— Le n° 291 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —
Les bénéfices cumulés de 38 des 40 entreprises du CAC 40 pour l’année 2022, ont atteint 152 milliards d’euros. Le déficit qu’ils feignent de craindre pour la sécurité sociale, serait autour de 15 milliards, soit 10 fois moins !
Le gain que la sécurité sociale engrangerait, si on réalisait l’égalité des salaires hommes/femmes serait de 6 milliards d’euros ! Et, si on égalisait le taux d’emploi entre hommes et femmes, le gain pour la Sécu, serait de 9 milliards d’euros ! Une augmentation des salaires de 3,5 %, rapporterait à la Sécu 6,5 milliards ! La suppression des exonérations de cotisations patronales, fournirait à elle seule 20 milliards de plus !
Ces quelques chiffres illustrent bien le choix de classe de la Macronie : les salariés d’en–bas doivent travailler deux ans de plus, partir avec des retraites sans taux plein, pour que les bénéfices des gros prospèrent.
Tout va dans le même sens. De 1997 à 2019, la part des dividendes des actionnaires dans la valeur ajoutée a été multipliée par 3 (de 5 à 15%), tandis que la part des salaires pour la même période a diminué passant de 59 à 55%.
Macron et le grand patronat connaissent ces chiffres. Le monde du travail, lui, vit dans sa chair la régression de ses moyens de subsistance. Il doit aussi connaître cette réalité mathématique de la lutte des classes, pour agir en conséquence.
Cela veut dire qu’il doit passer de la compréhension et de l’approbation des actions militantes, à la participation concrète à la lutte. Nos combats syndicaux doivent inlassablement et pédagogiquement se tourner plus vers la masse des travailleurs et travailleuses que vers les micros des médias (même si cela a, bien entendu, son intérêt). L’heure est donc impérativement, aux assemblées générales, aux rencontres dans les entreprises, aux décisions unitaires à ce niveau là, pour la défense des retraites !
Il sera alors évident que défendre les retraites, impose de lutter aussi pour tout ce qu’il faut pour les rendre décents. Cela veut dire : des augmentations de salaires au moment où la hausse des prix étrangle la population, la fin de la précarité qui a été organisée dans les dernières décennies, la création d’emplois socialement utiles, écologiquement soutenables, qui font tant défaut, alors qu’on pleurniche sur l’exil des jeunes à la recherche d’un avenir. Cela veut dire de même que la santé, l’école, l’aide à la personne, la transition énergétique, la prévention des risques majeurs, l’agriculture nourricière, les transports publics, sont aussi des gisements potentiels d’emplois répondant à cette définition.
La lutte entamée pour la retraite a réveillé les équipes militantes, mis à l’ordre du jour le débat sur les inégalités, montré que les problèmes sont liés. La responsabilité des directions syndicales est de comprendre la globalité des enjeux et de tout faire pour entraîner le maximum de personnes réelles dans l’action. Reconnaître l’avance du mouvement ouvrier de France dans ce combat, malgré les propres faiblesses de celui–ci, ne saurait être un prétexte pour cultiver l’attentisme ou la passivité, comme si nous n’avions d’autre rôle à jouer que de commenter en comptant les points.
Si comme tout le monde le répète, la lutte actuelle repose sur notre opposition au choix de société fait par les Dominants, alors, il est temps de faire avancer notre propre projet, au cœur même de la masse de celles et ceux qui ont tout intérêt à ce choix. Prétendre se substituer à cette masse est vain. Contribuer à la mettre en mouvement, voilà l’objectif !
À propos de l’appel des 200
À l’initiative de Patrick Chamoiseau, l’appel des 200 mérite un débat qu’on ne saurait évacuer par les réflexes trop fréquents chez nous : haussement d’épaules, encensement a-critique, condamnation fiéleuse.
C’est dire que la courte note qui suit ne se veut qu’une amorce.
Il est sain que des intellectuels (disons ainsi pour résumer) appartenant aux dernières colonies de la France, prennent la parole ensemble et expriment une pensée décoloniale, qui veut s’ancrer dans un réel multiple. Loin de tout essentialisme, les 200 situent bien nos « peuples-nations » dans une histoire dont le fait majeur et central de la domination opprimante, n’a pu interdire ni la complexité, ni la richesse des relations et des identités.
Sans le dire expressément, le texte contourne le côté assez stérile de l’opposition qui a structuré des décennies de « luttes anticolonialistes », l’opposition, en fait plutôt électoraliste, entre autonomistes et indépendantistes. Le biais utilisé par les 200 est celui de la « responsabilisantion ».
L’accent est donc mis plus sur le processus que sur le résultat. On peut apprécier cette volonté de s’attacher aux dynamiques réelles sans ignorer pour autant des clivages qui ont un sens. Il n’empêche que la référence expresse au processus engagé par « l’appel de Fort-de-France », donne objectivement une coloration à la démarche. S’inscrire dans un débat, chercher à peser concrètement sur une situation, n’imposait pas, selon nous, de donner un aval acritique aux forces à l’origine dudit Appel.
Plus généralement, le combat pour la « responsabilisation » concerne une société traversée par des conflits lourds hérités de l’histoire, et aggravés par la mondialisation capitaliste, que le texte lui–même fustige. Comment dès lors concevoir des projets, où le quotidien se mêle aux enjeux à plus long terme, en faisant abstraction de ces conflits et de la nécessité d’y choisir son camp, loin de tout angélisme ? Question troublante, comme aurait dit notre regretté Vincent Placoly !