— Par Roland Sabra —
Michèle Césaire continue d’explorer les relations maître-serviteur. Après nous avoir présenté un Jacques le Fataliste très sage, elle nous offre aujourd’hui une Mademoiselle Julie tourmentée. Le tourment accompagne d’ailleurs la vie de Strindberg, auteur de la pièce et inventeur du théâtre moderne.
La pièce est un huis clos de trois personnages qui pousse au suicide une jeune fille la nuit des feux de la Saint-Jean. Mademoiselle Julie est une jeune fille qui appartient à à une noblesse d’épée sur le déclin. Jean est un domestique qui imagine échapper à sa condition par l’entremise d’une liaison avec la fille du Comte, sous les yeux de la cuisinière Christine, sa promise. Jeu de dupes à la fatale issue. Déjà enfant, le domestique croyait aimer Julie quand il n’était attiré que par les richesses, le château et les soins de la jeune fille. Il rêvait d’ascension sociale, elle vivra une descente aux enfers. A la transgression sociale s’ajoute une transgression des rôles sexuels, puisque c’est elle Julie qui prend l’initiative de séduire son domestique. On retrouve dans la pièce toute l’ambivalence de Strindberg vis à vis de ses propres parents. Fils d’un petit bourgeois pas très heureux en affaires, et de cette fille d’auberge, gouvernante puis maîtresse et enfin épouse de son père, à laquelle il imputera sa damnation, il sera très tôt sensible aux antagonismes de classes scellés d’attirance et de répulsion, d’amour et de haine, d’envie et de jalousie. L’argument est simple, ce qui fait la force de la pièce c’est la façon dont Stindberg l’expose.
Il se situe avec Mademoiselle Julie dans une période de son œuvre appelée « naturaliste ». Un séjour en France, une admiration pour Zola, convergent sur un tropisme qui ne le laissera plus : la dénonciation violente de la société. Cette rencontre aura une influence non seulement sur la thématique de toute l’œuvre de Strindberg mais elle conduira aussi à une révolution du genre théâtral qui fait de l’auteur suédois le premier auteur moderne. D’abord il renonce à la division classique en cinq actes. Il écrit dans la préface de Mademoiselle Julie « Pour ce qui est de l’aspect technique de la composition, j’ai essayé de supprimer la répartition en actes […] J’ai déjà essayé cette forme concentrée en 1872 avec […] Le Hors-la-loi, bien qu’avec peu de succès. La pièce était prête en cinq actes quand l’impression inquiétante et morcelée qu’elle dégageait me devint sensible. Je la brûlai, et de ses cendres est sorti un seul grand acte de cinquante pages imprimées qui occupe toute une heure. » Les innovations de Strindberg ne s’arrêtent pas là en effet il poursuit : « En ce qui concerne le dialogue, j’ai quelque peu enfreint les traditions. Je n’ai pas fait de mes personnages des catéchumènes qui posent de sottes questions pour provoquer des réponses spirituelles. J’ai évité ce qu’il y a de symétrique, de mathématique dans le dialogue français construit; j’ai laissé les cerveaux travailler de façon irrégulière, comme ils le font réellement dans la conversation où l’on n’épuise jamais tout à fait le sujet mais où une pensée se voit offrir par une autre le rouage où elle peut s’accrocher. C’est pourquoi le dialogue est errant et s’enrichit au cours des premières scènes d’une matière qui plus loin est reprise, travaillée, répétée, développée, surchargée, comme le thème d’une composition musicale. » Il faut aussi préciser que le dialogue apparent de l’ensemble des personnages est aussi le monologue intérieur d’un seul, sa « conscience spéculaire », de sorte que la narration, la description l’emporte sur l’action. Mikhaïl Baktine parlerait de « romanisation du drame ».Les personnages ne campent pas des situations psychologiques ou sociales, ils sont divisés, multiples d’eux-mêmes, duplicata approximatifs. C’est cet entrecroisement de dénonciation de situation sociale et de cheminement intérieur vers une prise de conscience de l’implication dans la situation dénoncée qui fait la force, l’originalité et l’extra-ordinaire modernité du théâtre de Strindberg. Il s’agit d’un (mé)-tissage entre théâtralité et quotidienneté, entre objectivité et subjectivité dont il est hors de propos et pour tout dire inepte de vouloir le réduire à une synthèse, à une cohérence unitaire et unifiante.
La mise en scène qui nous est proposée est signée Pascal Faber. On se souvient qu’en 2003 il avait monté avec Jean-Louis Sarrato un « Soulier de satin » qui avait reçu un accueil très favorable de la part de la critique et du public. Avec Mademoiselle Julie il passe de 83 personnages à trois, mais les interrogations sont les mêmes : qu’en est-il de l’amour, du désir, de la passion, de l’existence et des places qui sont les nôtres.
Roland Sabra
Théâtre de Foyal
Les 8-9 et 10 février à 19h30
Compagnie TREIZE
Mise en Scène : Pascal FABER
Assisté de Carole GRAND
avec
Lys CARO
Gilles LANGLOIS
Adrienne BONNET
Costumes : Cécile FLAMAND
Lumières : Amandine GEROME et Anne DUTOYA
Le combat peut enfin commencer pour des êtres fragilisés jusqu’à retrouver l’instinct animal….
Une nuit, ils n’ont qu’une seule nuit, pour crier plus fort que les deux autres leur vérité. Pour défendre leur droit au bonheur. Sachant pertinemment, qu’il est au détriment des deux autres. Privilégier leur urgence, leur sincérité : Il en résulte une tragédie. ..Humaine.
Voici le portrait d’un triangle amoureux, où trois personnages bien vivants, aux sentiments exacerbés, se débattent : Pour qui ? Pour quoi ?
Trois personnages en quête d’amour, de liberté et de rêves.
Trois personnages se déchirant jusqu’à la mort, brisant les tabous pour mieux toucher un idéal qui ne fait que leur échapper.
Trois personnages de chair et de sang usant d’amour et de haine, de séduction et de dédain pour mieux entraîner l’autre dans sa chute.
Julie, elle n’est plus simplement l’aristocrate désireuse de se lier à un monde qu’elle observe depuis son enfance .C’est une femme moderne qui se croit libérée. En pleine maturité sexuelle, sa liaison avec Jean n’est plus une cause de déshonneur et de suicide social. Il faut donc suppléer à cette justification « désormais désuète » de sa pulsion autodestructrice. Mademoiselle, aliénée dans sa propre condition, erre dans la cuisine comme dans sa vie, à la recherche d’un autre hypothétique intérêt. Elle ne trouve définitivement pas sa place, ne distingue plus le bien du mal, l’amour de la haine. Elle se perd….volontairement.
Jean, n’est plus le jeune adolescent, plein de rêves, comme le peignait Strindberg. C’est un homme d’âge mûr, idéaliste mais démissionnaire qui tourne en rond dans la cuisine comme un lion dans une cage. Depuis des années, il « s’arrange » entre son fantasme de partir, de s’élever socialement, et son confort actuel, où fort de sa supériorité hiérarchique et intellectuelle sur le reste des serviteurs, il règne déjà en petit maître. Au contact de Mademoiselle, il fait le cruel constat que ses rêves de grandeur ne sont que mirages. Il n’y est pas préparé et se retrouve acculé, à regarder en face, ce qu’il a toujours refusé d’admettre : sa lâcheté. Il a peur, non pas de l’extérieur mais pire, de l’inconnu, de son propre changement.
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