissance des peuples amérindiens de la Caraibe dont le serpent-phallus se glisse dans le sexe de la jeune vierge accroupie dans l’eau courante de la rivière pour l’ensemencer , que du mystère de la possession sexuelle de la jeune vierge Marie par le Saint Esprit.
De toute évidence, la fable traitée ici par la comédie créole avec ses comiques de mots, de gestes et de situations issues des moqueries populaires des petites gens à l’égard de la « bourgeoisie d’en bas», raconte les conséquences des activités sexuelles d’un être invisible et polymorphe comme le serpent. La « bête longue » sévit sur deux maisonnettes, deux couples, deux cultures qui vivent cote à cote mais séparés par une espèce de grotte où se cache Mathurin, l’ababa du village du bord de mer.
Rapidement opposée à Paulo et Marie Thérèse (Guy Ventura et Thierry Adèle), les « anciens », qui considèrent l’idiot comme un « pov boug », la jeune et maniérée Mme Sidéré, femme du couple moderne voisin des « dinosaures », subit les assauts répétés du Dorlis qui se glisse subrepticement en elle, la nuit venue. Mais qui es-tu donc doudou dis moi ? pourrait-elle dire en soupirant de plaisir, sous l’emprise sexuelle de celui qu’elle voudrait croire être son mari ?
Evidemment le mari, un certain Monsieur Sidéré (Virgil Venance), ne comprend rien des états de sa jeune épouse qui gémit de plaisir la nuit alors que lui n’y est pour rien, et se trémousse … de dégout dès l‘apparition en plein jour de Mathurin, l’idiot.
Le quiproquo théâtral basé sur « la foire d’empoigne» qui déclenche le rire et l’adhésion populaire à chaque représentation, s’établit ainsi à plusieurs niveaux, un peu comme chez Courteline, Piron de la Comedia dell arte ou dans les comédies Kotéba du Mali.
D’abord la frénésie rythmique de la comédie accentuée lors des affrontements qui caractérisent la fracture culturelle entre les générations ; et puis évidemment les métamorphoses du Mathurin/Dorlis (Joel Jaccaria) qui s’en donne à coeur joie à ses activités lubriques tandis que les autres se disputent les légitimités foncière, identitaire et culturelle du pays !?.
De toute évidence au sein du couple «anciens» qui ne refusent pas l’existence du Dorlis dans le quartier ; ils ne le craignent pas et savent s’en protéger avec les rituels qu’ils sont les seuls à connaitre (sous-vêtements portés à l’envers la nuit, gros sel devant les ouvertures de la maison, ciseaux en croix au dessus du lit …) , la Marie Thérèse étant trop âgée, et lui- même le Paulo trop viril est capable des pires coups de coutela « si une mouche faisait le malheur de le toucher pendant son sommeil». Et puis, la suffisance sociale du couple Sidéré ne peut faire bon ménage avec l’indigence intellectuelle des anciens ; le fossé culturel étant trop évident, l’un et l’autre des couples s’affrontent donc en joutes verbales à la limite de l’empoigne, jusqu’à ce que d’un commun accord on fait appel au chasseur de Dorlis, le dénommé gwo Edwa (Léandre Céraline). Celui-ci piégera le « l’ababa-malin » dont les protagonistes découvrent enfin l’identité alors que le public suit pas à pas, depuis l’ouverture de la pièce, les circonvolutions sensuelles de Mathurin, l’ababa, l’idiot du village, le pov boug.
La comédie de Jocelyn Régina reprise pour la troisième fois en Martinique fonctionne avec de bons acteurs issus de la dynamique des humoristes pour la plupart. La jeune Lauren Louis Rose dans le rôle de Mme Sidéré est convaincante autant que son mari, aussi suffisant que sa bêtise, tenu par le jeu subtil de Virgil Venance, supportent avec intelligence la faconde, la gouaille et la dérision des personnages défendus par l’inimitable Thierry Adèle et l’excellent Guy Ventura. Leurs performances sont bien applaudies par le public plus attentif au déroulement comique de l’histoire jusqu’à son dénouement, oubliant l’absence de rebondissements dramatiques pourtant nécessaires, selon Vincent Placoly ou Lopé de Véga y Carpio maitre de la comédie espagnole du 16eme siecle, à la compréhension de la morale de la fable. Il n’y en a pas.