— Par Jean-Marie Nol économiste—
Les dès sont désormais jetés pour le prochain match de la présidentielle en France. Marine Le Pen fait feu de tout bois et lance la campagne en se rendant à l’île de sein pour tenter de capter l’héritage gaullien et ainsi séduire l’électorat de la droite républicaine. Quand à Emmanuel Macron, il peaufine un nouveau programme politique destiné à se relancer avec à la clé des mesures innovantes qui devraient être annoncées mi juillet 2020.
Alors, du désenchantement de Macron à l’espoir de Le Pen : quel sera demain le choix politique à haut risque des Français ?
L’élection de Emmanuel Macron comme président de la République nous a scotchés, sidérés, bouleversés, fascinés, etc. Mais elle ne nous a pas changés. Très vite après 3 années de pouvoir , chacun a constaté, un peu hébété, que rien n’avait vraiment bougé au niveau des divisions politiques en France. Et le grand chambardement, redouté ou souhaité, n’a pas eu lieu.On se disait que rien, plus jamais, ne serait pareil après l’élection d’un jeune président de 39 ans en France . Qu’il y aurait un avant et un après ce relatif adoubement de l’opinion . Au niveau du travail, des interactions sociales, des liens familiaux, des comportements personnels ou universels, on imaginait une rupture radicale. Beaucoup rêvaient d’ailleurs avec l’élection de Emmanuel Macron d’un monde meilleur, plus équilibré, moins frénétique, privilégiant l’ordre et la sécurité, l’être sur l’avoir, la prééminence de l’économie nationale sur la production mondialisée. Toutefois, la réalité est plus complexe qu’il n’y parait à première vue. La France fait aujourd’hui face à un défi sans précédent : une crise du coronavirus inédite et potentiellement destructrice . Pour cette raison, quelques outils méthodologiques empruntés à Pascal se révèlent alors très précieux. Notamment, lorsqu’il souligne que nous « connaissons la vérité non seulement par la raison, mais encore par le cœur ». Alors quelle est cette vérité que nos compatriotes français et Antillais ne veulent pas voir ?
Une victoire de marine Le Pen n’est pas probable mais possible. Elle ne constitue pas le scénario le plus vraisemblable mais une hypothèse imaginable si les passions s’enflamment ou si les circonstances y poussent comme par exemple le fait que l’autorité de l’État demeure bafouée jour après jour avec toutes ces manifestations qui se terminent souvent dans la violence.
Si nous pensons que marine Le Pen peut gagner, c’est parce que le contexte politique, économique, et social de l’après crise du coronavirus peut lui être favorable. Réveillons-nous et cessons de jouer avec le feu sur la question identitaire. Nous devons interroger notre capacité à nous questionner sur ce que nous vivons actuellement et celle de nous indigner, toujours et encore lorsque le pacte républicain est mis à l’écart. Ce n’est pas du droit positif qu’il s’agit, mais du vrai Droit, celui des droits de l’homme, celui des grands principes de droit dégagés par la jurisprudence depuis la promulgation du code civil et des codes suivants, celui de l’article préliminaire du code de procédure pénale, bref, celui des valeurs portées et développées par la France depuis la Révolution de 1789, celui du pacte républicain.
Tenter un panégyrique de la société française actuelle peut se révéler un exercice abscons, mais néanmoins nécessaire pour appréhender les enjeux du futur.
L’humanité est aujourd’hui confrontée à une crise mondiale. Peut-être la plus grande crise de notre génération. Les décisions que les citoyens et les gouvernements prendront au cours des prochaines décennies façonneront probablement le monde pour les années à venir. Ils façonneront non seulement notre système de vie , mais aussi notre économie, notre politique et notre culture. Chaque épidémie majeure, depuis mille ans, a conduit à des changements essentiels dans l’organisation politique des nations, et dans la culture qui sous-tendait cette organisation nous dit Jacques Attali.
Et que dire de la nouvelle donne qui s’ouvre avec la crise du coronavirus et qui engendrera précarité des couches populaire, et paupérisation de la classe moyenne .
