— par Janine Bailly et Patricia Raffray —
Trop souvent on entend dire que les adolescents ne montrent aujourd’hui que peu d’intérêt pour la chose culturelle, que seuls les “écrans” sont capables de les motiver et de capter leur attention. S’il fallait à cette assertion trouver un démenti, il suffirait d’évoquer le spectacle donné ce jeudi 17 mai, au Centre Culturel du bourg du Lamentin, par les élèves du lycée Acajou 2.
Un public nombreux, parents, lycéens, professeurs et invités, a répondu à l’appel, curieux de découvrir le résultat d’un travail assidu, poursuivi tout au long de l’année dans les ateliers-théâtre. Avec une belle persévérance, avec « une motivation sans faille », tous ont tenu leurs engagements, et ce ne fut pas toujours facile puisqu’il arrivait que les répétitions aient lieu sur le temps de la pause méridienne.
Un travail de qualité, qui a entraîné une sélection au Festival International de Théâtre lycéen de Malte, du 12 au 16 mars 2018, pour une rencontre culturelle dont la thématique imposée était : « No Borders / Sans frontières ». Le choix s’était porté sur un extrait de Molière, tiré de la pièce « Le Malade Imaginaire » (Acte 3, scène 10). Mais écoutons plutôt ce qu’en dit l’un des professeurs responsables du projet, et chargé de l’organisation de la soirée, Patricia Raffray :
« Les élèves ont présenté trois variantes de cet extrait, dans deslangues et des mises en scène différentes. La première en anglais, pour permettre au public maltais de comprendre le propos, la seconde en français et la troisième en créole… L’objectif était double : faire comprendre que la langue n’est pas une frontière, et montrer que les mêmes situations se retrouvent dans le monde entier ».
Des ballets dansés, en costumes et sur des musiques traditionnelles, servaient de ponctuation entre les trois scènes. En effet, le but était aussi de « faire percevoir la place et la spécificité de la Martinique, île francophone entourée d’îles anglophones », île francophone mais île aussi « fière de son identité, de sa langue et de sa culture créoles ».
Un tel voyage s’est révélé être pour tous une expérience enrichissante, sur le plan humain comme sur le plan théâtral et culturel, tant il est vrai que « le théâtre est l’école de la vie ». Chacun est revenu « grandi et fier d’avoir représenté avec brio sa chère Martinique. Le spectacle a été particulièrement applaudi et apprécié pour son originalité, la qualité des prestations théâtrales et chorégraphiques, les choix de mise en scène, et le talent des jeunes acteurs. » Un talent qui s’est manifesté dans le jeu et la diction, soutenu par l’énergie et l’enthousiasme dont les élèves ont su faire preuve.
Cette performance, préparée aussi avec l’aide du comédien bien connu Patrick Womba, les élèves l’ont rééditée pour nous ce soir-là sur la scène lamentinoise. Et les rires qui ont généreusement ponctué, quelle qu’en fût la langue et l’interprète, les célèbres répliques de la servante Toinette déguisée en médecin — « C’est du poumon que vous êtes malade… le poumon, le poumon vous dis-je ! » —, ces rires seuls auraient suffi à prouver la qualité du travail accompli. Quant à la reprise d’une même scène, elle n’a généré nul ennui, tant le faux médecin imaginé par Molière, qui aimait fustiger la médecine de son époque, est à trois reprises interprété de façon fort caricaturale. Preuve est donnée que bien guidés, et motivés, les lycéens d’aujourd’hui sont encore accessibles à la langue, pas toujours évidente, du dix-septième siècle ! Et qu’ils peuvent aussi bien la traduire en anglais et en créole !
En outre, les élèves plus jeunes, ceux de classes de seconde et de première, et dont leur professeur dit espérer qu’ils continueront à s’investir dans les ateliers, ont pu présenter des tableaux originaux, extraits de « Saynètes et dialogues loufoques », de Sylvaine Hinglais. Le titre de l’ensemble aurait pu être « Faites la queue comme tout le monde », qui fait penser irrésistiblement à la pièce du dramaturge Israël Horovitz, « Le Premier ». Tous les personnages se trouvent, sans vraiment savoir pourquoi, dans une file d’attente, dont ils peuvent s’extraire pour venir en bord de scène jouer des situations, quotidiennes certes, mais plutôt absurdes. Des déambulations en tous sens, où tous clament en arpentant le plateau des paroles vides de sens, sont le fil conducteur qui relie les scènes, « illustrant ainsi le non-sens de leur présence » — la présence de ces personnages.
Parodiant un autre de nos classiques, grand tragédien celui-ci, tous ces apprentis-comédiens, et quel que soit leur âge, auraient pu dire : «Nous sommes jeunes, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ».
J.B. et P.R.
Fort-de-France, le 21 mai 2018
Photo Paul Chéneau