“Un coup d’arrêt puissant, massif, brutal” : c’est par ces mots qu’Edouard Philippe a décrit l’impact potentiel de la crise du coronavirus sur l’économie française. Les français semblent l’anticiper, 65% d’entre eux pensent que la crise aura un impact conséquent sur l’économie de leur pays. Alors c’est pour de bonnes raisons que nous devons d’ores et déjà imaginer le monde d’après la crise . Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik évoqua sur France Inter que selon lui, “après chaque catastrophe, il y a un changement de culture”. Un changement de culture qui s’accompagne de profondes transformations politiques . Après la seconde guerre mondiale, le plan Monnet a posé les bases de la modernisation des structures économiques de la France, la sécurité sociale vit le jour et, à l’échelle internationale, l’Organisation des Nations Unies fut créée.
Il est donc légitime de réfléchir et d’analyser quels pourraient être les changements sur le plan politique induits par cette crise sanitaire mondiale. Il faut désormais entrevoir un changement en profondeur de la société française et des conséquences possibles sur la vie politique française.
Déjà, on peut noter que plus de 60% des Français ne font pas confiance au président Emmanuel Macron . L’Hexagone est certes coutumier de ces baisses de popularité, mais dans le cas de Macron, elle s’accompagne d’une véritable haine, largement répandue, qui s’exprime avec une violence inédite dans la rue et sur les réseaux sociaux. Alors oui, Emmanuel Macron peut perdre le match de la prochaine présidentielle, car la réalité est que la crise économique va générer de la casse sociale.
On doit se rappeler que Macron n’a dû son élection qu’au discrédit complet (et mérité) des partis traditionnels et aux particularités du système politique français. Moins d’un quart des Français avaient voté pour lui au premier tour. Les tares du système dénoncées par le candidat Macron étaient pourtant bien réelles: charges sociales excessives, rigidité du Code du travail, pression fiscale exagérée et déficits chroniques concouraient bel et bien à maintenir un taux de chômage particulièrement élevé en France et à réduire le pouvoir d’achat.
Depuis lors, les conditions de l’environnement économique et social de la France n’ont pas vraiment changé, alors tout devient possible en termes de renouvellement à la tête de l’Etat.
Le contexte actuel s’y prête car outre la crise économique et sociale et en sus avec la problématique du communautarisme,du racialisme, de la crise identitaire, on peut légitimement s’interroger sur le fait de savoir où va donc demain la France ?
On assiste ces derniers temps à une violence communautaire à Dijon et à des manifestations multiples à Paris et dans d’autres grandes villes de France . Alors se pose dans ce contexte délétère la question de savoir jusqu’où ira la France dans le déni de réalité du chaos qui menace ?
Quand-même, réveillons nous, car il est plus que temps d’ouvrir les yeux sur la chienlit ambiante qui règne en France, et de cesser de détourner notre regard sur les problèmes posés par l’immigration et du danger racialiste et communautariste.
La France est plongée depuis quelques temps dans le chaos économique et les ténèbres d’un néant politique sans aucun précédent. L’autorité de l’Etat français est bafoué de toute part et des manifestations pourtant sensées être interdites dans un contexte d’urgence sanitaire se déroulent impunément. Même les policiers qui n’ont pas le droit de grève et de manifester s’y mettent en chœur pour dénoncer le gouvernement. L’affaire des troubles de Dijon sur fond de guerre de gangs entre communautés et les manifestations violentes à Paris illustre la faillite des élites françaises sur la question de l’immigration et du communautarisme sur fond de fracture identitaire .
La crise identitaire est à son paroxysme. Le contenu de la réforme de la police accusée de violence n’est plus l’essentiel. La crise est devenue politique, passionnelle. De sondages en sondages, il se confirme que plus des deux tiers de la population française soutiennent le rassemblement national de marine Le Pen dans sa quête de l’ordre et du respect de l’autorité de l’Etat. Cette dernière ne combat pas pour l’essentiel, la modification d’un régime social républicain . Elle est entrée en rébellion contre une décision emblématique de la fracture identitaire , qu’elle ressent majoritairement comme un affront, une humiliation de la France , imposée par des minorités ethniques africaine et maghrébine hors sol qui procéde selon elle à une remise en cause du pacte républicain . Rien n’est plus étrange que l’aveuglement des hommes politiques traditionnels de droite et de gauche qui ne sentent pas à quel point leur parole est discréditée.
Et il n’y aura plus de paix. Non parce que la politique du gouvernement français est perfide à ce point, mais simplement en raison des forces en présence, représentées par de nombreux partis qui défendent une multitude d’intérêts divergents. Il n’y a pas et il ne peut y avoir de consensus national qui viendrait à bout du tumulte des choix démocratiques. Personne ne prétend désormais à la stabilité, car celle-ci ne fait plus partie des valeurs sociales. Mais les vrais objectifs du communautarisme sont justement atteints : l’objectif, c’est la guerre civile larvée et permanente sur le sol même de l’ancienne puissance coloniale , l’instabilité, l’agitation destinés à jeter le trouble dans les esprits .On insuffle méthodiquement dans un pays exsangue par la crise du coronavirus, un vent de discorde, petit à petit, en profitant de toutes les dissensions. Le fond de la technique des communautaristes et des séparatistes racialisées consiste à agréger des colères et des peurs, afin de les transmuer en mouvements d’opinion selon plusieurs hommes politiques. Pour déstabiliser le pouvoir, ils misent sur la rage et la haine , et plus les gens se sentent menacés par des phénomènes qu’ils ne comprennent, ni ne contrôlent, plus le ressort de l’extrême droite est puissant. Nous l’avons déjà dit et répété à satiété que le pacte républicain est devenu une chimère et que la France aujourd’hui risque fort d’être plongée dans un chaos permanent de guerre civile froide. Un retour de bâton n’est pas à exclure sur la question identitaire. En somme, un lâcher de boomerang qui risque de faire très mal à l’avenir aux populations d’origine étrangère qui vivent sur le sol français.
La République française s’est fondée sur un mythe, collectivement partagé, inscrit dans la Constitution : tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. … cette mythologie du pacte républicain – toute nation est fondée sur un mythe – a fonctionné jusqu’à hier plutôt bien, aussi longtemps que la croissance économique la légitime : une certaine prospérité, fût-elle inégalement répartie, laisse croire que le bonheur promis est bien à portée de main pour soi-même et pour ses enfants. Mais si la machine tombe en panne, le rêve se dissipe, et les fractures sociales et culturelles de la société apparaissent avec une extrême violence. La plus flagrante de ces fractures est la discrimination raciale, qui recoupe pour l’essentiel les inégalités de revenus, de santé et d’éducation.
Aujourd’hui, la réalité qui prédomine en France, c’est grèves, blocages, barrages, manifestations,violences et, depuis le week-end dernier, apparition de milices d’autodéfense tchetchene procédant à des «ratonnades de maghrébins » manu militari: la population d’origine étrangère, à la fois actrice et victime de la crise, n’en peut plus de se sentir pointer du doigt par une catégorie de français . Même l’allocution du président Emmanuel Macron , n’a pas suffi à désamorcer la bombe à fragmentation. Cette catastrophe annoncée aura dans un proche avenir des répercussions sur nos régions ultramarines. Un scénario de crise sulfureux et édifiant, qui doit interroger aussi les Antillais sur notre modèle de société, car derrière ce théâtre d’ombre, il y a le nœud gordien de toute l’équation économico-sociale, à savoir la chute de la croissance. Les entreprises attendront d’avoir une meilleure visibilité avant de recommencer à investir, tandis que les ménages, confrontés à un marché du travail difficile, resteront également prudents dans leurs dépenses. Beaucoup d’entreprises vont faire faillite du fait de la perte d’activité colossale, jusqu’à 80 % dans certains secteurs, comme le commerce traditionnel et le tourisme . On ne se rend pas compte que la crise n’a pas encore commencé et on va le voir quand la crise sociale sera à nos portes et cristallisera les tensions dans la société française. À partir de cette situation , la France affrontera non seulement la crise économique et sociale mais également une crise identitaire . S’ensuivra une grave crise politique qui semblera menacer les fondements mêmes de la ve République.
Cette crise politique alourdira le climat général et accroîtra le mécontentement contre le pouvoir en place au bénéfice des formations extrémistes. Même si la France , fait encore figure de grande puissance, elle en sortira aussi terriblement affaiblie. Nous vivons un moment grave de notre histoire , une crise qui accélère la mutation de notre quotidien. Plus généralement, cette crise nous obligera à nous poser des questions sur notre manière de vivre et de consommer. Ainsi, les mutations en cours pourraient voir leur adoption accélérée par la population des Antilles . Personne n’est aujourd’hui capable de savoir ce qu’il en ressortira, mais il semble acquis que l’après crise du coronavirus ne sera pas totalement comme l’avant.
La crise actuelle et les changements qu’elle implique, notamment dans le secteur économique et social, pourrait amener la sphère politique à accélérer la mue de la société et faire changer les usages de notre vie quotidienne . Nous n’avons eu de cesse dans nos précédents articles d’alerter sur le danger et les conséquences dommageables de la révolution numérique et l’intelligence artificielle. Chaque jour qui passe nous rapproche de la réalité d’une révolution technologique qui détruira les fondements mêmes de notre société.
L’économiste Daniel Cohen évoque même que la crise actuelle pourrait être “un accélérateur du capitalisme numérique”. Certains économistes s’appuient sur l’exemple de la Chine et soulignent que le virus pourrait faire “progresser de 50% l’éducation en ligne” au sein de l’Empire du milieu. Il en est de même en France où nous pourrions assister à une restructuration des cours, notamment dans l’enseignement supérieur.
Néanmoins, ces nouveautés ne seront pas possible sans un véritable questionnement au sommet de l’Etat. La société va bien évoluer car distanciation sociale imposant une certaine forme de distanciation physique, pourrait tendre à démocratiser le télétravail dans les années à venir et supprimer certains déplacements professionnels. Le système de santé pourrait continuer l’expérimentation de la télémédecine et démocratiser aussi cette pratique, dont les consultations ont été multiplié par 100 depuis le début de l’épidémie du Covid 19 . La communication par visioconférence, également sollicitée au cours de cette période de confinement par les internautes en quête de pallier la distance physique avec leurs proches, pourrait se démocratiser au sein des foyers. Les médias approfondissent eux aussi leur pratique des outils numériques : Le Monde a créé un fil de discussion Whatsapp, où les utilisateurs qui le souhaitent peuvent recevoir informations et articles vérifiés. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, alors même que Emmanuel Macron n’a jamais eu en termes de popularité que les apparences. Pour l’heure, il se fourvoie et ne sort pas la France de sa torpeur. Sans cap, et sans autorité du président , les Français ne veulent pas travailler pour redresser l’économie du pays et s’adonnent aux affres de la contestation permanente et de la division. Plus grave : il n’arrive pas à faire taire les oppositions, les conflits ethniques, culturels et sociaux qui agitent la France . Le pays souffre de problèmes institutionnels, civilisationnels et sociaux d’une ampleur rare dans notre histoire. La crise sanitaire, économique, sociale et politique risque de provoquer une désagrégation forte de la société.
Dans un climat qui peut devenir insurrectionnel, l’État se recentre toujours davantage sur le maintien de l’ordre et opère un glissement vers un durcissement des contraintes policières exercées sur la population. Nous sommes entrés dans une phase de mutation et le risque de l’émergence probable d’un nouveau régime autoritaire n’est plus à exclure en France.
À la date d’écriture de notre analyse politique prospective, certains pays notamment européens, et particulièrement la France, connaissent un sentiment de soulagement lié à la quasi-disparition de l’épidémie de Covid-19 sur leur territoire. Dans le même temps, à l’échelle mondiale, l’épidémie semble n’avoir jamais été si virulente que maintenant si l’on en juge par l’évolution du nombre de nouveaux cas (confirmés) chaque jour. Compte tenu de la forte contagiosité du virus et des incertitudes portant sur sa saisonnalité et ses possibles mutations, il est fort probable que l’épidémie du Covid-19 ne soit pas derrière nous. Ses pleines conséquences économiques, sociales et politiques sont, elles, clairement encore à venir.
Jean marie Nol économiste